Dimanche dernier, le RN est arrivé en tête aux élections européennes. C’est le moment qu’a choisi le président de la République pour dissoudre l’Assemblée Nationale et organiser de nouvelles élections dont l’issue déterminera qui gouvernera le pays avec lui, en cohabitation. Il aurait pu le faire à de multiples reprises car son impopularité a atteint des pics très régulièrement, notamment lors de l’opposition massive à sa réforme des retraites, l’année dernière. Mais il a choisi le moment où le RN était le plus fort : il semble bien qu’il envisage sereinement la perspective de sa victoire. Car Macron est avant tout le représentant de la classe dominante. Et comme tous les bourgeois qui la composent, il n’a plus de problème avec l’idée de donner les clefs du pays à l’extrême-droite. Pourquoi les riches – grands bourgeois et notables de province – ont-ils à ce point intérêt à la victoire du RN, parti qui se prétend pourtant proche du peuple en colère, voire “anti système” ?
1 – Un parti qui garantit la continuité de l’exploitation capitaliste sur le dos des salariés
“Je n’accepterai jamais que les marxistes qui ont détruit les deux tiers de l’Europe puisse rendre justice dans ce pays qui est la France. En ce qui me concerne, je préfère mille fois Le Pen que le marxisme et son expression économique : le communisme”. Celui qui a prononcé ces mots est Edouard Leclerc, fondateur du groupement d’hypermarché du même nom, en 1992. Un an plus tôt, il s’était rendu dans l’un de ses magasins, à Saintes en Charente-Maritime, et avait giflé une syndicaliste de la CGT. Condamné par la justice, il se défendait en ces termes, en affirmant donc sa préférence pour Le Pen.
L’analyse de l’émergence du fascisme en Europe donne toujours la part belle aux foules exaltées et à l’adhésion des classes populaires à ce projet. Mais dans touts les pays où l’extrême-droite est parvenue au pouvoir, c’est d’abord parce que le patronat et la grande bourgeoisie l’avaient choisie qu’elle y est arrivée. En Allemagne, dans les années 30, c’est le parti patronal centriste qui a choisi de soutenir l’accession d’Hitler au pouvoir. En France, entre 1940 et 1944, le patronat a massivement collaboré, ce qui explique une grande partie des nationalisations punitives effectuées à la libération. En Italie, le mouvement fasciste se constitue d’abord pour réprimer le mouvement ouvrier et empêcher une révolution sociale.
La classe dominante choisit l’extrême-droite quand elle se sent menacée. C’est le cas en France, depuis la fin des années 2010. Malgré le succès (relatif) de Macron, candidat propulsé par la grande bourgeoisie, la population n’accepte pas le développement agressif du capitalisme. Il n’y a pas une année sans mouvement social important. Dans le monde du travail, le nombre de grèves augmente et les salariés ne se laissent plus faire. La main d’œuvre est instable, les démissions s’enchaînent et le respect de la “valeur travail” (trimer sans rien en retour, avec zèle) échappe à la jeunesse. Le mouvement écologiste s’est enfin radicalisé et se mobilise contre tous les projets écocidaires.
Le RN ne se contentera pas de donner une stabilité à la classe dominante. Il compte, comme Macron, l’aider à prospérer. Ainsi, le programme du Rassemblement National est très favorable au patronat : il ne comprend par exemple pas l’augmentation du SMIC. Il propose de “Permettre aux entreprises une hausse des salaires de 10% (jusqu’à 3 smic) en exonérant cette augmentation de cotisations patronales”. Une telle mesure favoriserait les salariés des grandes entreprises et dans les secteurs les mieux organisés. Les salariés des petites boîtes n’en verraient certainement pas la couleur. Ensuite, c’est une hausse de salaire qui n’aurait aucun impact sur notre retraite et notre sécurité sociale en général, puisqu’elle ne générerait pas de cotisations sociales.
Aucune mesure de « pouvoir d’achat » du programme du RN ne concerne les indépendants, les fonctionnaires, les chômeurs et les allocataires des minima sociaux. Le programme prévoit des mesures pour les retraités (indexation des pensions sur le pouvoir d’achat notamment) mais c’est tout. Dans la lignée de l’action de Macron, Le Pen compte continuer de criminaliser les chômeurs en créant un “ministère de la lutte contre les fraudes”. Le patronat peut continuer de se frotter les mains, la pression sera encore plus forte sur les salariés car la terreur de quitter son poste envahira tout le monde.
Enfin, à ce jour, Jordan Bardella a rétropédalé sur l’abrogation de la réforme des retraites, promesse de Marine Le Pen en 2022. Elle n’aura pas lieu si le RN gagne ces législatives anticipées. Il a donc été bon élève après de ses multiples rencontres avec le grand patronat cet hiver : ces derniers lui ont reproché la retraite à 60 ans, jugeant cette proposition “peu crédible”. Il les a donc écouté, car il a besoin de leur soutien pour gagner.
2 – Un parti qui veut remettre la société au pas et préserver la famille bourgeoise du péril “wokiste”
Vincent Bolloré est l’instigateur de toute une partie de ce qui se produit actuellement. Depuis une dizaine d’années, il rachète un grand nombre de médias pour promouvoir ses idées d’extrême-droite et influence les politiques pour obtenir une alliance entre la droite et le RN. Le milliardaire est catholique et colonialiste (il a fait toute une partie de sa fortune en Afrique). Comme toute une partie de la bourgeoisie française, il a des idées très conservatrices : il est terrifié par les progrès du féminisme ou de l’antiracisme.
On oublie toujours que c’est la classe bourgeoise qui dicte les normes sociales à l’ensemble de la population. Or, la norme de la famille hétérosexuelle, avec ses biais sexistes, est une règle dans la classe dominante française. Comme en témoigne la composition quasi exclusivement masculine du grand patronat, on tient, dans ces milieux, à préserver le patriarcat. Or, il est de plus en plus menacé. Le déchaînement médiatique contre le “wokisme” a été largement porté par les médias de milliardaires.
Or, qui mieux que le RN peut mettre un coup d’arrêt à ces remises en question du modèle familial bourgeois ? Le programme de Marine Le Pen de 2022 prévoit un “moratoire de plusieurs années” sur les “évolutions sociétales”. Autrement dit, il s’agit de mettre un terme aux évolutions visant la reconnaissance de toute alternative au couple hétérosexiste. Au passage, dans son programme “famille”, le RN prévoit d’exonérer les donations des parents mais aussi des grands-parents à leurs enfants et petits-enfants jusqu’à 100 000€ par enfant tous les dix ans, ainsi que de baisser les impôts de succession. Les familles aisées peuvent compter sur le RN.
3 – Harceler les étrangers profite au patronat
La grande bourgeoisie française n’est pas la classe diplômée et “ouverte d’esprit” que l’on décrit souvent. Macron, qui passait pour le parfait libéral centriste, s’est avéré être un type amateur de bague raciste et appliquant un programme parfaitement xénophobe. Il faut dire que notre classe dominante est partie liée avec l’héritage colonialiste de la France. Il ne faut jamais oublier que c’est la traite négrière qui a donné le coup de boost nécessaire au lancement du capitalisme industriel : les capitaux dégagés par la colonisation de l’Amérique et la traite négrière ont financé l’industrialisation de l’Europe de l’Ouest.
Il y a une idée erronée, très commune à gauche, qui consiste à dire que c’est l’inculture et la pauvreté qui nourrissent le racisme. Or, historiquement, c’est bien la quête de richesse menée par des hommes puissants qui a été le premier moteur du suprémacisme blanc et du colonialisme qu’il a justifié. Il suffit d’ailleurs de voir l’unanimisme de la bourgeoisie française dans son soutien à la politique de Netanyahu en Palestine : entre colons, on se soutient.
Le RN s’inscrit pleinement dans cette tradition en mettant la lutte contre l’immigration au premier rang de ses préoccupations. Mais quand on regarde son programme de plus près, on se rend compte qu’il ne s’agit pas tant de chasser tous les étrangers – aucun régime d’extrême-droite n’y parvient, même en construisant des murs – que de les harceler, de leur mener la vie impossible et surtout d’accentuer la division raciale de la population. Le rêve du RN c’est un régime d’apartheid où les personnes racisées ont moins de droit que les autres, et peuvent être – encore plus que maintenant, oui, c’est hélas possible – considérées comme des non-citoyens, qu’il est possible d’appauvrir, d’emprisonner ou de tuer.
Or, toute une partie de notre économie fonctionne grâce à une main d’œuvre sous-payée et encore plus exploitée que le reste du salariat, en raison de sa composition immigrée et/ou racisée. Les sous-citoyens que sont les racisés en France peuvent être plus facilement maltraités au travail, car il est moins facile pour eux de défendre leurs droits. Dans un secteur comme la restauration ou le bâtiment, cette division raciale du travail profite pleinement au patronat, qui en redemande.
Enfin, en agitant en permanence la question de l’immigration, le RN protège la bourgeoisie des foudres des masses. Le RN nourrit une attitude qui consiste à surveiller davantage son voisin immigré que les combines des notables de sa ville ou les magouilles de son patron.
Si vous votez Rassemblement National, les riches vous remercient
La bourgeoisie a décidément tout à gagner d’une victoire du RN. Après avoir usé jusqu’à la corde le filon Macron, elle dispose, avec Bardella et Le Pen, de nouveaux alliés pour poursuivre son œuvre. Le grand patronat ne s’y est pas trompé : depuis un an, il multiplie les rencontres avec les dirigeants RN et se félicite d’avoir trouvé des interlocuteurs fiables, qui n’ont plus un mot de trop contre l’euro et l’Union Européenne.
Si vous votez Rassemblement National, les riches vous remercient : vous contribuerez à leur bonheur, au prix de votre propre pauvreté et d’une vie impossible pour une grande partie de vos semblables.
Nicolas Framont
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