Voilà l’adjectif phare qui structure toute la communication gouvernementale de la réforme du système de retraites par répartition : le projet serait « universel ». Répété à loisir, repris en boucle par des journalistes. Hier encore, Edouard Philippe s’en expliquait : « Je dis aux Français qui s’interrogent sur notre projet que notre ambition d’universalité est une ambition de justice ». L’argument est insupportable, car il convoque directement la philosophie des lumières et l’un des fondements de la République française. D’ailleurs, le Premier Ministre n’a pas hésité à convoquer le CNR pour argumenter sa réforme « Nous voulons un pacte entre les générations dans l’esprit du conseil national de la résistance ». Robespierre n’est pas loin.
La nature commune de l’homme appelle à une organisation politique fondée par des idéaux universels de liberté, d’égalité et de fraternité pour combattre les inégalités sociales. Dit autrement, ce sont bien les idéaux, le projet politique, qui est universel, non les outils qui lui sont nécessaires pour le réaliser. Car pour lutter contre les inégalités, il faut, par définition, des moyens différents pour retrouver une égalité entre les citoyens.
En créant une modalité « unique » pour tous les travailleurs, le gouvernement combat l’universalisme, le projet politique républicain. Car un mécanisme purement commun à toutes et tous – le point retraite – revient à supprimer la prise en compte de carrières, de salaires et de métiers fortement différents. Les régimes spécifiques existants aujourd’hui permettent notamment à des salariés qui se sont usés au travail de bénéficier d’une retraite digne, avec devant eux assez d’années en bonne santé pour en profiter. Des situations qui mériteraient donc d’être étendues à d’autres salariés, notamment dans le privé, compte tenu des conditions de travail actuelles. La réforme ne combat donc pas les inégalités, elle les amplifie et les prolonge à la retraite.
Il s’agit d’un élément de langage, certes, mais qui n’est pas qu’une simple stratégie de communication destinée à faire passer la pilule. La volonté d’unifier les régimes a principalement pour objet de détourner l’attention du dessin principal : transformer le mécanisme de retraites basées sur les salaires à la valeur d’un point. Une retraite est un salaire différé : je cotise aujourd’hui pour continuer à toucher un salaire demain. Il est donc l’objet d’un conflit entre le fruit du travail et la rémunération des actionnaires. Ce qui n’est pas cotisé aujourd’hui permet de verser des dividendes. Avec les points, c’est la fin du salaire différé. Sa valeur ne sera plus fixée selon votre carrière mais en fonction d’une valeur dont le calcul dépendra de la situation économique. Comprendre par là : de l’état des marchés boursiers.
Au-delà du caractère scandaleux des références à l’universalisme politique, ne nous laissons pas berner par les leurres lancés par la bourgeoisie. Il n’existe en réalité que dix « régimes spéciaux » qui représentent bien peu de salariés de ce pays. La liste est officielle, il s’agit d’un décret de 2014. Les cheminots, les gaziers, les électriciens. Les autres ? L’Opéra national de Paris, la Comédie-Française ou encore le Port autonome de Strasbourg ! 1,4% de la population active. Quelle affaire.
Les 42 mentionnés par le rapport Delevoye comprennent en réalité le système général (sic !) tous les régimes de retraite en vigueur y compris des systèmes complémentaires par capitalisation (resic !) ou même par points (AGIRC-ARRCO).
C’est une poudre aux yeux qui n’a qu’une vocation : faire passer la destruction des acquis sociaux pour un projet « équitable ».
Mise au point par Mathieu Agostini