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Le 26 mars 2021 est sorti un tube qui s’est rapidement propulsé à la première place des classements hebdomadaires de nombreux pays du monde (Etats-Unis, France, Portugal, Royaume-Unis, Irlande, Finlande…) et a franchi en quelques semaines la barre du milliard d’écoute sur la plateforme de streaming Spotify : “Montero (Call me by your name”) du rappeur Lil Nas X. Dans cette chanson, le jeune homme (il a alors 22 ans) raconte de façon explosive et provocante l’acceptation de son homosexualité et son désir irrépressible pour les hommes. Jamais une chanson qui aborde aussi clairement l’attirance sexuelle entre personnes du même sexe n’avait été jusqu’alors écoutée par autant de personnes à la fois, ce qui en fait un tube tout bonnement révolutionnaire. Et ce d’autant plus qu’elle comporte des éléments originaux, qui rompent avec les représentations antérieures de l’homosexualité dans la musique.

Lil Nas X s’est fait connaître en 2019 avec la sortie de “Old Town Road”, une chanson hybride, entre rap et country, qui l’a fait sortir de l’anonymat. Devenue personnalité publique mondialement connue, a fortiori rappeur, noir et issu des classes laborieuses américaines, Lil Nas X a commis un geste politique fort en faisant son coming out quelques années plus tard. Cette chanson en est l’expression la plus pure.

Dans “Montero (Call me by your name)”, le rap est mêlé à des références multiples, classiques et populaires, le tout au milieu de paroles très sexuellement explicites. Le clip contient ce patchwork de référence parmi lesquels le jardin d’Eden, le serpent tentateur, Platon (pour un passage du “Banquet” dans lequel est évoqué le mythe de la “moitié” de soi à jamais perdue et que l’on peut retrouver dans l’amour), la vie de Jésus, Hercule… 

Au début, les chaînes du modèle hétérosexuel, qu’on est obligé d’imiter un minimum si on veut résister aux années collèges, font passer de mauvais quarts d’heure.

Pour résumer, tandis que la chanson parle du désir pour un garçon qui n’a pas l’air toujours réceptif – grand classique des tubes hétéros, comme Baby One More Time – le clip raconte l’acceptation de l’homosexualité, d’abord vécue comme la rencontre avec un serpent tentateur repoussant, puis la confrontation à une foule hostile, puis comme un twerk triomphant à califourchon sur le diable, rien que ça.

Dans une série de tweets accompagnant la chanson, celui qui se nomme dans la vraie vie Montero Lamar Hill, a écrit à l’adolescent tourmenté qu’il était : 

“Cher Montero de 14 ans, j’ai écrit une chanson avec notre nom dedans. C’est à propos d’un gars que j’ai rencontré l’été dernier. Je sais que nous avons promis de ne jamais faire notre coming out publiquement, je sais que nous avons promis de ne jamais être « ce » type de personne gay, je sais que nous avons promis de mourir avec le secret, mais cela va ouvrir des portes pour beaucoup d’autres personnes queer pour simplement exister.”

Dans la chanson qui porte donc son prénom et son clip on trouve à la fois des éléments très classiques de la chanson d’amour (le désir irrépressible, contrarié, source de souffrance) mais aussi des choses très originales sur la condition gay. Et en cela, Lil Nas X fait un grand pas en avant par rapport aux autres tubes abordant le sujet, plus ou moins explicitement ces dernières décennies : 

  • Ce qui est assez spécifique à la condition homosexuelle, et que ne connaissent pas forcément la plupart des gens dans leur vie, c’est que l’attirance pour des personnes du même sexe n’apparait pas d’un coup et pas toujours clairement. Et alors que la question du choix est complètement secondaire (être gay ça ne se décide pas), on est toujours tiraillé entre accepter les signaux de son homosexualité et rester conforme à la norme dominante (l’hétérosexualité). Ce moment marquant explique la prégnance des souvenirs de l’adolescence, période déjà intense pour tout le monde mais particulièrement forte voir traumatisante pour les personnes homosexuelles. Ce thème est abordée dans la chanson “That’s what I want”, single sorti quelques mois après Montero et son clip qui met en scène l’univers classique du lycée américain (casiers, vestiaires, quaterback) mais joyeusement “gayifié”. Cette gayification des univers machos, Lil Nas X l’a poursuivi dans le clip de son dernier (excellent) tube, “Industry Baby”, qui met en scène le monde carcéral et ses fantasmes.
  • Le secret reste la condition de nombreux gays partout dans le monde. Cela peut contrarier les relations sexuelles et amoureuses, marquées du sceau de la clandestinité et de la peur d’être découvert. Le garçon à qui il s’adresse dans la chanson “vit dans le noir” et lui a dit “en privé” qu’il l’aimait… Rien de très surprenant hélas.

Des milliards de gens ont vu ce clip, écouté cette chanson et ont senti la puissance de l’affirmation de soi de Lil Nas X et, avec lui, de toutes celles et ceux qui vivent dans l’ombre ou l’embarras à cause d’une attirance sexuelle encore transgressive des normes dominantes.

  • “I want to fuck the ones I envy” (je veux baiser ceux que j’envie) chante Lil Nas X dans la chanson : petite subtilité des relations homosexuelles, on peut désirer et aimer des gens à qui on a envie de ressembler, ou que l’on jalouse. Cette envie ou admiration pour des personnes qui, après tout, pourraient devenir nos mentors ou nos meilleurs amis, est assez confusionnante à l’adolescence (et après) : est-ce que je désire cette personne ? Est-ce que je  veux lui ressembler ? Est-ce que je la désire parce que je veux lui ressembler ? C’est ce tourment, dont on ne parle jamais, qu’évoque frontalement Lil Nas X.
  • Le thème du péché est présent dans la chanson et encore davantage dans le clip : la peur de transgresser des normes religieuses et, plus encore, les normes de la virilité empêchent beaucoup d’admettre leur homosexualité. Dans le clip, Lil Nas X finit par assumer cette dimension pécheresse pour carrément prendre la place du diable. 
Le clip de “That’s what I want” revisite les lieux iconiques des lycées américains traditionnellement associée à la romance hétéro et à la camaraderie virile.

C’est cette dimension là qui rend la chanson franchement révolutionnaire car Lil Nas X voit plus loin, ou du moins prend une position politique plus affirmée que les tubes qui ont, ces dernières décennies, parlé d’homosexualité : 

  • En 1972, Charles Aznavour décrit le quotidien carrément déprimant d’un homme homosexuel et travesti dans “Comme ils disent”. On a pitié, mais on n’a pas envie de lui ressembler et encore moins de tout casser. 
  • En 1984, le groupe britannique Bronski Beat cartonne avec la chanson “Smalltown boy” qui raconte la fuite vers Londres des jeunes hommes homosexuels des petites villes. Elle raconte une fuite, mais aussi l’attrait des capitales pour les gays… un attrait qui émancipe sexuellement mais aliène financièrement, j’ajouterais. 
  • En 2002, les russes de T.a.t.u chantent la rage d’acceptation par leurs parents et la société de deux jeunes lesbiennes… qu’elles n’étaient en fait pas, mais admettons. 
  • Plus récemment, Eddy de Pretto et Calogero se sont emparés du sujet, le premier de façon légèrement chouinante à mon goût (mais c’est okay), le second avec la subtilité d’un clip de prévention de France Télévision. 
  • Et, naturellement, la lectrice ou le lecteur averti pourra me citer un nombre incalculable de chansons qui abordent le thème des relations homosexuelles de façon indirecte, très peu explicites voire sybiline. En tout cas moins clairement que Lil Nas X qui, dans Montero, déclare à son amant :  

I wanna sell what you’re buyin’ (Je veux vendre ce que tu achètes)

I wanna feel on your ass in Hawaii (Je veux me sentir sur ton cul à Hawaii)

I want the jet lag from fuckin’ and flyin’ (Je veux être en jet lag pour avoir baisé et volé)

Shoot a child in your mouth while I’m ridin’ (Éjaculer dans ta bouche – on vous épargne la traduction de la métaphore – pendant que je te chevauche)

Des milliards de gens ont vu ce clip, écouté cette chanson et ont senti la puissance de l’affirmation de soi de Lil Nas X et, avec lui, de toutes celles et ceux qui vivent dans l’ombre ou l’embarras à cause d’une attirance sexuelle encore transgressive des normes dominantes. Cette position politique décomplexée et fière, pourrait-on la qualifier de puissante ? Et ainsi, penser que c’est dans tous nos combats, y compris sociaux, que nous devrions nous inspirer de l’esprit bravache et poseur de Lil Nas X. Un esprit où le statut de personne souffrant d’une oppression et de ses tourments – qu’il ne minimise jamais – peut s’accompagner d’une grande décomplexion et d’une confiance propulsive à dire qui on est et ce que l’on veut : Du sexe, de l’amour et la révolution.


Nicolas Framont


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