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Il fallait être journaliste, militant politique ou député pour éprouver le moindre intérêt envers ce « remaniement », et tout ce tintouin autour d’un « acte II » du quinquennat Macron, énième « virage » annoncé par l’Elysée. Il a été largement commenté par des éditocrates paillasson pour qui la politique n’est qu’un jeu de rôle, un sujet de discussion mondaine, un petit frisson dans leur vie emmerdante de gens qui ont tout, sauf des convictions. Macron, cet incroyable “stratège politique”, qui place Gérald Darmanin à l’Intérieur et qui garde précieusement Bruno Le Maire à l’économie pour les rendre inoffensifs politiquement. C’est pourquoi nous n’avions pas prévu d’en parler, tout du moins de cette manière type politologue de Sciences Po, et avant de constater l’ampleur de ce que ce “changement de cap” représente en terme de message politique. Car avec ce gouvernement, Macron nous dit, à toutes et tous, cette chose finalement extrêmement simple et claire : « je vous emmerde ». 

J’emmerde les féministes et je nomme, deux ans après la vague de révélations et de prises de parole sur l’ampleur et l’impunité des agressions sexuelles en France, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Celui sur qui la justice enquête pour viol, harcèlement et abus de faiblesse, devient l’homme en charge de l’institution policière chargée de recueillir les plaintes des victimes. Et, tant qu’à faire, pour enfoncer le clou, je nomme Eric Dupont-Moretti, cet avocat colérique qui tient régulièrement des propos sexistes sur les rapports hommes-femmes, tels que “c’est bien beau que la parole des femmes se libère, mais vous préparez un curieux mode de vie aux générations futures”. Vous vous souvenez du réalisateur Roman Polanski, nommé meilleur réalisateur au César en début d’année ? Le comble de l’indécence, c’est d’aller encore plus loin dans le dégoût : chose désormais faite avec succès, dans cette République de l’entre-soi où les hommes se protègent entre eux en tout impunité. 

« C’est bien beau que la parole des femmes se libère, mais vous préparez un curieux mode de vie aux générations futures »

Eric dupont-morretti

J’emmerde les gilets jaunes. Il y a près d’un an et demi, vous vous en êtes pris à la bourgeoisie et à ses hauts fonctionnaires. Vous avez réclamé le pouvoir au peuple, des référendums, de la répartition des richesses… Conséquence ? Je nomme, par fait du prince, un Premier ministre qui incarne tout ce que vous détestez : Jean Castex. C’est un grand bourgeois multi-carte, cumulard comme pas possible, qui touchait près de 200 000 euros en 2018 et 2019, les mêmes années où vous vous réunissez sur des ronds-point pour vous raconter vos vies de misère. Devenu Premier ministre, ça ne lui fera plus que 140 000 euros par an. Vous voyez, que tout le monde peut faire des efforts. 

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J’emmerde bien les écologistes car, vous avez cru qu’avec vos manifs, vos beaux résultats électoraux et l’engouement médiatique envers vous, vous auriez droit à plus d’attention que les patrons du CAC 40 ? Vous avez rêvé. Mon « virage écologiste », c’est Barbara Pompili. Elle incarne tout ce que les Français détestent dans notre classe politique : l’absence totale de conviction, le goût du strapontin et des dorures. Elle a retourné sa veste régulièrement au gré du vent, et a assisté sans protesté à toutes les aberrations écologiques du quinquennat. « Fin du monde, fin du mois » ? Si sa considération pour le premier enjeu reste bien caché, il est certain que la question sociale la dépasse complètement. Voici le prototype de ces politiques qui n’ont jamais travaillé en dehors de la politique : chargée de la presse des Verts puis assistante parlementaire, avant de devenir député, elle n’a jamais rien connu de la « vraie vie » et sa déconnection est totale.

Bien évidemment, je continue d’emmerder les travailleurs et leurs représentants. Elisabeth Borne, nouvelle ministre du travail après Murielle Pénicaud, ne connaît elle non plus absolument rien à votre condition et à vos soucis. C’est une haut fonctionnaire, ex-préfète, qui a fait Polytechnique, cette école qui apprend à nos élites à mépriser le peuple et à faire croire qu’elles ont toujours raison. Son fait d’arme ? Elle a brisé la grève de la SNCF en 2018 et a mis en marche la privatisation de l’entreprise publique. Depuis, les cheminots se suicident et l’entreprise accumule les déconvenues, mais l’essentiel est là : un bastion ouvrier de plus a été mis au pas.

Je n’oublie surtout pas d’emmerder le personnel hospitalier et de me foutre de la gueule des milieux culturels. Ce ne sera pas Cyril Hanouna ou Michel Drucker à la culture mais finalement Roselyne Bachelot, une de plus issue des réseaux sarkozystes qui sont manifestement toujours aussi bien représentés au sein de la macronie. Alors que de nombreuses.eux intermittents du spectacle galèrent et risquent de galérer encore plus dans les mois à venir, sa priorité sera t-elle de relancer une réforme de l’audiovisuel public impopulaire et verticale abandonnée par Franck Riester, grâce à ses nouveaux réseaux médiatiques ? Une chose est certaine : rien de mieux qu’une personne responsable de la mise en oeuvre d’un hôpital moins centré sur les malades que sur une logique rentable, faisant de la santé un bien marchand comme un autre, “l’hôpital entreprise” avec une baisse drastique des dépenses (lois de 2007 par exemple, puis de 2009) pour s’en occuper dignement. Bientôt, avec Bachelot, la “culture entreprise” ? Dans la foulée, rappelons que la loi Hôpital de 2005, qui introduit la logique de rentabilité et de rationalisation des coûts, c’est le nouveau Premier ministre qui en est à l’origine, Castex. Les “soignants”, gazés lors de la manifestation du 16 juin dernier, se font désormais mépriser une nouvelle fois, et risquent de trimer une seconde fois si seconde vague de coronavirus il y aura.

Enfin, j’emmerde les Français. Vous êtes majoritaires à vouloir le rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) ? Le maître d’oeuvre de sa suppression, Bruno Le Maire, reste en poste comme ministre de l’économie et des finances “et de la relance”. Sa petite prime ? Appuyé de trois ministres délégués (Olivier Dussopt au budget, Agnès Pannier-Runacher à l’industrie, et le président du syndicat des artisans, Alain Griset, aux PME), il prend la tête de l’ensemble des administrations du ministère dont il partageait jusqu’ici la responsabilité avec Gérald Darmanin. Vous critiquez l’homogénéité sociale et professionnelle de votre classe politique ? Mes ministres ont quasimment tous fait Science Po, l’ENA ou Polytechnique. Vous trouvez, qu’en France, on discrimine trop les noirs et les arabes ? Tout mon gouvernement sera blanc et les violences policières quotidiennes dans les quartiers populaires ont une belle et longue vie devant eux. Les rassemblements organisés par les victimes elles-mêmes ces dernières semaines ? Un danger “séparatiste”, vous a alerté le Prince à la télévision il y a plusieurs semaines.


En 2012, le milliardaire américain Warren Buffet affirmait, sans gêne : “Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner.” Macron pourrait aujourd’hui tout autant dire la même chose, lui qui n’a pas peur de remettre sur le tapis ses “réformes” impopulaires des retraites et de l’assurance-chômage. Parce que notre “République” lui donne tous les droits, il ne se privera de rien, il nous prendra tout, le plus vite possible et sans états d’âme. Alors, prêts à passer à la tonte, ou chauds pour tout casser en septembre ?

Nicolas Framont et Selim Derkaoui