logo_frustration
U

Ce lundi de Pentecôte, certains d’entre nous sont obligés d’aller bosser, alors que c’est un jour férié. D’autres n’ont pas cette obligation, mais dans l’année, un autre jour supplémentaire de travail leur est imposé.  Ce jour de travail ne nous est pas payé par notre entreprise, au nom d’une soi-disant « solidarité » avec les personnes fragiles. C’est en réalité juste une occasion de plus pour les employeurs de se faire du profit sur notre dos. Cette escroquerie est aussi un dévoilement supplémentaire que le travail gratuit est le fondement de l’organisation capitaliste de nos sociétés.

Depuis juin 2004, le lundi de Pentecôte n’est plus un jour férié comme les autres. Le gouvernement Raffarin (avant que, l’année suivante, il ne soit obligé de remettre sa démission suite à la magnifique victoire du non à la constitution européenne) avait alors profité de l’hécatombe due à la canicule (plus de 19 000 morts) pour entuber, une fois de plus, les salariés. 

Le principe de la “journée de solidarité” est simple : les salariés doivent bosser une journée sans être payés. “Le travail accompli, dans la limite de sept heures, durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération”, comme l’indique l’article L3133-8 du Code du travail. Dans beaucoup d’entreprises, cette journée de solidarité est le lundi de Pentecôte (20 mai 2024), mais une décision unilatérale de l’employeur, des accords d’entreprises ou de branche peuvent fixer un autre jour ou même lisser sur l’année les 7 heures non payées.

Une partie du gain pour l’employeur de cette journée où on bosse gratuitement est reversée par l’intermédiaire d’une contribution solidarité autonomie (CSA) qui représente 0,3% de la masse salariale. Elle est affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), afin de financer des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées. Elle contribue au financement des maisons de retraites, des instituts pour handicapés, etc.,  mais aussi les départements qui gèrent l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap. 

Arnaquer les salariés, les retraités et les handicapés

Ces 0,3% de la masse salariale constituent un montant plus faible que ce que rapportent à l’employeur les journées de travail ainsi cédées gratuitement par les salariés. La durée légale du travail en France est de 35 heures par semaine soit 1 607 heures par an. 7 heures gratuites sur 1607 heures cela fait 0,4% et non 0,3%. Et surtout, un salarié rapporte bien sûr plus qu’il ne « coûte », c’est de là que viennent les profits des entreprises. Depuis la mise en place de cette mesure, celles-ci se sont donc fait des profits sur le dos des salariés et de la « solidarité »  envers les plus âgés.  

Ces 0,3% sont complétés depuis fin 2012 par une contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. François Hollande et son équipe de bras cassés ont eu en effet une idée géniale : en plus d’arnaquer les salariés, pourquoi ne pas ponctionner aussi directement les personnes âgées elles-mêmes, puisque ce sont elles qui vont bénéficier du dispositif ? Il fallait y penser ! Cette contribution additionnelle frappe elle aussi au taux de 0,3% les retraites, les allocations de pré retraites et… les pensions d’invalidité. Taxer les pensions d’invalidité pour financer l’autonomie des personnes âgées, c’est hyper logique non ? 

Sur une semaine de travail, les salariés sont payés pour l’équivalent de 3 jours de travail environ, les autres jours de travail servant à financer les profits de l’entreprise et l’État

Cette année, la « journée de solidarité » devrait permettre de collecter 3,4 milliards d’euros sur notre dos à tous, tandis que les exonérations de cotisations patronales ont permis aux entreprises d’économiser 70 milliards d’euros en 2023. Le pire est peut-être à venir : régulièrement depuis des années, des propositions apparaissent pour nous faire bosser encore une journée de plus gratuitement chaque année. En avril 2018, Macron y voyait une « piste intéressante ». L’Institut Montaigne avait par la suite relancé l’idée dans une note proposant que les salariés travaillent gratuitement le jeudi de l’ascension. Il reprenait ainsi une préconisation du Medef dans sa brochure sur les 1 million d’emplois. En 2022, l’idée a à nouveau été mise en avant par le gouvernement en pleine réforme des retraites.

Nous travaillons déjà gratuitement deux jours par semaine

Le risque est ainsi grand de voir d’autres jours fériés être supprimés, alors que les Français sont déjà lésés par rapport à beaucoup d’autres pays : ils bénéficient des 10 jours fériés dans l’année contre 14 en Espagne, Bulgarie, Chypre, Croatie, Finlande, Lituanie, etc.  Sans compter le fait qu’en Espagne, par exemple, contrairement à la France, lorsqu’un jour férié tombe un samedi ou un dimanche, l’État établit une nouvelle date fériée pour que les travailleurs puissent se reposer. La « journée de solidarité » est une arnaque dans laquelle le patronat veut s’engouffrer pour continuer à augmenter notre temps de travail gratuit.

Elle peut aussi contribuer à dévoiler aux salariés que ce n’est pas seulement pendant cette journée qu’ils travaillent gratuitement, mais au moins deux jours par semaine. En France, d’après les données INSEE les plus récentes, la part de la valeur ajoutée des entreprises qui vient rémunérer les salariés (y compris cotisations sociales) s’établit à 65%. Sur une semaine de travail, ils sont donc payés pour l’équivalent de 3 jours de travail environ, les autres jours de travail servant à financer les profits de l’entreprise (1,7 jour) et l’État (0,3 jour). La journée de solidarité est ainsi une preuve de plus de l’importance de lutter collectivement contre l’appropriation de nos vies, et de se concentrer sur la seule chose qui, un jour, fera tomber la bourgeoisie : quand nos bras cesseront de se mettre au travail et qu’elle s’inclinera devant nous.  


Guillaume Etiévant


Frustration est un média d’opinion, engagé et apartisan : financés 100% par nos lectrices et lecteurs, nous ne percevons ni subventions ni “gros dons”. Nous ne percevons aucune recette publicitaire. Par ailleurs, notre média en ligne est entièrement gratuit et accessible à toutes et tous. Ces conditions nous semblent indispensables pour pouvoir défendre un point de vue radical, anticapitaliste, féministe et antiraciste. Pour nous, il y a une lutte des classes et nous voulons que notre classe, la classe laborieuse, la gagne.

Je vous aide !

A lire également :

 https://www.frustrationmagazine.fr/serie-machine/
https://www.frustrationmagazine.fr/lutte-travailleurs-uber/
https://www.frustrationmagazine.fr/woke/