Face à la présentation du budget 2025 par le gouvernement Barnier, les médias se montrent, à leur habitude, parfaitement homogènes dans leurs réactions. Il s’agirait d’un revirement de Macron, qui, soudainement acculé par le niveau du déficit public (environ 6% cette année, contre une prévision -comme toujours fausse- à 5%), se mettrait à réduire les dépenses et à faire payer les riches. Derrière ce théâtre d’ombres, animé par un Michel Barnier feignant de découvrir la situation économique du pays, la réalité est toute autre. Macron s’est toujours attaqué à notre modèle social et seules les entreprises et les plus fortunés ont bénéficié de ses largesses. Avec ce nouveau budget, il va simplement encore plus loin dans les « efforts » exigés des pauvres. Quant aux entreprises et aux plus fortunés, la contribution qui leur est demandée est dérisoire, d’autant plus au regard des dépenses publiques massives dont ils ont bénéficié ces dernières années.
« Budget 2025 : Barnier enterre les années Macron », affirme l’Opinion. « Le tournant de la rigueur est arrivé. », assène Le Monde. « Quatre décennies après le virage politique imposé à François Mitterrand par la détérioration des indicateurs économiques et les attaques contre la monnaie, la France semble en passe de connaître une inflexion voisine » ose-t-il même écrire. On croit rêver. Qu’a fait Mitterrand quand il est arrivé au pouvoir en 1981 ? Il a notamment créé l’impôt sur la fortune et abaissé l’âge de départ à la retraite à 60 ans. Qu’à fait Macron ? Il a supprimé l’ISF et augmenté l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. En quoi a constitué le tournant de la rigueur de Mitterrand ? Une plongée radicale dans la financiarisation de l’économie, avec la fin de l’indexation des salaires sur les prix, l’autorisation des produits financiers les plus dangereux qui ont conduit à la crise de 2008 et une diminution drastique des dépenses publiques. Quel est ce soi-disant « tournant » que va mettre en œuvre le gouvernement actuel ? Une simple aggravation de la politique anti-sociale que Macron met en œuvre depuis 2017.
Le budget 2025, présenté jeudi dernier par le nouveau ministre de l’Économie, Antoine Armand, et le nouveau ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, compte supprimer l’année prochaine 4000 postes d’enseignants, principalement en maternelle et en élémentaire. C’est la suite logique de la politique du gouvernement précédent : le projet de loi de finances 2024 prévoyait déjà la suppression de 2 500 postes d’enseignants. Par ailleurs, 2200 postes vont être supprimés au sein de l’État.
Une massive réduction des dépenses publiques qui va toucher les plus pauvres
Au total, la saignée va atteindre 41,3 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques en 2025. Le budget de la Sécurité sociale est largement concerné par cette purge avec 14,8 milliards d’euros d’économies, grâce notamment à la baisse de la part prise en charge par l’Assurance maladie dans le remboursement des consultations chez le médecin et à la diminution de l’indemnisation des arrêts maladie. « Il n’y a pas d’austérité pour la Sécurité sociale » prétend le ministre du Budget. « Par contre, nous avons la responsabilité de proposer des mesures de freinage », avance-t-il, préférant ainsi user d’un euphémisme. Ce glissement sémantique n’est pas sans rappeler les évolutions discursives passées : on a longtemps évoqué la « rigueur », avant de parler d’« austérité », et aujourd’hui on en arrive à ce « freinage », terme passe-partout conçu pour masquer la réalité. Car en vérité, ce budget ne vise rien de moins qu’à poursuivre la démolition progressive et implacable de notre modèle social.
Cela n’a rien de rigoureux, ni d’austère, et cela ne relève encore moins d’un freinage prudent destiné à prévenir un quelconque dérapage. C’est une politique de classe, d’une froide efficacité, qui exige toujours davantage des plus démunis, rogne leurs droits, tout cela pour que l’économie française puisse continuer à satisfaire les appétits des plus fortunés, tout en s’efforçant, sans grande réussite d’ailleurs, de se conformer aux exigences de la technocratie européenne et à ses normes budgétaires édictées arbitrairement.
Les retraités vont aussi être mis à contribution : le gouvernement va reporter de six mois la hausse des pensions de retraite, normalement automatiques, car elles sont indexées sur l’inflation. Par ailleurs, 2,3 milliards d’euros vont être supprimés sur la politique de l’emploi et de la formation professionnelle et les budgets des collectivités, qui baissent déjà continuellement, vont être amputés de 5 milliards supplémentaires. Les aides écologiques perdront 1,9 milliard d’euros. L’aide publique au développement va chuter quant à elles de 1,3 milliard d’euros. La liste des restrictions budgétaires semble sans fin.
Côté recettes, le matraquage fiscal des pauvres se poursuit : le gouvernement va augmenter la taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité, qui finance le service public de l’énergie. La mesure rapporterait à l’Etat entre 3 et 6 milliards d’euros. De plus, les chaudières à gaz ne seront plus éligibles à la TVA réduite et seront taxées ainsi à 20%, ce qui devrait rapporter 200 millions d’euros à l’Etat.
Des mesures temporaires et dérisoires pour les plus riches
Les médias insistent lourdement sur l’effort qui va être demandé aux plus riches. Les éditorialistes rivalisent d’air narquois devant les élus du NFP, qui devraient être bien contents que Macron les ait écoutés. En réalité, comparés à la majorité de la population qui va subir de plein fouet les économies de dépenses publiques et qui n’ont pas les moyens de les compenser en se payant des écoles privées ou des complémentaires santé hors de prix, les riches peuvent continuer à dormir tranquilles. Regardons précisément les mesures qui les concernent : en 2025, les 440 plus grands groupes présents en France, dont le chiffre d’affaires dépasse 1 milliard d’euros, devront s’acquitter d’une surtaxe sur l’impôt sur les sociétés. En 2026, cette surtaxe diminuera, pour disparaître l’année d’après. Au total sur les deux années, elle devrait rapporter 12 milliards d’euros. Cette surtaxe temporaire des grands groupes ne nous fera pas oublier que l’imposition des entreprises s’est effondrée sous Macron avec un taux d’Impôts sur les sociétés passant de 33% à 25% en quelques années. Évidemment, aucun retour sur ce sujet n’est prévu au budget.
Même logique temporaire du côté des armateurs du secteur maritime : ils sont jusqu’à présent taxés en proportion du tonnage de leurs navires et ne payent pas d’impôt sur les bénéfices, ce qui permet au groupe CMA- CGM de se goinfrer. Plutôt que de supprimer cette niche fiscale, une taxe va être provisoirement mise en place, s’élevant à 8 % du résultat d’exploitation du fret maritime en 2025 et à 5,5 % en 2026. Elle ne s’appliquera qu’aux entreprises de transport maritime dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros, c’est-à-dire en fait uniquement la CMA-CGM. Le gouvernement compte ainsi récupérer 500 millions d’euros de recettes en 2025 puis 300 millions d’euros en 2026. Autre mesure provisoire : un niveau plancher de l’imposition sur le revenu des plus riches est créé : « un couple dépassant 500 000 euros de revenu fiscal de référence ne pourrait pas descendre en dessous de 20 % d’imposition minimale », explique Les Echos. Ce niveau plancher ne s’appliquera que pendant trois ans et rapportera environ 2 milliards d’euros au fisc l’an prochain. Le but est ainsi de limiter très légèrement les effets de la « flat tax », le prélèvement forfaitaire unique qui est venu réduire considérablement l’imposition du capital depuis 2017.
Le gouvernement complète ces dispositifs exclusivement temporaires de quelques mesures cosmétiques, cette fois-ci a priori durables : les rachats d’actions des très grandes entreprises seront taxés, mais seulement à 8%, ce qui ne représentera que 200 millions d’euros de rentrée fiscale pour l’État. Rappelons que les rachats d’actions, dispositif permettant aux entreprises de rémunérer leurs actionnaires en rachetant et en détruisant une partie de leurs actions, représentent un montant total de 40 milliards d’euros en 2023, rien que pour les quarante plus grandes entreprises françaises.
De plus, le gouvernement prévoit de récupérer 4 milliards d’euros en réduisant légèrement les exonérations de cotisations sociales. Mais c’est absolument dérisoire par rapport aux 200 milliards d’euros d’allégements fiscaux et sociaux dont bénéficient les entreprises françaises chaque année.
Dans la résistance à ce budget inique, l’attention médiatique se concentrera, une fois de plus, sur les débats parlementaires. Le scénario est prévisible : une bataille d’amendements sans espoir d’aboutir, un passage en force du gouvernement par l’article 49-3, suivi d’une motion de censure qui échouera, la gauche refusant de soutenir celle de l’extrême droite, et inversement. Ce jeu de postures semble sans fin. La véritable solution se trouve ailleurs. Continuons à la chercher collectivement. Dans quelques semaines, nous fêterons les six ans du soulèvement des Gilets Jaunes. L’occasion de raviver certaines méthodes qui ont fait leurs preuves ?
Guillaume Etiévant
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