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 « Il faut arrêter les querelles d’égo » et « cesser les guerres de chapelle », « l’union fait la force » et « divisée, la gauche ne peut pas gagner »… Chaque semaine, un nouveau slogan ou un nouvel appel à l’union viennent saturer l’espace médiatique. En avril, “l’évènement” d’une réunion de la gauche était commenté, salué, interrogé… Comme si la préoccupation numéro 1 des Français « à gauche de Macron » serait de savoir qui de Jadot ou d’Hidalgo pourrait bien les décevoir en 2022. Cette musique médiatique est tellement envahissante qu’on n’entend quasiment plus parler  de “la gauche” que sous l’angle de la possibilité ou non d’une union, et ce mantra empêche toute discussion de fond portant sur les programmes de ces prétendant.e.s à la sainte union. En 4 arguments, voici la preuve que l’union de la gauche est une escroquerie médiatico-politique.

1 – Unir n’importe qui et à n’importe quel prix 

Il s’agit donc de réunir « la gauche » : le PS et Anne Hidalgo, Olivier Faure, EELV et Yannick Jadot, Julien Bayou, Eric Piolle, le PCF et Fabien Roussel, Benoît Hamon, Arnaud Montebourg, Christiane Taubira et, selon les humeurs, la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon . Liste non exhaustive, donc. Beaucoup de monde avec comme seul point commun être « à gauche de Macron ». 

Que le Parti socialiste ait pratiqué une politique économique de l’offre, que l’on peut aisément qualifier « de droite » (on pense notamment au CICE créé dès l’arrivée de François Hollande en 2012 ainsi qu’à la Loi Travail) et très loin des discours énoncés durant la campagne (« mon ennemi c’est la finance ! ») ne semble pas poser de problème particulier. D’ailleurs, plus personne n’en parle, il ne faudrait pas gâcher la kermesse.

Qu’Europe Ecologie Les Verts soit un vivier (Pompili, De Rugy, Hulot, …) ou un refuge (Orphelin, …) pour (ex)macronistes non plus. Il y aurait pourtant matière au doute tant la confusion s’entretient, à l’image d’un Mathieu Orphelin perdu dans un Mercato permanent, flottant de EELV à LREM à EELV. Que son porte-parole Yannick Jadot ait déclaré être favorable « à la libre entreprise et à l’économie de marché » ou que Julien Bayou ait déclaré ne pas savoir quelles étaient les revendications des Gilets Jaunes non plus.

Quelle gauche défendent-ils donc ? Nous ne saurons pas. Le fond importe peu et la novlangue politicienne saura nous répondre qu’il s’agit de « construire collectivement un programme citoyen ».

2 – S’unir pour… quoi, en fait ?

D’abord, pour faire barrage. Gens de gauche, vous serez bien aimables de mettre vos convictions de côté pour faire barrage à Le Pen et à Macron. Dans les urnes bien sûr, pas dans la rue : rappelez-vous de l’hiver 2018, quand les gilets jaunes faisaient trembler le président, ou bien de l’hiver 2019, quand des grèves et des manifestations monstres venaient à bout de la réforme des retraites, y étaient-ils ?

Le projet serait de faire barrage à Emmanuel Macron en étant, pour les plus téméraires, contre le néolibéralisme. Foucault parlait du néolibéralisme comme de l’extension de la sphère marchande à des sphères non-marchandes. Leur projet serait-il donc de ne pas privatiser les services publics restants (être une gauche qui n’est pas de droite) ? Il est vrai que depuis 1983 la question ne va plus de soi et que l’utilisation de ces mots-creux n’y aident pas. En effet, le « néolibéralisme » a de pratique le fait qu’il ne désigne bien souvent rien de concret. Dans leur bouche il s’agit plutôt du libéralisme des méchants. Alors qu’on pourrait tout autant s’en prendre simplement au libéralisme voire à l’économie de marché, ici, c’est le préfixe « néo » qui semble visé. Le nouveau libéralisme allant trop loin, il faudrait retrouver l’ancien …

En l’absence de définition précise, le néolibéralisme est le pare-feu tranquille du capitalisme qui, en étant absent des débats, se présente comme un état de fait naturel. Pourtant, la pandémie aurait pu être une occasion idéale pour démontrer comment le capitalisme est plus nocif que jamais et attaque frontalement nos libertés, en nous imposant, depuis un an, un dilemme entre la mort et le confinement. Ce ne sera pas le sens pris par la gauche en 2022, prenons-en acte.

Impossible pour le moment de savoir ce que veut promettre cette gauche unie en 2022. Des pistes cyclables ? Des jardins partagés ? Un RSA étendu aux moins de 25 ans (et parions dès maintenant sur le fait qu’il sera accompagné d’un flicage en règle pour veiller à leur insertion professionnelle) ? Une augmentation du SMIC ? (qui n’a pas une seule fois été significativement augmenté sous les 5 ans de mandat de Hollande, avec ses ministres Montebourg et Hamon ?) Probablement.

Pour Benoît Hamon, il serait pourtant « criminel pour la gauche de ne pas se rassembler ». A travers ces injonctions, on devine la détresse d’une gauche bourgeoise qui se sent sombrer et tente dans un dernier souffle de créer un clivage entre les gentils-unionistes et les autres, criminels en puissance. Dès lors, l’union devient un projet en soi et passe de moyen à fin

La France insoumise, avec son programme l’Avenir en commun, est souvent ignoré du reste de la gauche qui préfère discuter de la personnalité de Jean-Luc Mélenchon plutôt qu’en débattre sur le fond. Il existe aussi des organisations politiques anticapitalistes comme le NPA et dont les propositions politiques et économiques ne sont jamais discutées. Pourquoi ? Tout simplement parce que la gauche bourgeoise ne débat pas du fond des propositions politiques de chacune des organisations, mais préfère se focaliser sur les différences entre les personnalités qui les composent. La présence de la FI, par exemple, n’est discutée que sous l’angle de la personnalité de JLM, son programme lui-même n’étant jamais débattu sérieusement.

Le thème médiatico-politique de « l’union de la gauche » n’est donc qu’une façon de plus de ne jamais aborder les questions programmatiques essentielles : qui veut augmenter le SMIC ? Qui veut répartir les richesses ? Qui veut changer les institutions politiques de ce pays ? Qui veut socialiser les moyens de production ? 

3. Non, l’union ne fait pas la force, au contraire ! 

Si les questions de fond ne doivent pas être balayées, interrogeons-nous quand même sur le cœur de la logique : l’union, est-ce que ça marche vraiment ? Est-ce que ça a déjà marché ?

En Janvier 2017, la « Primaire Citoyenne de 2017 » s’emploie à désigner, à la suite de débats à la TV médiatisés en prime-time et de votes militants, une candidature unique pour représenter la gauche. Chaque candidat s’engage alors à soutenir le vainqueur, quel qu’il soit. Le second tour est remporté par Benoît Hamon avec une nette victoire à 58% (1 181 872 voix) face à Manuel Valls. Rapidement, les limites de l’exercice se précisent. Manuel Valls puis François De Rugy trahissent leurs engagements et soutiennent publiquement Emmanuel Macron. Avec son idée du revenu universel, pourtant bien compatible avec l’ordre capitaliste, Hamon est jugé trop radical et utopiste. Et se retrouve alors coupé d’une partie des soutiens des ténors habituels du Parti socialiste. Le candidat de la « gauche citoyenne » mène alors une campagne moderne et sympathique, se mettant notamment en scène dans une interview-kebab. Fin Février 2017, l’union se prolonge avec le désistement de Yannick Jadot faisant le choix de se rallier au candidat socialiste. 

L’union de la gauche citoyenne et écologiste, incarnée par Benoît Hamon, réalise un score de 6% au premier tour de la présidentielle 2017,  juste de quoi dépasser le seuil des 5% et rembourser les frais de campagne. Un score historiquement bas.

Si l’exercice des primaires fut un échec, aucune leçon ne fut tirée pour autant. En effet, lors de ce type d’élection, seuls votent les militants ou sympathisants actifs. Mais ceux-ci sont loin de représenter la population dans son ensemble. On le sait, la sociologie des militants s’est toujours écartée et s’écarte de plus en plus de la moyenne en faveur d’une population plutôt masculine, urbaine, diplômée et occupant un emploi qualifié. De la même manière que cette population n’est pas la France, cet exercice n’est donc pas la démocratie. Il est donc normal que les primaires ne soient pas en mesure d’élire le « meilleur » profil de candidat·e (entendu comme celui ayant la plus probable chance de gagner) puisque celui-ci est désigné par un certain groupe social, souvent dominant, autant de gauche soit-il.

Si 2017 est un contre exemple d’union-qui-fait-la-force, il est un exemple souvent cité, à tort et à travers : la victoire de la gauche en 1981. Est-elle vraiment l’aboutissement d’une stratégie d’union permettant l’émergence d’une machine à gagner portée par une candidature et un programme communs ?

En 1972, le Parti socialiste et le Parti communiste se réunissent pour rédiger un programme de rassemblement afin de présenter une candidature commune aux élections de 1974 : Le Programme commun. C’est François Mitterrand qui est chargé d’incarner cette candidature socialiste et communiste. Il réalise un score de 43% au premier tour et échoue de peu au second avec 49% face à Valéry Giscard d’Estaing. Si la suite de l’histoire est plus heureuse pour la gauche (entendue comme le PS et le PCF), on oublie pourtant souvent de préciser que sa victoire en 1981 se fait sans union. Suite à des désaccords de fond et stratégiques, les communistes décident de présenter un candidat : Georges Marchais. Celui-ci réalise le score honorable de 15% au premier tour, qui n’empêche pas Mitterrand (25%) d’accéder au second qu’il remportera.

Quand bien même celles-ci seraient désirables, la Vème République ne nous offre finalement que des contre-exemples permettant de démontrer l’inefficacité des unions. Basés sur les sondages et sur l’hypothèse que les pourcentages s’additionnent, ces calculs stratégiques se sont toujours trompés. Certains sondages montrent que la gauche ferait même un moins bon score « unie » quand d’autres montrent que Jean-Luc Mélenchon continue de faire un meilleur score à gauche que n’importe quelle autre union.

Évidemment, les grands médias adorent débattre de ces unions en les traitant comme des compétitions sportives, ce qui leur permet également de placer leurs candidats. En effet, de ces tribunes tièdes d’appels au vide à ces tentatives médiatiques d’imposition de candidature, il n’y a qu’un pas : « Elle semble désormais la seule à pouvoir relever le défi de ramener la gauche au pouvoir », affirme Vanity Fair, au sujet de la maire de Paris Anne Hidalgo. 

A l’image du décalage entre le nombre d’appels à l’union et l’indifférence du corps électoral, les signataires des tribunes ne représentent personne sinon eux : cette petite gauche militante molle, semi-bourgeoise et diplômée. Il s’agit là d’une position de classe. Si elle ne remet pas forcément en cause la sincérité de ces démarches, elle trahit et illustre parfaitement comment les convictions découlent des intérêts matériels, phénomène particulièrement identifiable dans cette classe sociale. Joffrin, Hidalgo et leurs supporters nous offrent une leçon de matérialisme historique.

4 – De l’injonction à « faire barrage » à celle de « faire l’union », le même renoncement à changer la société 

Si la cartouche du « barrage au Front national » risque de ne pas fonctionner une 2e fois (Une de Libération), nous ne tirerons aucune leçon en rejouant cette scène à l’échelle de la gauche en prétendant devoir faire « barrage au duel Macron/Le Pen » avec une candidature d’union.  

Car la gauche bourgeoise propose une méthode qui ne fonctionne pas, impliquant les principaux responsables de la défiance vis-à-vis de la politique, pour défendre une candidature commune en continuité avec l’ordre social, économique et politique actuel. Certainement pas à la hauteur du virage antilibéral et anticapitaliste qui s’impose.

Cette conception de la politique par un « barrage à » nous prive de débats politiques essentiels : la reconnaissance du statut de producteur de valeur à la majorité, la distribution des richesses (avant sa redistribution), l’euro et l’Union européenne, la sortie d’un système qui surproduit, la bifurcation vers un nouveau modèle énergétique… 

Le mouvement des gilets jaunes a d’ailleurs montré qu’une majorité de la population pouvait faire corps autour de grandes revendications (la démocratisation de nos institutions et la hausse du niveau de vie via le partage des richesses), et non de camp politique au contour aussi creux et trompeur que celui de “la gauche” (qui rassemble, rappellons-le, Manuel Valls et Olivier Besancenot). Ces personnalités politiques bourgeoises (Hamon, Jadot, Hidalgo, etc.) tiennent au débat autour de l”union” car c’est le seul sujet sur lequel ils ont quelque chose à dire. Pour le reste, ils collent aux mantras de l’époque : capitalisme, Union européenne, croissance verte. Laissons-les à leur mélasse.


Jérémy Guichard