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Nous y sommes : « Au moment où je vois ce que nos compatriotes peuvent dépenser pour les forfaits de téléphonie, la vie quotidienne… Se dire qu’on va passer de 50 centimes à 1 euro pour une boîte de médicaments, je n’ai pas le sentiment qu’on fait un crime terrible ». Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, Emmanuel Macron a défendu le doublement du montant de la franchise médicale. Les sommes, soi-disant sans conséquences sur le budget des ménages, auraient même une vertu : celle de “responsabiliser les patients”. Ce n’est pas la première fois que l’on entend cette petite musique de la responsabilisation : elle avait déjà été convoquée sous Sarkozy pour justifier la création de la franchise de 0,50 € par boîte de médicament et de 2 € par transport sanitaire.

A entendre les tenants de la « responsabilisation », non seulement les assurés sociaux développent volontairement des comportements individuels à risque, mais encore, lorsqu’ils sont malades, ils n’ont pas conscience qu’ils doivent user de leurs droits d’être soignés avec discernement et abusent des consultations et des médicaments. Un tel discours a permis que, sous des formes diverses et peu lisibles, les patients supportent une partie du coût des risques liés à la maladie, en lieu et place d’une prise en charge collective et solidaire. En réalité, il ne s’agit pas tant de modérer les dépenses liées à la Santé que d’en faire porter le poids aux individus.

« Au moment où je vois ce que nos compatriotes peuvent dépenser pour les forfaits de téléphonie, la vie quotidienne… Se dire qu’on va passer de 50 centimes à 1 euro pour une boîte de médicaments, je n’ai pas le sentiment qu’on fait un crime terrible ».

Emmanuel Macron, 17 janvier 2024

Depuis les années 1980, la part des dépenses de Santé prises en charge par la Sécurité sociale (78,2 %) s’est légèrement réduite tandis que les « restes à charge », c’est-à-dire la part des ménages (6,9 %) et celle des régimes complémentaires (13,4 %), se sont accrus. 5 % de la population n’est actuellement pas couverte par une assurance complémentaire. De surcroît, la Cour des comptes elle-même rappelle que l’intervention des organismes complémentaires s’accompagne de « coûts élevés pour les assurés comme pour la collectivité et d’inégalités dans les niveaux de prise en charge des dépenses de santé entre assurés » (Rapport de la Cour des comptes, La Sécurité sociale, sept 2016, p. 157) Par ailleurs, les contrats « solidaires et responsables » des complémentaires santé, qui représentent 94 % des contrats des complémentaires, ne prennent en charge ni la participation forfaitaire de 1 € due pour chaque acte d’un médecin ni la franchise médicale de 0,50 € par boîte de médicament.  

Les défenseurs de la « responsabilisation » des malades feignent d’oublier que le choix de la nature et de la quantité de soins relève des seuls professionnels de santé. Une « responsabilisation » suppose la liberté, or le malade n’est bien évidemment libre ni d’être malade ni des soins ou médicaments qui lui sont prescrits.

Si l’on entend la responsabilisation comme le fait de « rendre responsable », encore faut-il rappeler que la mise en jeu de la responsabilité suppose un manquement à une obligation. A quelle obligation a manqué un patient qui a consommé des soins, des médicaments ou s’est rendu aux urgences ?

Tout au plus, le patient a mal évalué le degré de gravité de son état, mais à l’inverse on pourrait reprocher à un malade d’avoir été négligent s’il n’avait pas agi en temps utile ou s’il n’avait pas acheté les médicaments prescrits.

Quel drôle de message envoient les pouvoirs publics en brandissant la sanction financière pour éviter aux plus pauvres de prendre soin de leur santé ! Comme si la priorité n’était pas de garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire et de lutter contre le renoncement aux soins pour raisons financières !

Une « responsabilisation » suppose la liberté, or le malade n’est bien évidemment libre ni d’être malade ni des soins ou médicaments qui lui sont prescrits.

Car ce ne sont pas les riches que l’on cherche perpétuellement à « responsabiliser » : les restes à charge ne représentent une gêne que pour les plus défavorisés. La prétendue responsabilité ne porte que sur certains malades dont le comportement est identique à celui d’autres malades mais qui ne bénéficient ni de moyens financiers, ni d’une bonne complémentaire et ne rentrent pas dans les catégories de personnes exonérées. Par exemple, les franchises « responsabilisent » les malades dont les revenus se situent à peine au-dessus des plafonds de la « complémentaire santé solidaire ». Ou encore, la participation forfaitaire et la franchise médicale pèsent particulièrement sur les patients reconnus comme souffrant d’une affection longue durée (ALD). Les personnes en ALD, par définition avec une santé fragile, s’acquittent ainsi de 42 % du montant des franchises. Elles pourraient d’ailleurs payer un montant encore plus élevé si leur participation n’était pas limitée par le plafond annuel de 50 €.Le doublement du montant des franchises médicales dissimule à peine ce qui anime la macronie :  les assurés de la Sécurité sociale ne sont pas tout à fait légitimes à percevoir des prestations sociales… Sur ce fondement erroné, il devient aisé de grignoter le droit d’accès à la Santé, de rogner le champ de la Sécurité sociale et, pourquoi pas, d’ouvrir des parts de marché aux assurances privées. Rien n’est décidément laissé au hasard dans leur “projet”.


Anne-Claire Dufour

Maîtresse de conférences en Droit Public, Université de Nantes


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