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En Aveyron, les salariés de la fonderie SAM dénoncent la stratégie de Renault qui n’a, selon eux, jamais eu l’intention de les aider à trouver un repreneur. Le groupe automobile français était l’unique client de cette usine, qui a été placée en redressement judiciaire en décembre 2019. Dès septembre 2020, Renault aurait réorienté ses commandes vers l’étranger afin de faire des économies sur le coût de production, une pratique courante de nos fleurons industriels français. 

“Ils n’ont jamais eu l’intention de sauver l’entreprise.” Ghislaine Gistau, déléguée CGT de la SAM (société aveyronnaise de métallurgie) à Decazeville en Aveyron est écoeurée. Devant les 6000 personnes venues manifester leur soutien aux employés de la fonderie, malgré la pluie battante, ce mercredi 1er décembre, la syndicaliste aux cheveux blonds coupés courts ne peut cacher sa colère après presque deux ans de négociations, suite au placement de la SAM en redressement judiciaire en décembre 2019. Première à s’exprimer à la tribune, ses griefs vont notamment vers le ministre de l’Economie, des finances et de la relance. En octobre dernier, Bruno Le Maire, sommait l’unique client de la fonderie, Renault, de trouver une solution pour la reprise de son sous-traitant aveyronnais. Mais aujourd’hui, l’Etat, premier actionnaire de Renault s’est rangé derrière la décision du constructeur automobile de ne pas soutenir l’offre de reprise de la SAM. “Bruno Le Maire fait le service après-vente de Jean-Dominique Senard [PDG de Renault, NDLR] en reprenant le langage” du groupe, qui propose “d’accompagner financièrement les salariés”. “Bâtard”, peut-on entendre s’élever de foule, qui approuve de la tête le discours de Ghislaine Gistau. Sur les murs de l’usine, des photos ont été installées. A chaque protagoniste son qualificatif. A côté de la tête d’Emmanuel Macron, est inscrit “MENTEUR” et près de celle de Bruno Le Maire, on peut lire “COMPLICE”. 

“Renault souhaite travailler avec le groupe espagnol CIE”

“Je ne pensais pas que Renault nous lâcherait ”, murmure Delphine Bougnol. Cette discrète petite brune, membre du service propreté, est employée de la SAM depuis 17 ans. Si la liquidation judiciaire annoncée le 26 novembre dernier venait à se confirmer, elle se retrouverait, comme les 332 autres salariés, au chômage. Dans quelle autre entreprise espère-t-elle travailler alors ? A cette interrogation, elle ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux. “C’est qu’il n’y a plus grand chose à Decazeville, confie-t-elle. Je veux bien faire une formation, mais pas déménager. J’ai toute ma famille ici.” La quinquagénaire préfère “garder espoir et que l’usine ne ferme pas”. 

Aux dires des syndicalistes, la marque de voitures françaises a déjà commencé à réorienter ses commandes vers l’étranger.

Pour elle, comme pour tous les employés, le dernier communiqué de Renault a fait l’effet d’une douche froide. Le 23 novembre, le groupe automobile fait savoir que l’offre de reprise de l’ex PDG, Patrick Bellity, “ne présente pas les conditions de pérennité et de sécurité nécessaires pour l’entreprise”. Son étude du projet “ne confirme pas les hypothèses de chiffres d’affaires présentées dans l’offre”. Pour Sébastien Lallier, le secrétaire du CSE (comité social et économique) aux allures de garde du corps, “ils ne voulaient pas que Patrick Bellity reprenne, des personnes de chez Renault ont des différends avec lui”

Plus loin dans le communiqué, le groupe critique, en effet, l’ancienne direction. “Les difficultés de gestion rencontrées dans le passé ont déjà conduit au redressement judiciaire de SAM Technologies et de la totalité des filiales du groupe Arche en 2015 – 2016”. Mais les représentants du personnel ont l’intime conviction qu’incriminer Patrick Bellity “sert de prétexte car dans tous les cas, Renault souhaite travailler avec le groupe espagnol CIE.

Aux dires des syndicalistes, la marque de voitures françaises a déjà commencé à réorienter ses commandes vers l’étranger. “Nous avons appris qu’ils avaient commandé des moules pour DB 35, en septembre 2020”, annonce devant les 6000 personnes rassemblées ce 1er décembre, Ghislaine Gistau. “Ils vont permettre à CIE de réaliser des DB 35. Ce sont des boîtes de vitesses. C’est exactement ce que nous produisons”, précise Sébastien Lallier. 

Des commandes passées en Roumanie 

Une autre information laisse imaginer aux salariés que “Renault n’a jamais eu l’intention de [les] sauver”. En avril dernier, un autre sous traitant a fait faillite dans l’est de la France. Il s’agit de l’usine FVM de Villers-la-Montagne, qui appartenait, comme la SAM, au groupe chinois Jinjiang. “Ils produisaient deux références et nous, on usinait. Mais lorsqu’elle a fermé, ils ont choisi de confier la production et l’usinage à une usine CIE basée en Roumanie”, explique encore le secrétaire du CSE. Le service presse de Renault a expliqué “ne pas avoir de réponse à apporter” à nos questions sur la réorientation de leurs commandes au profit du groupe CIE, dont le siège social est à Bilbao en Espagne. 

Nous ne pourrons jamais savoir si c’est une stratégie ou bien une nécessité économique”, temporise une source proche du dossier. “Peut-être aussi que Renault, qui s’était porté garant de la SAM en décembre 2019 et qui payait toutes les fins de mois depuis cette date, en a eu assez de perdre de l’argent et n’a pas cru que l’entreprise pouvait être sauvée.” Les salariés, eux, ne doutaient pas de leur capacité à rebondir. “Le virage de la transition écologique on l’avait pris, clame lors du rassemblement Ghislaine Gistau. Il faut savoir que 50% de notre chiffre d’affaires concerne la production d’équipements pour moteurs hybride et électrique.” 

Une histoire à la GM & S

Parmi les travailleurs, beaucoup disent en avoir assez “d’entendre des mensonges”. Au sein de l’entreprise, la tristesse des premiers jours a laissé place à la colère. Cela fait plusieurs années que les salariés entendent que l’industrie sur le bassin va être sauvée. Lorsque le groupe Jinjiang a repris en décembre 2017, des fonds devaient être placés pour redresser la fonderie. “Mais ils n’ont pas tenu leur promesse”, détaille calmement Sébastien Lallier une fois que la foule s’est dispersée. “Quelques mois plus tôt, notre PDG, Patrick Bellity avait quitté l’entreprise à cause de désaccords avec le groupe Arche, alors propriétaire. Il demandait des investissements mais les actionnaires ont refusé.” Depuis, cet énième redressement judiciaire en 2019, ce sont les souvenirs des paroles des élus qui laissent un goût amer aux salariés. “Ils parlent de politique de relocalisation, mais c’est du pipeau”, dénonce encore la syndicaliste Ghislaine Gistau. “C’est un scandale d’Etat”, insiste Philippe Martinez alors que son tour est venu de s’exprimer à la tribune ce 1er décembre, jour de la saint Eloi, saint patron des métalleux. “Le premier actionnaire de Renault c’est l’Etat, c’est lui qui doit faire la loi et non le contraire”, scande le secrétaire général de la CGT. 

Le salaire moyen en Roumanie frôle les 500 euros.

Ce mercredi, beaucoup répétaient : “C’est comme GM & S”. L’entreprise creusoise, elle-aussi sous-traitante de Renault, mais aussi de PSA, a subi un plan de sauvegarde de l’emploi à la suite d’une liquidation judiciaire en juin 2017. Là aussi, la baisse des commandes des deux constructeurs avaient été à l’origine d’un déclin du chiffre d’affaires de l’entreprise. Alors nécessité ou stratégie économique ? Le calcul peut être vite fait pour les équipementiers automobiles. Le salaire moyen en Roumanie frôle les 500 euros. Si dans un premier temps, les entreprises multinationales assurent traverser des difficultés économiques pour justifier la fermeture d’une usine, cet argument ne fonctionne pas toujours. Des employés de l’équipementier automobile Molex sont parvenus à prouver devant les prud’hommes que leurs licenciements, en 2009, n’avaient pas de “cause réelle et sérieuse”.

Des solutions existent

Ce 1er décembre, les salariés gardaient espoir de trouver une issue favorable auprès du tribunal de commerce de Toulouse. “La procureure de la République pouvait faire un recours dans les 10 jours après l’annonce de la cessation d’activités”, précise Sébastien Lallier, délégué syndical CGT. Mais cela n’a pas été le cas. “Aujourd’hui [vendredi 17 décembre], la majorité des salariés a reçu sa lettre de licenciement. Nous attendons désormais les accompagnements exemplaires pour les salariés et pour le territoire que nous ont promis l’Etat et Renault”. A l’approche de ces nouvelles négociations, les salariés se montrent toujours combatifs. Lors de l’assemblée générale du 17 décembre, ils ont décidé de poursuivre l’occupation de l’usine pendant toute la période des fêtes de fin d’année.

Nul doute que la campagne électorale à venir va encore voir les candidats déplorer à chaude larme la désindustrialisation de la France comme s’il s’agissait d’une fatalité, alors que les solutions existent.

La lutte des salariés de la SAM est emblématique de l’opposition qu’il faut construire à l’ensemble des plans de licenciements guidés uniquement par les volontés des groupes internationaux d’augmenter leurs profits. Si Renault peut se comporter ainsi, c’est parce que la loi le lui permet. De nombreux groupes industriels externalisent leur production auprès d’une entreprise dont ils sont les seuls clients. Cela leur permet d’arrêter les commandes quand ils le souhaitent, de mettre de fait l’entreprise en  liquidation judiciaire et ainsi de licencier massivement sans devoir proposer aux salariés l’ensemble des dispositifs d’accompagnement prévus par le Code du travail (reclassement, formation, indemnités, etc.) car ils n’en sont pas directement les employeurs. 

Nul doute que la campagne électorale à venir va encore voir les candidats déplorer à chaude larme la désindustrialisation de la France comme s’il s’agissait d’une fatalité, alors que les solutions existent. Il s’agit de rendre les donneurs d’ordre responsables des conséquences sociales de leur choix et d’en payer les conséquences. Surtout, le motif économique des licenciements devrait être analysé au périmètre du groupe et du donneur d’ordre et non pas uniquement de l ‘entreprise qui a été volontairement mise en faillite. Rappelons que Renault a réalisé 354 millions d’euros de bénéfice au premier semestre 2021. Une loi protectrice des salariés interdirait aux groupes dans cette situation d’effectuer des licenciements économiques directement ou par le biais de leurs sous-traitants.


Rose Antoniolli