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Mercredi 21 juin 2023, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé la dissolution du collectif écologiste Les Soulèvements de la Terre.
En mars dernier nous avions, à Frustration, décidé d’arrêter avec les euphémismes et d’appeler un chat un chat quant à la nature du régime dans lequel nous vivons dans un article intitulé “Pourquoi la France est bien une dictature”, là où d’autres, comme Philipp Corcuff dans Médiapart préférait nous opposer des termes comme “régime représentatif professionnalisé à idéaux démocratique”… Pourtant la dissolution des organisations, des associations et des collectifs d’opposants est absolument typique des régimes autoritaires, c’est par exemple ce qui se passe régulièrement en Russie, ce qui n’est pas sans susciter la désapprobation internationale et médiatique. 

Retour donc sur ce que sont les Soulèvements de la terre, les différents épisodes répressifs, les précédentes dissolutions, et comment résister. 

Les Soulèvements de la terre c’est quoi ?

Les Soulèvements de la Terre sont un collectif écologique, fondé en 2021, opposé aux projets d’infrastructures qui détruisent l’environnement (contournement autoroutier de Rouen, la future ligne Lyon-Turin, l’exploitation du sable à des fins industrielles à Nantes…). Le terme de collectif est important car ce dernier n’a pas à proprement parler d’existence légale, ce qui risque de rendre sa dissolution plus complexe qu’il n’y paraît (et c’est tant mieux).  

Le collectif a des méthodes d’actions moins institutionnelles que d’autres organisations écologiques. En effet, Les Soulèvements de la Terre pratiquent non pas la violence mais la désobéissance civile. Ils s’en prennent à des objets, font du démantèlement. Les Soulèvements de la Terre font partie d’une certaine tendance de l’écologie qui, voyant l’inaction totale des gouvernements face à l’action destructrice du capital, faisant courir à l’humanité un danger nouveau d’extinction, cherche de nouvelles méthodes à la hauteur de l’urgence. Cette tendance est notamment inspirée, entre autres, des travaux du suédois Andréas Malm et de son ouvrage Comment saboter un pipeline

Parmi leurs actions récentes, le 11 juin dernier, des paysans bios s’en sont pris à l’agro-industrie et à leur culture sur sable très polluante en enlevant quelques salades, en semant du sarrasin et en trouant une bâche, suscitant l’immense colère du lobby des “maraîchers nantais”.  Ce lobby s’est notamment illustré en s’opposant à l’interdiction d’un pesticide dangereux, le méta-sodium, et par les conditions de travail atroces des ouvriers agricoles. 

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT explique bien la différence entre “violence” et “désobéissance civile” : 

Le collectif est donc une cible privilégiée pour le pouvoir, les capitalistes et leurs petits larbins (à l’image du PCF). 

Sainte-Soline : quand l’Etat fait la guerre à sa population

Les Soulèvements de la Terre ont particulièrement attiré l’attention publique et médiatique lors d’une mobilisation contre les méga-bassines de Sainte Soline le 25 mars dernier, des projets qui ne bénéficient qu’à une petite minorité d’agriculteurs. En effet, selon la Confédération paysanne, seuls 6% des agriculteurs du territoire seront raccordés aux retenues d’eau. 

Quand on parle des méga-bassines de Sainte-Soline, on parle plus précisément d’un chantier de construction de dizaines d’immenses retenues d’eau pour l’industrie agro-alimentaire, financées par l’Etat, aux profits des capitalistes. L’idée de base est de stocker l’eau en surplus l’hiver pour irriguer les cultures l’été. Or l’agriculture intensive dans cette région est particulièrement tournée vers la production de céréales, en particulier le maïs destiné à l’alimentation des animaux d’élevage. Ces retenues d’eau ne servent pas à stocker l’eau de pluie mais à pomper dans les nappes phréatiques et les cours d’eau.  L’argument des défenseurs du projet est mensonger, reposant sur l’idée que si l’eau n’était pas stockée elle serait perdue, oubliant qu’il existe un cycle naturel de l’eau et qu’une eau qu’on laisse dans les sols participe à l’éco-système et qu’en retirant cette eau dite “en surplus” on appauvrit à moyen terme les sols.

Pour tout comprendre sur Sainte-Soline et la mobilisation :

https://www.frustrationmagazine.fr/sainte-soline-une-semaine-en-dictature/

La répression de la mobilisation dans les Deux-Sèvres a été d’une violence absolue. Elle fut même dénoncée par le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement. Parmi les plus de 200 blessés graves côté manifestants en 1h30, on comptera deux personnes dans le coma. Ce sera notamment le cas de Serge, suite à l’envoi d’une grenade MGL2. Pourtant les secours furent empêchés de travailler par la police comme le démontrera MédiapartDes produits marquants furent également arbitrairement utilisés par les forces de l’ordre contre les manifestants, afin de les contrôler avec des lampes UV et de pouvoir les arrêter ensuite. 

Evidemment, et comme d’habitude, cette répression sanglante s’est accompagnée de nombreux mensonges d’Etat. Darmanin déclarant par exemple “Ce ne sont jamais eux (ndlr : les policiers et gendarmes) qui, en premier, iraient dans les rues à Sainte-Soline, trouveraient des personnes dans un champ et les attaqueraient”. Sauf qu’une séquence très claire de Complément d’Enquête prouvera rapidement le contraire en montrant les policiers tirer sur un cortège familial et pacifique…

Il déclarera également qu’ “aucune arme de guerre n’a été utilisée par les forces de l’ordre à Sainte-soline”, fake news qui sera débunkée par Amnesty International, puisque 4 000 grenades de désencerclement et lacrymogènes furent tirés, ainsi que des LBD, et que ces grenades et les LBD sont bien considérés comme du matériel de guerre selon le code de la sécurité intérieure. 

S’il y autant de fichés S en manifestations, c’est simplement parce que… le pouvoir fiche S ses opposants, c’est-à-dire les fait surveiller par ses services de renseignement, préférant leur faire jouer un rôle de police politique plutôt que d’utiliser ces ressources pour, au hasard, prévenir les nombreux attentats dont la France est menacée

On entendra aussi parler de “manifestants avec des haches et des marteaux” dont on ne verra jamais la moindre image. Généralement ce genre d’accusations repose sur des paysans arrêtés avec leurs boîtes à outils dans leurs voitures… De la même façon le chiffre de “200 personnes fichées S” présentes à la manifestation sera abondamment communiqué par le pouvoir et les médias aux ordres : mais s’il y autant de fichés S en manifestations, c’est simplement parce que… le pouvoir fiche S ses opposants, c’est-à-dire les fait surveiller par ses services de renseignement, préférant leur faire jouer un rôle de police politique plutôt que d’utiliser ces ressources pour, au hasard, prévenir les nombreux attentats dont la France est menacée que ce soit de la part des islamistes ou de l’extrême droite… 

Ce même reportage de Complément d’enquête permettra également de découvrir un responsable policier dire, face caméra, que la police arrête arbitrairement les gens en manif puis qu’ensuite, c’est la justice qui trie”, en dehors de toutes les règles élémentaires de l’Etat de droit. 

Maître Carbon de Seze, avocat pénaliste et responsable de la commission des Droits de l’Homme du barreau, avait expliqué, de manière assez limpide sur le plateau de BFM TV, plusieurs des mensonges d’Etat (“qui croit les communiqués d’un ministère de l’Intérieur ? Personne”) et la dimension illégale de la répression

En tout, cette répression aura coûté aux contribuables 5 millions d’euros selon l’Humanité, soit… un coût supérieur au coût total de la méga-bassine elle-même… 

Les petits chiens de garde de la gauche bourgeoise, à l’image de Quotidien (TF1 – groupe Bouygues) s’en sont évidemment pris avec virulence aux Soulèvements de la terre et à ses militantes et militants. Invités sur le plateau le 7 juin 2023, elles et ils ont dû faire face aux fake news de Yann Barthès, ce dernier reprenant à trois reprises Léna Lazare, une des portes-paroles du mouvement, pour lui dire que l’eau de la nouvelle retenue du domaine skiable de la Clusaz (Haute-Savoie) n’est pas pompée et donc ne serait pas une bassine. Ce qui est évidemment faux comme expliqué par Mickaël Correia dans Médiapart.
D’une manière générale, Yann Barthès a repris tous les réflexes des “journalistes” larbins du pouvoir et du patronat, assimilant le militantisme pacifique à un crime, les salariés au patronat, posant zéro question sur l’écologie et le propos politique tenu par ses invités. 

Les militants arrêtés

En dictature, on ne se contente pas de dissoudre les collectifs d’oppositions, on arrête et on emprisonne ses membres. 

Le mardi 20 juin c’est 18 opposantes et opposants qui ont été arrêtés chez elles et eux à travers toute la France, mais notamment à Notre Dame des Landes

Ces arrestations auraient visiblement pour prétexte une action menée contre l’usine Lafarge à Bouc-bel-air, près de Marseille, en décembre 2022. 200 opposants avaient pénétré dans l’usine pour l’empêcher de polluer. En effet Larfarge-Hocim est un des plus gros pollueurs du pays. 

En dictature, on ne se contente pas de dissoudre les collectifs d’oppositions, on arrête et on emprisonne ses membres. 

Pour mener cette opération d’arrestations, l’Etat a dépêché la Sous-Direction Anti-Terroriste, ce qui n’est pas sans ironie quand on sait que si les Soulèvements de la Terre ne s’en sont pris à aucun individu, n’ont mené aucune action “de terreur”, en revanche, Lafarge, que le pouvoir bourgeois vient défendre, a largement participé au financement de l’Etat Islamique, le groupe terroriste notamment responsable des attentats du 13 novembre 2015 qui avaient fait 131 morts. Pensez-vous que le groupe Lafarge, réellement complice du terrorisme islamiste, a été dissous ? Nope.

Le 5 juin, cette même équipe dite “antiterroriste” avait perquisitionné et arrêté 5 opposants à Montreuil, toujours au prétexte de cette action contre l’usine Lafarge. Parmi toutes les aberrations dans ces arrestations, les policiers ont obligé les militants arrêtés à porter des masques chirurgicaux “à cause du covid” : mis sous scellés une heure plus tard, il s’agissait en réalité de prendre leur ADN…  

Les dissolutions : classique des dictatures, classique du macronisme

Dans le cas des Soulèvements de la terre, c’est le prétexte du “sabotage” qui est avancé. S’il est vrai que Les Soulèvements de la terre ont pu se livrer à des actions de désobéissance civile, c’est-à-dire, dans ce cas précis, à des actions pacifiques qui s’en prennent à du matériel dangereux pour l’écosystème et la santé des individus, donc à la limite ou hors de la stricte légalité, en dictature les dissolutions d’organisations d’opposition, tout comme les manifestations, sont toujours dissoutes ou interdites au pretexte de préserver “la légalité”, “l’ordre” et ces dernières sont assimilées à du terrorisme. 

Dans les faits, la pression sur le gouvernement est venue des industriels et de la FNSEA, le syndicat de l’agriculture industrielle et productiviste. Le journal écologiste Reporterre a décrit la manière dont la FNSEA a mis la pression sur le gouvernement pour lui dicter quoi faire

Or, la FNSEA s’adonne pourtant régulièrement à l’action violence et illégale, quelques exemples relevés par Léna Lazare parmi de nombreux autres:

– en 2004, la FNSEA attaque l’hôtel des impôts à Morlaix et le saccage. Ils blessent également grièvement un policier qui tentait de s’interposer. Ces faits resteront parfaitement impunis. 

– en novembre 2014, la FNSEA lâche des ragondins devant la préfecture de Nantes pour signifier à Ségolène Royal qu’elle est “une nuisible”, avant de les frapper à coups de pieds ou de les écraser avec leurs tracteurs. 

– en mars 2023, elle saccage la maison d’un écologiste, Patrick Picaud, vice-président de l’association Nature Environnement 17,  à la Rochelle. Elle l’avait déjà fait une première fois. Les militants de la FNSEA ont également tagué des insultes homophobes. Ils s’en sont ausi pris, physiquement, à sa femme en lui jetant des pneus dessus.  Loin de condamner, le président de la FNSEA 17 déclarera “comprendre les gars”, ajoutant comme un mafieux de mauvais film, “peut-être aussi que cette personne a bien cherché ce qu’il lui arrive (…) la monnaie de sa pièce, c’est exactement le bon terme”. 

Malgré un passif d’une vingtaine d’années d’actions violentes, de sabotages, d’intimidations, il n’a jamais été question de dissoudre la FNSEA. Pourquoi ? Parce que, comme l’Etat, elle défend les intérêts des gros capitalistes. 

Malgré un passif d’une vingtaine d’années d’actions violentes, de sabotages, d’intimidations, il n’a jamais été question de dissoudre la FNSEA. Pourquoi ? Parce que, comme l’Etat, elle défend les intérêts des gros capitalistes. 

La dissolution des Soulèvements de la terre n’est pas une première dans la France autoritaire de Macron.
– En 2021, le pouvoir a dissout le CCIF (Collectif contre l’Islamophobie en France) dont l’objet était de combattre, par les moyens de la justice, les discriminations dont sont victimes les personnes musulmanes. Celle-ci s’était faite sur des bases juridiques complètement ahurissantes (des propos tenus par un ancien responsable du CCIF, qui n’était plus en responsabilité dans l’association, et largement condamnés par cette dernière), actant une fois de plus de la sortie du fameux “Etat de droit”. 

– En Janvier 2022, Darmanin avait lancé une procédure de dissolution contre nos camarades et collègues du média Nantes Révoltée (aujourd’hui Contre-Attaque) pour les empêcher de faire leur travail d’information. 

En mars 2022, les macronistes ont voulu dissoudre des organisations en défense de la Palestine (le Collectif Palestine Vaincra et le Comité Action Palestine). Cette fois le Conseil d’Etat a censuré ces dissolutions constatant leur arbitraire et leur illégalité : “ni l’instruction, ni l’audience n’ont permis d’établir que les prises de position de ces associations, bien que tranchées voire virulentes, constituaient un appel à la discrimination, à la haine ou à la violence”. 

– Toujours en mars 2022, le gouvernement avait décidé de s’en prendre aux antifascistes (on se demande bien pourquoi…) par la dissolution de la GALE, le Groupe Antifasciste Lyon et Environs. C’est la première fois en 40 ans qu’un gouvernement actait officiellement de la dissolution d’une organisation de gauche radicale, fondant sa procédure sur un texte de 1936 existant pour lutter contre l’ultra violence d’extrême droite… Cette fois encore c’est le Conseil d’Etat qui avait contré les délires dictatoriaux de l’exécutif en suspendant la dissolution, dénonçant “une atteinte aux libertés d’association, de réunion, d’expression et d’opinion.

Comme à l’époque du Régime de Vichy, Darmanin a voulu s’en prendre à La Ligue des Droits de l’Homme, fondée en 1898 pendant l’affaire Dreyfus, déclarant vouloir “regarder” les financements publics qui lui sont accordés. 

– En avril 2023, Darmanin continue dans sa lancée et annonce vouloir dissoudre le groupe Défense Collective (DefCo), groupe rennais de soutien juridique aux manifestants arrêtés dans le cadre de mouvements sociaux. Il est ce qu’on appelle une “legal team” qui apporte expertise et conseils juridiques, édite des fiches pratiques pour se protéger lors des manifestations et met en place des caisses de soutien pour les inculpés. 

D’autres tentatives ont également été faites. Comme à l’époque du Régime de Vichy, Darmanin a voulu s’en prendre à La Ligue des Droits de l’Homme, fondée en 1898 pendant l’affaire Dreyfus, déclarant vouloir “regarder” les financements publics qui lui sont accordés

Dans le même genre, en 2021, une partie de la droite, suite aux propos du ministre de l’éducation de l’époque, Jean-Michel Blanquer, qualifiant l’UNEF de “fasciste”, avait demandé la dissolution du syndicat étudiant historique de centre gauche en raison de la tenue d’espaces de paroles réservés aux victimes de racisme. 

On le voit, toutes ces dissolutions n’ont pas fonctionné car il existe encore quelques contre pouvoirs dans la société civile et dans certaines institutions, cela vaut donc le coup de se battre contre celle des Soulèvements de la terre. 

Comment soutenir Les Soulèvements de la Terre ?

Les Soulèvements de la Terre appellent celles et ceux qui veulent les soutenir à les rejoindre, en signant leur tribune qui est accessible via ce lien

Il y avait le mercredi 21 juin, déjà 108 000 signataires et 180 comités locaux. 

Vous pouvez également vous rendre aux rassemblements de soutien aux arrêtés et de contestation de la dissolution. Le 21 juin plus de 150 rassemblements étaient prévus dans toute la France. Vous pouvez vous tenir au courant des prochains en allant sur leur site ou sur les réseaux sociaux. 

Greta Thunberg, célèbre militante écologiste suédoise venue en soutien au mouvement, et Léna Lazare, une des porte-parole du collectif.  

Frustration Magazine apporte tout son soutien fraternel et amical aux militantes et militants des Soulèvements de la Terre.
Comme ces derniers le disent :  “on ne dissout pas un soulèvement”


Rob Grams

Image d’en tête : projection du symbole des soulèvements de la terre par @joanielemercier


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