Dans sa jolie maison d’une banlieue cossue situé à quelques encablures de Bordeaux, Sandrine*, médecin spécialiste, explique fièrement à ses invités, dont moi, qu’à partir de juillet 2018, le papier essuie-tout (plus connu sous le nom de “Sopalin”) n’a plus droit de cité sous son toit. « Ici, on pense à la planète ! », ainsi tance-t-elle le premier irresponsable qui ose lui demander où se trouve le diabolique ustensile ménager. L’interdiction du Sopalin n’est pas le seul sacrifice que Sandrine et son compagnon Jean-Luc* consentent à faire pour combattre la destruction de notre planète. Le vélo est pratiqué en masse, la télé date des années 2000 et si la cuisine est remplie d’appareils dernier cri comme un superbe Thermomix, c’est d’abord pour arrêter de manger la merde dont les Français se gobergent. Sandrine est cependant pleine de contradictions, humaine trop humaine, et ses mêmes invités auront droit au récit par le menu du transport par avion-cargo d’un énorme éléphant en bois – « taillé dans un seul tronc » – chiné lors d’un voyage « extraordinaire » au Cambodge. Sandrine veut sauver la planète, mais elle a voté Macron et le refera sans sourciller. Qu’il ait dit à Trump « Make Our Planet Great Again » lui aura suffi.
Sandrine et Jean-Luc sont de farouches partisans de l’écologie bourgeoise. Il s’agit d’un courant politico-existentiel qui fait reposer la lutte pour la préservation de la planète sur une série de mythes et de pratiques dépolitisantes mais fondamentalement politiques dans la mesure où elles conduisent à la préservation du capitalisme et des intérêts de sa classe dominante. Les Sandrine et Jean-Luc de toute la France font rire, bien sûr, mais ils font aussi de plus en plus pleurer, à mesure que les catastrophes d’origine climatique s’enchaînent et que, tout en prenant conscience des menaces qui pèsent sur nous et nos enfants, nous constatons la monopolisation par l’écologie bourgeoise et ses Sandrine et Jean-Luc du combat écologique. De quoi s’agit-il et comment y mettre fin ?
1 – La bourgeoisie dilue son immense responsabilité dans une culpabilisation de masse
La destruction en cours de la planète donne lieu, depuis plusieurs années, à une série de commentaires navrés et tragiques quant à cet avenir effroyable et notre très grande faute vis-à-vis de ce qui se profile. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », citation célèbre du Président Jacques Chirac, est reprise sans vergogne depuis deux décennies, avec autant de succès que ce « meme » viral où un petit chien coiffé d’un chapeau boit sa tasse de thé, entouré de flamme et commentant, flegmatique, « this is fine ». Dans les deux cas, on est sommé de s’identifier au « nous », désignant l’ensemble de l’espèce humaine co-responsable de ce qui arrive.
Cette vision est d’abord très occidentalo-centrée, puisque nombre de pays du monde ne polluent pas autant que les grandes puissances mondiales, et on se demande bien pourquoi il faudrait accabler les Camerounais ou les Cambodgiens quand leur niveau d’émission de CO2 par habitant est 56 fois inférieur à celui des Etats-Uniens. Ensuite, elle ignore les classes sociales (les riches polluent bien plus que les pauvres, nous démontre Oxfam) et le fait que nous ne sommes pas tous en capacité de modifier le cours capitaliste du monde. Quelques centaines de décideurs le peuvent, et ils font tout pour ne jamais rendre de comptes : selon l’ONG Carbone Disclosure Project, ce serait 100 entreprises mondiales qui seraient responsables – via leur production – de 70% des émissions de gaz à effet de serre… L’accumulation de richesse sans égard à la préservation de la biodiversité et du climat est un effet du système économique qui s’est diffusé dans le monde entier au cours du XXe siècle et qui est intrinsèquement basé sur une division entre travail et capital qui rend possible cet état de fait. Bien sûr, nous pouvons être jugés responsables de ne pas faire la révolution plus vite, mais ce n’est généralement pas cela que véhicule ce discours de « l’humanité responsable » de la destruction de son habitat.
J’ai interrogé Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace France, sur la pertinence du concept “d’écologie bourgeoise”. Pour lui, il correspond bien à cette dilution de responsabilité de la classe dominante : “Les riches polluent plus par leur mode de vie, mais aussi par leurs placements. Le capital des 1 % des ménages avec les plus hauts revenus émet 66 fois plus de gaz à effet de serre que celui des 10 % des ménages avec les revenus les plus faibles. Leur responsabilité est plus grande qu’on le croyait jusqu’ici” (…) on ne s’attaque actuellement pas du tout à l’empreinte carbone du capital : ni par les investissements, ni par le financement.” Pour lui, “l’écologie bourgeoise c’est une écologie qui dit « nous sommes tous responsables » puis qui met des pastilles sur un pot de nutella, mais ne va pas dire aux entreprises qui le produisent qu’elles doivent cesser la déforestation.”
Cette généralisation de sa propre responsabilité au sein d’une culpabilisation de masse est un classique de la pensée bourgeoise. Elle a cours quand il s’agit de parler de la violence de la société capitaliste. « L’exploitation de l’homme par l’homme », « l’homme est un loup pour l’homme ». Oui mais dans les faits, on assiste à l’exploitation du travailleur par le bourgeois et aux hommes qui sont le plus souvent des loups pour les femmes. En écologie comme dans les autres domaines de la vie en société, la classe dominante dilue sa responsabilité derrière une soi-disant nature humaine.
2 – Les petits gestes du quotidien pour ne pas parler des leviers politiques et économiques
Le corollaire de cette prétendue responsabilité collective face aux périls écologiques, c’est que « tout le monde » peut faire la différence en agissant dans son coin. Sandrine, par son mode de vie petit bourgeois composé de vacances en Asie, de « petits week-ends » dans des capitales européennes (un « city break »), de résidences secondaires appartenant à la famille ou des amis, fermées une bonne partie de l’année, a un bilan carbone bien supérieur à celle du reste de la population française. Bien sûr, il demeure cependant inférieur à celui de Jeff Bezos quand il décolle à bord de sa fusée en forme de pénis pour montrer qui est le boss. Interdire le papier essuie-tout ne changera pas grand-chose au fait qu’en France, les meilleurs écolos de « petits gestes du quotidien » sont celles et ceux qui gagnent moins du SMIC.
Mais surtout, les petits gestes individuels du quotidien, ça ne marche pas. Dans un rapport publié en 2019, le cabinet de conseil en stratégie carbone Carbone 4 établit le constat que même si tous les Français adoptent une série de gestes individuels ambitieux (utiliser seulement une gourde, remplacer ses ampoules par des LED…) et des changements comportementaux un peu lourds (arrêter de prendre l’avion, faire systématiquement du covoiturage, arrêter de manger de la viande…), on peut espérer une baisse de 25% de notre empreinte carbone nationale. Dans son étude, le cabinet assure cependant que vouloir atteindre un tel taux par une série de gestes individuels est irréaliste, et qu’il faudrait situer la baisse réelle autour de 10%.
C’est toujours bon à prendre, non ? Eh bien, peut-être, mais rien que pour respecter les Accords de Paris pour le climat, cette baisse devrait être de 80% d’ici 2050. L’étude nous apprend aussi que le « petit geste » ayant le plus d’effet est le moins consensuel dans la bonne société bourgeoise médiatique et politique : le végétarisme, qui permet à lui seul 10% de baisse de l’empreinte carbone nationale. Les végétariens et végans suscitent régulièrement l’ire de toute la presse bourgeoise, et se passer de viande est décrit comme un engagement radical, loin des petits gestes lisses que l’écologie promeut.
L’écologie bourgeoise et son dogme du petit geste s’est diffusé et imposé à l’ensemble de la société. Quelques mois après la publication du rapport de Carbone 4, dans une émission spéciale écologie (« L’Émission pour la Terre »), France 2 faisait de « l’engagement de chacun » l’élément clef de notre capacité collective à sauver la planète. Et ce de façon interactive : les téléspectateurs devaient, tout au long de l’émission, dire s’ils étaient prêts à « un jour par semaine, ne manger ni viande ni poisson», « acheter des fruits et légumes de saison », « se chauffer à 19 degrés », « planter des fleurs pour les abeilles », « donner du temps à une association pour la nature », « remplacer gobelets et bouteilles en plastique par une gourde », « acheter moins de vêtements »… Il se trouve que près de 11% des Français en situation de précarité énergétique, selon les chiffres de l’Observatoire National de la Précarité Énergétique, sont déjà prêts à se chauffer à 19 degrés ! Et leur nombre pourrait augmenter, selon l’observatoire, car le coût de l’énergie augmente et la loi ne contraint toujours pas suffisamment les propriétaires de logement à faire les travaux d’isolation qui s’imposent.
La pratique du petit geste donne donc le beau rôle aux gens aisés, puisque c’est eux qui ont le plus de marge de manœuvre financière pour les mener : plus de temps (les horaires décalées, le travail de nuit étant largement réservé aux ouvriers et aux employés), plus d’argent. Mais surtout, elle a l’immense mérite de jeter un voile pudique sur les autres leviers dont nous disposons pour réduire l’empreinte carbone du pays, mais dont France 2 n’a pas beaucoup parlé : ceux qui dépendent de l’Etat et des entreprises, pas des individus, et qui constituent au moins ¾ de l’effort à mener pour tenir les objectifs de baisse, toujours selon l’étude Carbone 4.
La focalisation sur la pratique des petits gestes est d’abord une solution de facilité pour soulager la mauvaise conscience bourgeoise. Son avantage : chacun est son propre juge. Sandrine a banni l’essuie-tout mais prend l’avion deux à trois fois par an : son bilan est plus que négatif, mais qui ira lui dire ? Ensuite, le petit geste est une pratique de distinction sociale. Se demander si l’on doit continuer de prendre l’avion nécessite d’abord de… prendre l’avion. Je garde un souvenir ému de ce fils d’ambassadeur qui, ayant déjà visité une bonne partie des pays du monde à 27 ans, faisait la leçon écologiste à sa compagne, d’un milieu social inférieur, pour qu’elle réfrène ses envies d’ailleurs.
Rappelons que moins d’un quart des Français prennent l’avion au moins une fois par an. La surfocalisation sur cette solution qui n’en est que très partiellement une permet de détourner le regard des vrais leviers du changement écologique : ceux qui dépendent des lois et de l’économie, autrement dit de l’Etat et du capitalisme.
3 – Une écologie au service de la domination de classe
Philippe est architecte, propriétaire de son appartement avec terrasse dans ce nouveau « éco-quartier » de région parisienne, c’est un homme engagé et j’ai eu le privilège de l’avoir pour voisin pendant une année. A la tête d’une association de vie locale, il me raconte fièrement le prochain événement qu’il organise pour « sensibiliser les gens au changement climatique ». A base d’information « pé-da-go-gique, pour que ça monte au cerveau ! », m’explique-t-il en tournant son doigt à côté de son crâne, comme s’il s’agissait de faire démarrer une machine imaginaire.
Comme beaucoup de chauds partisans de l’écologie bourgeoise, Philippe pense que c’est en conscientisant les habitants du HLM attenant son immeuble cossu que l’on va gagner la “bataille pour la planète”. Outre le fait qu’il s’imagine supérieur à des gens au mode de vie sobre pour raisons budgétaires alors que lui prépare déjà ses prochaines vacances dans les contreforts de l’Himalaya, Philippe croit dur comme fer que le reste du monde ignore ce que lui sait. Or, bien qu’ils n’abordent pas tous un pin’s vert sur leur sacoche, la plupart des gens savent bien « qu’on est dans la merde ». Et s’il existe un courant climato-sceptique qui a fait des adeptes, jusqu’à l’ex-président de la première puissance mondiale, nous sommes arrivés à un stade où le problème n’est pas la conscience de la situation mais l’incapacité collective à y faire face. Combien de personnes très médiatisées partent faire le tour du monde en bateau pour sensibiliser les gens au changement climatique ? On sensibilise partout, on ne se révolte nulle part.
Pourquoi Philippe pense-t-il qu’en édifiant ses voisins pauvres sur le continent de plastique il va pouvoir changer les choses ? Quand bien même ils seraient parfaitement au fait des détails de l’Accord de Paris et de la perturbation du Gulf Stream, qu’est-ce que cela changerait au juste ? Rien, étant donné qu’en l’état actuel de notre vie politique où les décisions sont monopolisées par une classe politique qui se soucie plus de l’avis du patronat que des manifestations de ses concitoyens.
Mais Philippe n’a pas réfléchi à ça. Il adhère à la rhétorique des petits gestes et surtout, consciemment ou non, prend un plaisir certain à adopter une position de sachant face aux ouvriers, employés et demandeurs d’emploi de son quartier. La violence sociale du discours écologiste bourgeois n’est que peu dénoncée. Certainement parce que face à un Philippe, le premier réflexe logique est de se dire qu’il est bien sympathique ce monsieur, à se démener ainsi pour construire un monde meilleur. D’autres agissent comme lui. Ainsi, dans nombre de quartiers populaires ont vu le jour des opérations baptisées « Clean Challenge » et qui consistent, à l’initiative d’associations écolos, à faire collecter les déchets par les habitants et leurs enfants. Mignon, n’est-ce pas ?
Pas vraiment. Ces opérations, on ne les imagine pas dans les beaux quartiers des grandes villes, où l’on demanderait à Charles-Henri et son fils Gontran de ramasser masques usagers et mégots de cigarettes. Et pour cause : les belles avenues de nos villes sont nettoyées avec zèle par des services municipaux dévoués, ce qui n’est pas le cas dans les cités, comme nous expliquait Fatima Ouassak dans un entretien. Pour elles, ces opérations de nettoyage autogérées n’ont rien d’une « écologie populaire » comme le prétendent ses prometteurs, Il s’agit tout simplement de pallier aux insuffisances de services publics en faisant bosser gratuitement les habitants.
La mesure de taxation du carburant annoncée par le gouvernement en 2018 et qui a donné lieu au mouvement des gilets jaunes a procédé de la même logique. Alors que les 1% s’achètent des yachts, voyagent en jet privé, possèdent des résidences secondaires et surtout qu’ils dirigent des industries polluantes, un gouvernement bourgeois comme celui de Macron a eu à cœur de faire payer en priorité les pauvres pour la réduction de l’empreinte carbone.
Clément Sénéchal m’a permis de faire le lien entre “l’éco-geste” de Sandrine et le pseudo-activisme complaisant de Philippe : “La glorification par le gouvernement du citoyen abstrait par les “éco-geste” mais aussi les petites procédures inoffensives, de consultation, de tirage au sort etc., permet de dévaloriser la figure de l’activiste, la figure du militant, du citoyen engagé. D’un côté nous avons ces procédures citoyennes qui ne mènent à rien et, de l’autre, la brutalisation des mouvements sociaux”. Dans ce domaine, il faut citer la création d’une cellule de la gendarmerie spécialisée dans la lutte contre l’activisme écologiste sur les questions agricoles. Cette cellule appelée carrément “Déméter” (du nom de la divinité gréco-romaine de l’agriculture) surveille et traque les opposants à l’agriculture industrielle. Dans son enquête publiée récemment, le journaliste Benoît Collombat documente la façon dont les gendarmes, avec la bénédiction de la FNSEA, principal syndicat de l’agriculture industrielle, menacent, intimident voire agressent des militants écologistes.
L’écologie bourgeoise veut donc une “mobilisation des citoyens” en faveur de la planète mais pas de l’engagement politique : il faut rester à son échelle, changer ses petites habitudes, mais sans remettre en question les structures industrielles, politiques, sociales, et surtout pas la consommation de viande.
L’écologie bourgeoise permet en définitive de verdir les mécanismes classiques de la domination de classe : se poser en sachant face à un peuple forcément inculte et pollueur. Ajouter aux marques de distinctions sociales existantes – le niveau de diplôme, le bon goût, la « prise de risque » – une distinction écolo par le petit geste ou l’indignation creuse. Poursuivre la répartition des richesses du bas vers le haut en prétextant des mesures écologistes, comme la taxation du carburant. Réprimer celles et ceux qui contesteraient les structures sociales, en leur opposant un engagement citoyen abstrait et inoffensif.
4 – Contre l’écologie bourgeoise…. l’écologie !
L’écologie bourgeoise a tellement pris le dessus, forgeant l’ensemble de nos représentations de ce qu’est l’écologie – par conséquent associée le plus souvent à un « truc de bobo » vain et hypocrite –, qu’il est devenu le temps de mettre en valeur une écologie différente, à la fois démocratique, prenant en compte l’existence des classes sociales et surtout efficace. Car le premier problème de l’écologie bourgeoise, en plus de générer des milliers de Sandrine et de Philippe, c’est qu’elle ne nous sauvera pas ! Alors ce serait quoi, une écologie “populaire” ?
Pour l’activiste Kevin Vacher, très impliqué dans les luttes pour le logement à Marseille et que j’ai contacté pour écrire cette conclusion, il n’est pas forcément opportun de parler d’écologie populaire. Après tout, une écologie qui ne serait pas en permanence instrumentalisée par et pour la bourgeoisie, est-ce que ça ne serait pas tout simplement… de l’écologie ? Contrairement à ce que le récit dominant veut trop souvent nous faire croire, le “social” et l’écologie ne s’opposent pas, bien au contraire : une société sans classes, sans domination bourgeoise, sera bien plus efficace, face aux dégâts écologiques à réparer, qu’une société capitaliste ! Alors ça serait quoi, cette écologie véritable ?
- Une écologie qui parle en priorité des ¾ de baisse de l’empreinte carbone nationale et internationale qui dépend des entreprises et de l’Etat. Tout écolo qui prétend qu’on peut résoudre les choses « si on s’y met chacun » est un menteur. Une écologie conséquente doit passer par des lois et doit contraindre les entreprises à changer de modèle. Par conséquent, une écologie populaire ne peut pas attendre d’entreprises dont la fin ultime est, par essence, l’augmentation du taux de profit, qu’elles changent. Même quand elles ne le font qu’en façade – ce qu’on appelle « green washing » -, ça ne tient pas sur la durée. Moins d’un an après que l’entreprise se soit donné des objectifs vertueux comme le « développement durable », le PDG de Danone, Emmanuel Faber, a été remercié par ses actionnaires, lesquels jugeaient que la performance boursière de la multinationale était insuffisante. Qu’on le veuille ou non, le capitalisme est anti-écologique, car même des entreprises prétendant vouloir être « responsables » ou « soutenables » le feront toujours de façon à satisfaire leurs actionnaires. C’est ainsi, et il faut faire avec, ou plutôt sans elles.
- Une écologie qui demande d’abord des efforts à celles et ceux qui en ont le plus à faire. On ne peut plus demander aux gens de se chauffer moins quand c’est déjà le cas de la majeure partie des gens. On ne peut pas dire aux gens d’acheter bio quand les salaires sont si bas. La seule façon de ne pas se planter c’est de commencer par réclamer des sacrifices à ceux qui ont tout. Avant de faire chier le Français moyen sur son usage du chauffage, interdire la construction de bateau de croisière, le vol en jet privé, en yacht est un préalable essentiel de justice sociale et d’efficacité écologique. Avant de demander à tout le monde de « moins consommer », en finir avec le versement chaque année record de dividendes. C’est aussi ce que me dit aussi Clément Sénéchal pendant notre discussion : “Ce qui différencie radicalement une écologie bourgeoise d’une écologie populaire c’est le partage de l’effort”
- Une écologie qui ne part pas du principe que les gens « ne savent pas » et qu’il faudrait leur asséner des grands discours sur les catastrophes à venir et les nécessités de « se bouger ». Il se trouve que la plupart des gens savent, hormis une minorité de climatosceptiques convaincus. Ceux qui ont les leviers d’actions ne sont pas la majorité des gens mais certains politiques, les PDG de grandes entreprises : la bourgeoisie en général. Mais son mode de vie et la persistance dans son être la pousse à préférer l’agonie climatique qu’une action décisive en la matière. Quant aux autres, ils n’ont pas les leviers d’actions. Car non, le vote EELV n’en est pas un. Une écologie populaire ne fait pas la leçon aux gens, elle propose des leviers d’action accessibles et efficaces.
- L’écologie interroge donc forcément la pertinence du système capitaliste. Beaucoup de gens nous disent, quand on critique la logique des « petits gestes » : « oui mais mieux vaut ça que d’attendre le grand soir ». En est-on si sûr ? Même si nous faisions tous les choses très bien dans notre coin (ce qui est impossible), ça ne permettrait qu’au mieux ¼ de baisse de notre empreinte carbone, rappelons-le. Alors il faut s’en prendre aux entreprises et à l’Etat, c’est la seule et unique solution pour sortir de ce chaos. Or, cela nécessite un changement d’ampleur. Ce n’est pas « le grand soir », cette expression qui vise à disqualifier tout grand changement d’ampleur en le faisant passer pour un rêve d’ado gauchiste. C’est un changement structurel profond de notre économie. Et qui n’adviendra clairement pas si on se contente de vouloir « agir à son échelle plutôt qu’en tant que citoyen désireux de s’en prendre aux vrais déterminants d’une transition écologique.
Il n’y a pas à choisir entre une politique sociale, un horizon révolutionnaire ou l’écologie : les trois vont ensemble et sont la plus sûre façon de sauver notre planète et de nous sauver nous.
Nicolas Framont