En 1977, dans la ville de Houston, aux États-Unis, s’est tenue la Conférence nationale des femmes (National Women’s Conference). Durant trois jours, 18 000 femmes venues des quatre coins du pays mais aussi d’au-delà des frontières, se sont réunies dans le plus grand stade couvert de la ville et ont pu formuler, à travers la parole de 2000 déléguées élues démocratiquement dans chaque État, ce qui devait être fait pour les femmes américaines. Ce fut, ni plus ni moins, une “assemblée constitutionnelle” pour la moitié de la population, qui déboucha ensuite sur une série de votes au Congrès, l’équivalent de notre Assemblée nationale.
Or c’est comme si cet événement n’avait pas fait date. “Si vous vous demandez pourquoi vous n’en n’avez jamais entendu parler, eh bien, moi aussi”, écrit Gloria Steinem au sujet de la conférence de Houston qui, dit-elle, l’a “transformée”. C’est l’un des nombreux événements qu’évoque dans son autobiographie cette importante féministe américaine, aujourd’hui âgée de 85 ans, et qui a assisté et contribué, au cours de sa vie, à la plupart des grandes avancées pour la cause des femmes.
“Cela fait plus de quarante ans que je passe la moitié de mon temps sur la route”
Gloria Steinem a même fait du féminisme un métier comme seuls les États-Unis savent en inventer : “community organizer”, celle qui organise la communauté et fait prendre conscience de la force du collectif pour lutter. Une tâche immense qui l’a jetée presque toute sa vie sur la route – “cela fait plus de quarante ans que j’y passe la moitié de mon temps”, écrit-elle. C’est comme ça, d’ailleurs, qu’elle a intitulé son ouvrage : “Ma vie sur la route” (Harper Collins, 2015, et 2019 pour la version française).
La “route” justement, signifie bien plus que le ruban d’asphalte que cette femme a arpenté en long, en large et en travers – sans jamais avoir conduit ni possédé de voiture, précise t-elle, ce qui, aux États-Unis, la fait passer pour une hérétique. La route est un état d’esprit qui commence “dès que l’on franchit la porte de notre maison”, une ouverture au monde, aux nouvelles rencontres et à la vie. Grâce à la route, à laquelle d’ailleurs elle s’avoue elle-même “accro”, Gloria Steinem a fréquenté des femmes et des hommes de tous milieux et de toutes luttes et a compris, au plus près, les combats de chacun d’entre eux. Un parcours dont pourraient s’inspirer nombre de dirigeants politiques qui ont depuis longtemps largué les amarres du monde réel, mais aussi les tenantes d’un féministe bourgeois éloigné des questions sociales, qui conçoit des chaises “anti-manspreading” (le manspreading qui consiste, pour un homme, à écarter un peu trop les jambes en position assise et donc à empiéter sur l’espace d’autrui) mais ne se mobilise pas contre la réforme de l’assurance-chômage, qui touche pourtant des milliers de femmes déjà précaires.
Gloria Steinem a défendu la cause féministe devant des amphithéâtres de campus bondés, dans des salles de conférences, des stades, des écoles, des motels, des restaurants.
Ainsi, Gloria Steinem a lutté aux côtés des Afro-Américaines, des Amérindiennes, pour les femmes de chambre, les prisonnières, les lesbiennes, les femmes au foyer, pour la liberté de procréation (et donc le droit à l’avortement). Elle a fondé le premier magazine féministe, “Ms.”. Elle était proche de Wilma Mankiller, la première femme cheffe de la nation Cherokee, et a assisté à l’élection des premières femmes au Congrès américain. En tant que “community organizer”, elle a défendu la cause féministe devant des amphithéâtres de campus bondés, dans des salles de conférences, des stades, des écoles, des motels, des restaurants, dans la rue.
Son autobiographie, “Ma vie sur la route”, est un épais pavé qui raconte, sur plus de quarante ans, ses nombreux combats et l’espoir indestructible qu’elle en a tiré. “Ce qui a été peut être à nouveau”, écrit-elle dans l’un de ses chapitres, dans lequel elle évoque les communautés amérindiennes, dont la culture, aujourd’hui presque disparue à cause du génocide et des politiques américaines que l’on ne présente plus, donne toute sa place aux divinités féminines et à la matrilinéarité – ce sont les lignées de femmes qui forgent les familles, et les hommes intègrent celle de leur épouse, et non l’inverse.
Gloria Steinem a vécu, c’est certain, mais elle n’en tire aucune gloire personnelle. Au contraire : elle loue sans arrêt la force du collectif, et en la lisant, on a envie de descendre le poing levé dans la rue et de crier, dans un monde où les femmes gagnent toujours moins que leurs homologues masculins, une bonne fois pour toutes à la révolution.
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