logo_frustration
U

Réalisé par Thomas Cailley et scénarisé avec Pauline Munier, Le Règne animal est un film sorti au cinéma au début du mois d’octobre. Il raconte l’arrivée dans un village du sud-ouest de la France de François (incarné par Romain Duris) et de son fils Emile (Paul Kircher) pour suivre Lana, qui est respectivement leur épouse et leur mère, atteint d’un mal étrange. Comme des milliers de personnes à travers le monde, elle subit une transformation en semi-animal, devenant ce que les habitants du village appellent « les créatures » ou « les bestioles » que la police et les militaires traquent sans relâche dans la forêt afin de les interner dans un grand centre spécialisé. Alors que Lana disparaît lors de son transfert, François met tout en œuvre pour la retrouver, entraînant dans cette quête son fils, au début plus que sceptique, et Julia, une gendarme au grand cœur (incarnée par Adèle Exarchopoulos, vraiment hilarante).

Pour commencer, il faut remarquer que le règne animal réhabilite un genre trop peu courant, à l’heure des séries policières à répétition ou des films complaisants sur les déboires policiers en banlieue : se moquer des flics. Et des militaires, tant qu’à faire. A part Julia, les forces de l’ordre déployées dans ce village que l’on situerait dans le département des Landes font preuve d’une grande bêtise et sont obsédées par faire des grillades dans la cour de la caserne et organiser une traque sans fin et complètement inconséquente. Au cours du film, la monstruosité passe des créatures, filmées de façon effrayante, aux militaires, qui surgissent dans l’ombre et tentent de les attraper par tous les moyens. Le Règne animal rappelle que le pouvoir cherche toujours à parquer, enfermer, trier et qu’il déploie des moyens disproportionnés pour cela. Les scènes d’interventions militaires ou policières auxquelles on assiste nous sont désormais familières : ce sont celles de la répression de Sainte Soline ou du harcèlement des réfugiés à Calais.

Le Règne animal rappelle que le pouvoir cherche toujours à parquer, enfermer, trier et qu’il déploie des moyens disproportionnés pour cela. Les scènes d’interventions militaires ou policières auxquelles on assiste nous sont désormais familières : ce sont celles de la répression de Sainte Soline ou du harcèlement des réfugiés à Calais.

A travers la réaction des autorités, qu’elles soient étatiques ou, dans une moindre mesure (le film en parle moins) médicales, le film décrit subtilement comment est construit un problème social qui permet de déshumaniser celles et ceux qui en sont les premières victimes. Le Règne animal nous montre des personnes qui se transforment petit à petit en animaux, et qui sont traitées comme tels. C’est à peine une métaphore de ce qu’il se produit dans le traitement des réfugiés en France et ailleurs : de personnes individuelles, avec leur histoire et leurs espoirs, ils deviennent, dans le traitement médiatique et policier, mais aussi sous notre regard extérieur, une masse informe, inquiétante, déshumanisée. Tout est fait pour que notre empathie ne les prenne plus en considération. C’est ainsi que les morts en méditerranée deviennent des chiffres qui ne signifient plus rien.

Les « créatures » ne sont plus décrites par les habitants que par les ennuis qu’elle leur occasionnent. Devenus « bestioles », elles suscitent la mobilisation des petits commerçants, bien représentés par le tenancier du restaurant, interprété à l’image de cette profession qui, dans le paysage médiatique, n’est là que pour chouiner (contre la pluie, contre la chaleur, contre le manque de touristes, contre l’afflux de touriste, contre les SDF, contre les manifestations etc.). Puisque le point de vue de l’autre est gommé, nos propres jérémiades peuvent s’exprimer librement : c’est aussi à ça que sert la déshumanisation.

Pour autant, le film ne tombe pas dans une vision simpliste qui présenterait d’un côté les oppresseurs et de l’autre les alliés de ses étranges créatures. François, le père, est un personnage très intéressant car il incarne le camp des « tolérants », ceux qui croient être ouverts d’esprit mais ne le sont finalement pas tant que ça. Ils peuvent vivre avec des gens différents mais ne les acceptent pas, et espèrent toujours, finalement, qu’ils reviendront dans le droit chemin. Rebelle dans le discours, antisystème dans les mots, François incarne un conformisme de gauche, oppressant à sa manière.

Sans dévoiler l’intrigue du film, que l’on vous incite vraiment à aller voir tant qu’il est encore temps, disons encore que cela fait vraiment du bien de voir un film qui assume clairement un point de vue. Je le résumerais ainsi : notre empathie est sans limite, pour peu qu’on la laisse s’exprimer. Nous pouvons en avoir pour les animaux sans que cela ne retire rien à celle que nous éprouvons pour les humains. Mais surtout, nos ressources de compréhension pour celles et ceux qui ne nous ressemblent pas sont sans limite. Encore faut-il s’abstenir de croire celles et ceux qui n’ont jamais eu d’autre fonction que de nous diviser au nom de l’ordre, du capital ou des traditions.


Crédit photos : @ 2023 Nord-Ouest Films – Studio Canal – France 2 cinéma – Artémis production


Nicolas Framont


abonnement palestine israel