Quatre jours après la tentative de suicide par défenestration d’un étudiant de l’université Lyon 3 depuis sa résidence universitaire, à Villeurbanne, une autre étudiante lyonnaise a tenté de mettre fin à ses jours, hier soir. Le même jour, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, donnait une interview dans Le Monde au sujet de la réouverture des facultés : “Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria”.
Infantilisation, mépris, déconnexion, sont les maîtres mots d’un gouvernement complètement à la ramasse au sujet de la précarité et du mal être persistant et grandissant des étudiants. Pourtant, depuis le début de la crise sanitaire, les étudiants et étudiantes souffrent, en France. Attendez une minute… Cette situation ne serait-elle pas présente au moins depuis que l’on casse l’enseignement supérieur, et notamment nos universités et nos IUT, à coup de restrictions budgétaires et de baisses d’effectifs ? Une situation que renforce la crise sanitaire qui n’en finit plus et ses confinements successifs, qui les isolent toujours un peu plus. Nombre d’entre eux, par exemple, n’ont pu rentrer à Noël voir leurs parents ou n’ont pas pu profiter du 31 décembre avec leurs amis.
Isolés, les étudiants le sont, dans leurs 12 m2 en chambre universitaire, avec leurs maigrichonnes bourses étudiantes pour subvenir à leurs besoins, des besoins que l’on considère moindres que la moyenne des français : des pâtes et du cordon bleu, un peu de “café et des bonbons” (merci Frédérique Vidal pour ces belles caricatures dans Le Monde) leur suffisent amplement, paraît-il. Une bourse qui peut aller de 100 à 600 euros par mois maximum, en fonction des revenus des parents, et dont tout une grande partie des étudiants n’a pas accès. Les petits jobs parallèles pour compléter ces faibles revenus sont difficiles voire impossibles à trouver en cette période de fermetures d’entreprise et de licenciements massifs. “J’ai vécu, quand j’étais adolescent, avec environ 1000 euros par mois”, avait déclaré Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle de 2017, ajoutant savoir ce que c’est de “boucler une fin de mois difficile”. En rupture avec ses parents et en prépa à Henry IV, il donnait des cours particuliers. Était-il à plaindre, celui dont l’avenir était déjà tout tracé, dans des écoles de la bourgeoisie ?
Étudiants de prépa et de grandes écoles : 1. Tous les autres : 0
Il y a étudiant et étudiant, en France. Celles et ceux qui se constituent un réseau et cette solidarité de classe forte en nombre réduit pour “étudier” confortablement dans des grandes écoles, qui existent purement et simplement afin de reproduire une classe bourgeoise et une sous-bourgeoisie qui aspire à le devenir. Elles nous coûtent bien plus chers que des universités et leurs étudiants sont parfois rémunérés par l’Etat durant leur scolarité.
Isolés, ces étudiants favorisés le sont moins que dans des amphis bondés, à la fac. Leurs établissements permettent du présentiel, notamment les classes préparatoires, car rattachées à des lycées qui, eux, sont ouverts. Tandis qu’à l’université, même les travaux dirigés, en petit groupe, n’ont injustement souvent plus lieu, comme le dénonce cet enseignant dans une tribune au Monde. Contrairement aux étudiants de fac, les étudiants de prépa et des grandes écoles ne s’angoissent pas outre mesure pour leur avenir ou leurs partiels : tout est déjà organisé, préétabli, anticipé. Les enfants de la bourgeoisie bénéficient de plusieurs filets de sécurité en cas d’échec scolaire : prépa d’été, écoles privées, réseau parental… L’écart se creuse donc davantage au sein d’un enseignement supérieur à deux vitesses qu’il serait plus que temps de révolutionner.
Les universités fermées en période Covid, des cours à distance impersonnels et numériquement anxiogènes, des enseignants vacataires payés très en retard… Doit-on ou non fermer les facs ? Rien n’est moins sûr. Doit-on investir en masse dans ces établissements délaissés et aux amphis bondés, soutenir un maximum les étudiants et trouver des solutions politiques ? Travailler avec les syndicats étudiants et les enseignants ? Clairement, oui.
Plutôt que de chercher à créer du lien malgré la pandémie, les universités investissent dans… le numérique. Solution miracle, qui permet de faire des prestataires privés heureux, et des étudiants atomisés. L’université de Bordeaux a ainsi investi plusieurs millions d’euros dans des “Zoom Room”. Des équipements pour faire marcher le logiciel du même nom afin de “travailler en synchronie avec des étudiants en présence et à distance”, nous explique le site de l’université. Termes anglais + bullshit d’entreprise = danger.
Les étudiants sont nombreux à abandonner, la boule au ventre par peur de l’échec permanent, et sans savoir vers quoi ils s’orientent exactement. Des facs que l’on appauvrie années après années, depuis notamment la loi d’autonomie des universités dites “LRU”. Et certains finissent par se défenestrer et tenter de se suicider, le mot “suicide” n’apparaissant pas dans les discours gouvernementaux et dont l’absence en dit long sur leur responsabilité.
Soyez résilients, les jeunes, ou les numéros verts de la honte
Que propose la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal et diverses associations ? Des numéros verts, dont je vois les publicités défiler sur ma page Facebook chaque jour (alors que je ne suis plus étudiant depuis maintenant trois ans…). Pour sortir de l’isolement, le gouvernement propose ainsi aux étudiants d’appeler une plateforme téléphonique impersonnelle, froide et distante. Ce qui individualise les cas, dépolitise le problème et les pousse à faire preuve de “résilience”. Le même type de numéro vert que mettent à disposition de leurs salariés toutes les entreprises lors de la mise en place des licenciements (pardon, des “plans sociaux”). Le message général est clair : plaignez-vous individuellement auprès de professionnels et résignez-vous collectivement.
Frédérique Vidal a grandi dans une famille de trois enfants, dont les parents et grands-parents exploitaient un hôtel de trente-cinq chambres à Beausoleil. Diplômée d’école infirmière, elle a également une maîtrise de biochimie à la fac ainsi qu’un DEA universitaire. A t-elle déjà oublié d’où elle venait, scolairement ? Aurait-elle appelé ou moqué ce numéro vert s’il avait existé à l’époque ? Enfant aisée, elle ne devait certainement pas trop se soucier de son avenir, ou d’un filet de sécurité financier et psychologique pour la soutenir en cas de sortie de route.
On repense toutes et tous évidemment à l’étudiant Anas K. Il y a un an, alors âgé de 22 ans, il avait tenté de s’immoler par le feu, à Lyon. Un an après sa tentative, Anas a raconté avoir subi 48 opérations. Sorti du coma, il est actuellement en rééducation. Evidemment, les gouvernants cherchaient à dépolitiser son action, qu’il s’agissait d’un acte purement individuel d’un étudiant en souffrance, pour qui un numéro vert aurait été particulièrement utile pour l’en empêcher. “Vive le socialisme, vive l’autogestion et vive la sécu”, a conclu l’étudiant à la fin de sa lettre, avant de tenter de s’immoler…
Anas, tout comme les deux étudiant(e)s de Lyon défenestrés, n’aurait pas tenté de s’immoler s’il était un étudiant chéri par l’Etat de l’ENS, de l’ENA ou de Sciences Po, dont les étudiants ont été largement favorisé par un cadre familial bourgeois (argent, réseau, confiance en soi). Être jeune sous Macron, encore plus que sous le Covid-19, donne toujours autant l’envie de mourir.
Selim Derkaoui
Nombre de nos lecteurs et lectrices sont étudiant(e)s. Ainsi, nous souhaitons recueillir vos témoignages en cette période, à l’expression totalement libre. Vous pouvez nous écrire ici : redaction@frustrationmagazine.fr, pour mettre des mots sur des vécus communs et sortir de la résilience individuelle imposée par le gouvernement.