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Suite à notre article sur la dégradation de la santé mentale et le rôle que les administrations jouaient dans ce processus, SD* nous a contactés pour témoigner de la façon dont ses relations avec Pôle Emploi l’avaient amené à perdre pied et traverser des épisodes dépressifs. Dans ce témoignage, il décrit des échanges hostiles, soupçonneux et absurdes avec une conseillère Pôle Emploi. 

Juin – Premier échange. J’explique à ma conseillère Pôle Emploi que je viens de passer plusieurs mois à organiser un colloque et le dernier mois à postuler dans un Institut de recherche à l’étranger. Elle ne comprend rien à rien et me dit qu’il faut que j’envoie des CV de partout, ce que j’aurai dû faire depuis la fin du colloque que j’organisais. Je n’en ai techniquement pas le temps, pour répondre à cette offre il m’a fallu réfléchir à, puis rédiger un projet de recherche de plusieurs pages, demander des lettres de soutien à des personnalités universitaires, rédiger une lettre de motivation conséquente, mettre à jour mon CV académique [plusieurs pages]. Au moment où elle m’appelait, mon dossier avait été accepté. Il me fallait alors préparer un exposé de 20 minutes de mon projet, puis m’entraîner à répondre aux sept chercheurs assistant à l’entretien. Bref, beaucoup de temps consacré à cet appel d’offre d’emploi, le tout dans les 35° de mon appartement (merci le réchauffement climatique).

Mi-juillet – Second échange. Je lui explique que j’attends la réponse de l’Institut qui doit arriver incessamment, elle devait arriver plus tôt mais ils sont en train de changer de directeur ce qui explique peut-être le retard, je lui dis que je vais les contacter pour savoir où ça en est. « Comment ça vous n’avez pas de réponse ? Il vous faut les recontacter ! » me conseille-t-elle inutilement. Mais de toute façon, peu lui importe, elle m’inscrit à la formation Activ’Projet (que je n’ai pas demandé, mais je n’en suis qu’à ma troisième du genre après tout) chez un prestataire extérieur (Pôle Emploi doit avoir de l’argent magique en trop) puis cherche avec moi un « emploi raisonnable » (pourquoi pas, je n’ai rien contre). Ce sera « auxiliaire de bureau débutant » (pourquoi pas, ça me convient). Elle profite de ce point que l’on est en train de faire sur mes compétences et expériences pour effacer (sans me le dire) de mon « Profil de compétence » sur Pôle Emploi, « organisation de colloque » et « encadrement d’un chantier » (que je ne présente pas comme étant bénévoles, avec l’accord de mes supérieurs hiérarchiques de l’époque).

Ceci fait, elle m’explique ensuite que je peux continuer à chercher un emploi dans le secteur de la recherche à côté, mais qu’il me faut me consacrer à trouver un emploi rai-so-nna-ble. Elle ajoute qu’il faut que j’aille tous les deux jours sur le site de Pôle Emploi pour voir les offres (je verrai vite que ça ne sert à rien) avant d’aller me lire les cinq premières offres de la liste et de me les faire suivre. À un moment ou un autre de l’appel elle me demande comment je fais pour vivre, je lui dis que je suis au RSA, elle me répond que si je ne trouve pas d’emploi elle peut le faire couper. Après cet appel je vais voir les offres qu’elle m’a envoyé et constate qu’elle a enlevé une partie de mes expériences. Je les remets donc.

Morceau choisi de la Synthèse des échanges : Nous mettons en place la prestation Activ Projet. […] Je vous rappelle que vous devez être démarche Activ (on notera que ce n’est pas une démarche active qu’elle souhaite, mais une démarche Activ. Elle a de toute évidence bien fait ses devoirs).

« Nous mettons en place la prestation Activ Projet. […] Je vous rappelle que vous devez être démarche Activ« 

Début octobre – Troisième échange. Elle m’appelle et me demande pour l’Institut de recherche, je lui dis que je n’ai pas eu le poste. Je lui explique ensuite que j’ai postulé pour plusieurs emplois et passé un entretien pour lequel j’attends une réponse. J’ajoute qu’il n’y avait pas beaucoup d’offres vu que c’était l’été et que les entreprises recrutent peu pendant les vacances. Elle me demande comment ça s’est passé avec Activ’Projet. Je lui dis que ça n’a servi à rien. Que l’association partenaire aide les gens à trouver l’emploi de leur rêve, que ça a juste confirmé que je ne m’étais pas trompé de filière, mais que ça ne m’a pas aidé à trouver un « emploi raisonnable » (ses mots). Là, agressive : « C’est quoi pour vous un emploi raisonnable Monsieur D*** ? » Je lui réponds « L’emploi d’auxiliaire de bureau dont on a parlé la dernière fois ». Elle m’explique ensuite que je peux continuer à chercher un emploi dans ma branche à côté, mais qu’il me faut me consacrer à mon « emploi raisonnable » (ORE en langage Pôle Emploi). Puis elle me dit qu’il n’y a pas de beaucoup de postes ouverts comme employé de bureau tout en trouvant que je ne réponds pas à suffisamment d’offres (comment répondre à des offres qui n’existent pas ?) et précise que là, c’était l’été, qu’il n’y avait pas beaucoup d’offres d’emploi parce que c’était les vacances mais que désormais il me faut aller voir les offres tous les deux jours. Je lui dis que ça ne sert à rien d’y aller si souvent vu qu’il n’y a pas beaucoup de changement dans les offres, ça l’énerve. Je lui explique ensuite que je collecte les offres sur la semaine et y réponds en un bloc une fois par semaine. « Non, Monsieur, il vous faut y répondre tous les jours ! De toute façon vous n’avez que ça à faire ». Il est en effet super agréable de passer ses journées sur le site de PE, à chercher des offres qui n’existent pas. Elle va ensuite sur PE, me sort les cinq premières offres de la liste et me dit d’y postuler. Peu importe si j’avais déjà postulé à certaines ou si j’en avais écarté d’autres. Elle retourne ensuite sur mon « Profil de compétence », et ajoute bénévole à mes activités « colloque » et « chantier archéologique » en m’expliquant qu’« à Pôle emploi, n’est considéré comme emploi que les activités salariées, que le reste c’est du bénévolat » (tu m’é-ton-nes, je crois bien qu’on en a la même définition). Je lui explique que j’ai l’accord de mes supérieurs de l’époque pour laisser une ambiguïté entre emploi salarié et bénévolat, et que je considère ces expériences comme des emplois. Elle me réexplique la différence entre travail salarié et bénévolat. Sur la fin de la discussion, je l’entends mal. La ligne coupe, ça n’aide pas à bien entendre sa voix crispante me hurler des consignes diverses et/ou des choses que je sais déjà.

« Non, Monsieur, il vous faut y répondre tous les jours ! De toute façon vous n’avez que ça à faire ».

Après cet échange, grosse dépression. J’ai des articles à rédiger, deux livres à terminer, impossible de m’y mettre. Je continue tout de même de chercher un « emploi raisonnable » en allant une à deux fois par semaine sur le site de pôle emploi. J’en profite pour enlever son ajout « (bénévolat) » après « colloque » et « chantier archéologique ». Je présente bien mon CV comme je le veux (et qui n’a jamais un peu menti dessus ?). Je commence également à aller sur Indeed trouvant le site mieux fait et les recherches plus précises. Petit-à-petit je commence à aller mieux, j’arrive à me remettre à la rédaction d’articles, me projette dans certains « emplois raisonnables » auxquels je postule, quand patatras fin novembre, elle m’appelle à nouveau.

Fin novembre – Quatrième échange. Elle me demande si j’ai eu une réponse pour l’emploi pour lequel j’avais passé un entretien, je lui réponds que la réponse était négative et lui dis que j’ai par contre un entretien pour un autre emploi prochainement. Elle me réexplique que pour chaque poste d’auxiliaire de bureau qui sort, il y a 40 chômeurs dessus, mais semble en même temps s’étonner que je ne trouve pas de travail. Elle me redemande la fréquence de mes passages sur le site, je lui réponds une à deux fois par semaine et j’ajoute que je vais également sur Indeed. « Ce n’est pas assez ! ». Il faut que j’y aille tous les deux jours, voire tous les jours. De toute façon je-n’ai-que-ça-à-faire. Elle m’envoie cinq offres (« vous voyez que vous n’y allez pas assez »). Trois que j’avais vues et auxquelles je ne peux pas postuler étant donné que, s’ils acceptent les débutants, il est demandé que ces débutants aient un BTS secrétariat (ou équivalent), une qui ne me correspond pas (il est demandé de s’y connaître en voitures) et une que j’avais vue et à laquelle j’allais répondre. Puis elle se replonge dans mon « Profil de compétence ». Décidément, je n’ai « pas assez d’expériences de travail ». Elle enlève de nouveau  « colloque » et « chantier archéologique » en m’expliquant de nouveau que « pour Pôle Emploi, un travail c’est quand c’est rémunéré, sinon c’est du bénévolat » (elle me prend décidément vraiment pour un con) puis me suggère d’enlever de mon CV que j’ai un doctorat pour ne pas effrayer les employeurs. Je lui fais alors remarquer que sans ces années d’études, j’ai un trou encore plus béant dans mon CV. Elle en restera là avant de me réexpliquer la différence entre un travail et bénévolat (je dois décidément lui sembler, très, très con).

Je lui explique ensuite que dans quelques jours je vais au Salon de l’Emploi Public et j’en profite pour lui demander si c’est un salon d’information ou de recrutement, elle passe de longues minutes à chercher puis fini par me relire le mail que j’avais reçu de pôle emploi (entrecoupé par moi qui tente de lui expliquer que j’ai déjà lu tout ça, mais elle s’en fiche, elle ne m’entend pas/plus) puis me dit (énervée) que « Oui bien sûr qu’ils recrutent, comme tous les salons pour l’emploi ! ». Elle m’inscrit ensuite à Projet PRO pour une réunion d’information sur la réorientation/formation (je crois que c’est la réponse à tout, vivement Activ’Projet PRO) puis m’explique doctement qu’il me faut :

1) Aller au salon de l’emploi public organisé le 29 (celui où je viens de lui dire que j’allais, donc).

2) Continuer à aller voir les offres d’emploi sur Pôle Emploi et élargir ma recherche à d’autres sites comme Indeed (ce que je viens de lui dire que je faisais, donc)

3) Réfléchir à enlever mon doctorat de mon CV.

Elle m’explique ensuite qu’il me faut m’inscrire à toutes les agences d’intérim de ma ville. Elle me demande (m’ordonne) de noter mes prises de contact avec ces agences dans un tableur Excel et d’y ajouter également les dates d’envoi de mes CV + le nom des entreprises + les réponses, avant de s’inquiéter : « Vous savez utiliser Excel au fait ? »… Je lui réponds que « Oui, bien sûr », et pense qu’il faut mieux, vu qu’elle me demande d’accepter des offres comme auxiliaire de bureau (très professionnel de ne poser cette question que maintenant !). Enfin, elle me donne un rendez-vous physique pour mi-décembre.

J’ai vraiment l’impression que ces formations ne sont là que pour occuper les chômeurs et donner bonne conscience aux décideurs

Remarque : Jusqu’à ce qu’elle me propose un rendez-vous, je me demandais pendant l’appel si je n’avais pas à faire à un robot conversationnel tant ses réponses étaient en boucles et ses conseils calqués sur les miens. Mais non, je n’avais donc pas à faire à une intelligence artificielle (quoi que ?)

Là-dessus, de nouveau déprimé/dépressif, je vais donc au salon de l’emploi. Je n’ai jamais vu chose aussi mal organisée. Alors qu’il fallait s’inscrire, la salle est trop petite, il y a trop de monde. Entretemps on me propose un CDD dans ma branche. Il n’est vraiment pas certain que ça se fasse donc je vais tout de même à la réunion Projet PRO (ça peut être intéressant et je songe toujours à une formation/réorientation). Si l’on veut attaquer une formation de trois mois en janvier 2024, il faut répondre très rapidement. Les dates pour les formations entrant en conflit avec mon possible CDD, je demande de pouvoir réfléchir, trouvant dommage d’attaquer une formation que je ne pourrais pas finir car, quand bien même on nous explique que trouver un travail ou tomber malade sont les seules conditions possibles pour arrêter la formation, si j’attaque une réorientation je compte le faire sérieusement (j’ai vraiment l’impression que ces formations ne sont là que pour occuper les chômeurs et donner bonne conscience aux décideurs). On me dit « pas de soucis vous pouvez m’envoyer un e-mail pour qu’on en reparle ». Ce mail que j’ai envoyé est resté sans réponse.

Approche la date fatidique où je dois rencontrer ma conseillère en vrai. Si je suis assez curieux de voir sa ou ses têtes (je l’imagine pas mal en hydre de Lerne), je me dis également depuis plusieurs jours que, si ça doit se passer mal, je demanderai à changer de conseillère (je trouve assez contre-productif de finir en dépression après chacun de nos échanges). Finalement, j’annule deux jours avant et pose mes « jours de congés » jusqu’au Nouvel An (pour info on a le droit à 35 jours). J’attends en effet des nouvelles du CDD et je n’ai in fine ni la force, ni le courage de la voir.

Je me suis renfermé sur moi-même, n’ai pas voulu fêter mon anniversaire, et eu des comportements destructeurs et d’addictions.

Je n’ai eu depuis aucune nouvelle. Je pense donc qu’elle était là pour me pousser à bout, ce qu’elle a réussi à faire, et que Pôle Emploi (France Travail depuis) voulant éviter des drames  arrête quand il pense être allé trop loin. Encore faut-il qu’il s’en rende compte !

En effet, je n’ai fait qu’y penser mais, à l’automne, je me suis quand même dit que je devrais peut-être m’immoler par le feu sur le parking de Pôle Emploi pour les faire réfléchir ou bien me jeter du haut de leur immeuble ou du mien pour dénoncer cette pression. Heureusement que j’ai une famille et des amis derrière moi et que j’ai une tendance naturelle à l’optimisme. Malgré ça, je me suis quand même ces mois-là renfermé sur moi-même, n’ai pas voulu fêter mon anniversaire, et eu des comportements destructeurs et d’addictions. Heureusement pour moi, mon CDD étant confirmé je vais pouvoir souffler quelques mois.Reste tout de même qu’on peut légitimement se demander combien de personnes n’ont pas ma chance ? Combien n’osent pas annuler un rendez-vous de peur de se faire radier (pour information on a le droit à deux reports sans justificatifs) ? Combien de personnes souffrent en silence et plongent dans les psychotropes ou, plus grave, passent à l’acte (sans que cette pression soit notée comme en étant la cause) et perdent la vie ?

Face à cette mécanique bien huilée de dénigrement, culpabilisation, infantilisation dont le seul objet est de radier les chômeurs ou de les faire partir, il est dur de résister. Bientôt grâce à Gabriel Attal qui semble vouloir remettre à nouveau un tour de vis (comme s’il restait encore du champ pour le faire) se sera encore pire. Face à ce jeu de massacre je ne saurai que vous conseiller plus que jamais de prendre soin de vous, d’en parler, de prendre l’air (beaucoup d’activités sont gratuites ou peu chères pour les chômeurs, on n’y pense pas assez. Aller au musée ou tout simplement me promener m’a fait du bien à l’époque). Et surtout de faire valoir vos droits, de ne pas oublier que vous êtes une personne et pas un centile de chômeur à faire disparaître des pourcentages du chômage et enfin, bien que ça énerve (mais parfois l’énervement a du bon) de ne jamais oublier que pour vous, trouver un emploi est une affaire bien plus compliquée que pour un Blanquer, Castaner, Casteix, Monchalin-han, [rentrer ici le nom d’un·e député·e macroniste inutile] à qui il suffit de traverser la rue du Faubourg Saint-Honoré.


*Comme tous les gens qui souhaitent témoigner dans Frustration, SD écrit sous pseudonyme.


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