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Le 28 juin dernier, Nahel, lycéen de 17 ans d’origine algérienne, était sommairement exécuté par la police pour un délit routier, déclenchant une saine vague de révolte dans les banlieues et les quartiers populaires. Retour sur la situation.

L’extrême droite déjà-là : la dictature ne connaît que la répression et le mensonge

En dictature, et donc en France, on ne répond à une contestation de l’ordre raciste et policier que par plus de racisme, de violences et d’arrestations arbitraires.

Dans le cas du meurtre de Nahel, cela a été d’une rapidité époustouflante, elle a commencé quelques minutes après le crime. En effet, lorsque le premier ambulancier est arrivé sur la scène et a découvert le lycéen tué il s’est, notamment, écrié : “tu vois qu’il a une gueule d’enfant. Pour un défaut de permis ! Pour un défaut de permis, frère ! Je le connais le petit, je l’ai vu grandir ! Sa mère elle l’a élevé toute seule, son père il l’a quittée, elle va enterrer son fils ! Pour un défaut de permis !» Evidemment, celui-ci a été arrêté et placé en garde à vue. S’émouvoir devant le cadavre d’un gamin de son quartier, c’est déjà trop d’affronts pour la police et la Macronie.

Il faut dire que l’émotion face à la mort d’un jeune, ce n’est visiblement pas dans les moyens de notre police, celle-ci rigolant à gorge déployée devant la vidéo de sa mère endeuillée.  Cela pourrait sembler un summum d’abjection, si ces summums n’avaient pas déjà été atteints depuis longtemps, les policiers se répandant déjà en blagues atroces après la mort de Steve à Nantes à la suite d’une charge policière contre des jeunes qui dansaient pour la fête de la musique. 

On le sait, la police a menti en déclarant initialement que la voiture avait foncé sur le policier qui avait tiré pour protéger sa vie. Sans la vidéo c’est la version qui aurait été prise pour argent comptant – ce qui vous laisse imaginer les différences entre réalité et versions policières dans les cas sans vidéo, c’est-à-dire l’immense majorité des cas. L’absurdité de la version policière se poursuit : alors que la vidéo permet d’entendre le policier hurler à Nahel “Tu vas te prendre une balle dans la tête”, l’avocat du policier mis en cause a déclaré “Mon client voulait tirer dans les jambes, mais la voiture l’a poussé et fait remonter l’arme”.  Mais il n’y a pas que ça, les deux autres passagers du véhicule ont également donné leur version qui a mis beaucoup de temps à percer la carapace médiatique alors que des journalistes aux ordres s’empressaient de relayer tous les éléments de langage des ministères et des préfectures de police. 

Ces jeunes racontent donc qu’il y a bien eu refus d’obtempérer mais qu’ils se sont ensuite arrêtés un peu plus loin. Une fois à l’arrêt, les policiers auraient frappé les jeunes, et notamment Nahel à coups de crosse. Ce dernier aurait été très sonné et aurait fait repartir la voiture, moment où le policier l’aurait exécuté. Il est important de faire connaître cette version, car l’asymétrie d’informations et de pouvoir est totale par rapport à celle de la police. 

Suite au meurtre de Nahel des émeutes contre les violences policières ont donc éclaté un peu partout en France, dans les banlieues et les quartiers populaires, plus rarement dans les centres-villes. Quelle a été la solution proposée par le pouvoir ? Plus de police, plus de violences, plus de répression

Le mensonge d’Etat ne s’est pas limité au crime en lui-même mais à la structure dans lequel ce dernier s’est déroulé, Darmanin affirmant par exemple sans broncher que “le nombre de tirs policiers a diminué depuis 2017”. Oui sauf que voilà, non seulement le nombre de tirs sur des véhicules en mouvement n’a pas diminué depuis 2017 mais il a même nettement augmenté. Comme le note Le Monde, qui reprend les chiffres de l’IGPN (la police des polices) : “Dès après l’adoption de la loi de 2017, le nombre de tirs sur des véhicules en mouvement avait connu un pic, avec 202 faits, soit 65 de plus que l’année précédente”. Il était de “157 cas en 2021”, un chiffre qui reste “bien supérieur à celui d’avant 2017”. “Quand la moyenne s’établissait à 119 au cours des cinq années précédant la loi de 2017, elle atteint 150 par an les quatre années suivantes.” Et sur les tirs en général ? Même tendance : “Un pic a ainsi été atteint en 2017 (394 tirs). La moyenne des cinq années précédentes (250) est, elle aussi, inférieure à celle des quatre suivantes (297).” Ainsi, c’est Basta! qui le rappelle, grâce au travail essentiel de veille que ses journalistes fournissent, “la police tue 2 fois plus que dans les années 2010” avec un pic en 2021. 

Et il n’y a pas que dans le temps que notre police fait des exploits, la comparaison internationale permet de constater que la police française est “l’auteur du plus grand nombre de tirs mortels des pays européens étudiés et l’une des trois les plus racistes par les citoyens”, comme le rappelle Sebastian Roché, chercheur au CNRS spécialisé sur la police. 

Le culot des syndicats de policiers dépasse lui aussi l’entendement, Matthieu Valet, porte-parole du syndicat SIGP Commissaires déclarant par exemple que les émeutes sont “symptomatiques d’un Etat sauvage plutôt que d’un Etat de droit. La justice n’a pas à être rendue dans la rue”. Mais c’est précisément le problème : la police n’a pas à exécuter des jeunes dans la rue pour un délit routier puis à mentir pour couvrir son crime – c’est cela le signe que nous ne sommes pas dans un Etat de droit mais dans un Etat sauvage. 

Suite au meurtre de Nahel des émeutes contre les violences policières ont donc éclaté un peu partout en France, dans les banlieues et les quartiers populaires, plus rarement dans les centres-villes. Quelle a été la solution proposée par le pouvoir ? Plus de police, plus de violences, plus de répression. Comme il s’agit d’une population qui vote peu, contre laquelle les politiciens adorent taper parce qu’ils peuvent en tirer un bénéfice électoral, il n’y a besoin d’aucun ménagement. Bien au contraire, c’est l’occasion d’une démonstration de force, encore supérieure à ce qu’on a pu voir contre les Gilets Jaunes. 

A Lille, par exemple, des blindés ont été déployés, des troupes d’élites avec des armes de guerre. 

En dictature on ne se contente pas de répondre à la contestation par la violence et les arrestations, on essaye de passer tout sous son contrôle, comme les réseaux sociaux. C’est ainsi qu’Eric Dupond-Moretti, visiblement inspiré par la Chine ou l’Iran, a demandé de saisir “les opérateurs de type Snapchat”. Plus tard il déclarait aux participants aux révoltes que leurs comptes Snapchat et Tiktok seront “pétés, vous serez retrouvés et sanctionnés”.
Évidemment, à contrario, les comptes de policiers et de syndicats de policiers qui appellent à la haine sont épargnés par les mesures. 

L’apaisement selon Macron. Photo d’Aurélien Le Coq à Lille. 

Contrôler les réseaux sociaux est déjà un beau geste de dictature policière, mais cela est toujours en deçà de ce qu’on peut voir dans les régimes les plus durs, la tentation de carrément couper Internet façon Pyongyang trotte donc également dans la tête du pouvoir. On apprend en effet que le gouvernement a demandé aux opérateurs télécoms s’il était techniquement possible d’empêcher certains quartiers de se connecter à la 4G ou à la 5G

Mais comme si cela ne suffisait pas, les macronistes ont décidé, comme des mafieux de bas étage, de menacer les familles de ces jeunes pour se venger d’eux, leur disant “restez chez vous” sinon “vos parents risquent 2 ans de prison. A ce stade, on se demande pourquoi se limiter aux parents, et pourquoi pas emprisonner également les cousins ou les grands-parents ? Dupont Moretti, le ministre de la justice a répété la menace a de multiples reprises : le 30 juin il disait “les parents méritent de rendre des comptes” oubliant une fois de plus un des fondements du droit français (et de l’Etat de droit) “nul n’est responsable pénalement que de son propre fait” (article 121-1 du Code Pénal).

Comme si cela ne suffisait pas, les macronistes ont décidé, comme des mafieux de bas étage, de menacer les familles de ces jeunes pour se venger d’eux 

Face à ce racisme et ce déferlement de violences policières, l’idée que nous défendons, que l’extrême droite n’est pas “aux portes du pouvoirs” mais y est déjà, perce de plus en plus par son évidence. C’est également le propos que porte par exemple la philosophe Barbara Stiegler

Nouveauté notable – qui, mais ça ne sert même plus à rien de faire la liste à ce stade, était un des éléments de crainte face à la possible élection de Le Pen, et donc un des motifs de barrage – la police laisse des bandes de militants fascistes s’en prendre à des jeunes et venir “en renfort”, comme ça a été le cas à Lyon.

L’ONU lui-même via son Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH) s’est inquiété du racisme de la police française dans une déclaration du 30 juin. Quelle a été la réaction du pouvoir ? Le déni, le mensonge et la condamnation : “toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l’ordre en fFrance est totalement infondée. (…) La France, et ses forces de l’ordre luttent avec détermination contre le racisme et toutes les formes de discriminations. Aucun doute n’est permis dans cet engagement.
En dictature, il n’est pas permis de douter de la police, toute critique est par nature infondée. 

Une propagande médiatique hyperactive

Pour réaliser le SAV de la police assassine, de la répression et du gouvernement, les médias dominants font preuve d’une servilité et d’un zèle qui confèrent à l’obscène. 

La première réaction de nombre de médias et d’éditocrates médiocres ont donc été de vomir leur bile sur le jeune Nahel, rappelant toutes ses erreurs de parcours, semblant suggérer qu’elles atténueraient, d’une certaine façon, le crime. C’est par exemple le rôle que s’est donné l’immonde Olivier Truchot des Grandes Gueules (RMC) pensant utile de rappeler que Nahel avait déjà été jugé pour un délit routier et qu’il était sous le coup d’une mesure éducative prononcée par la juge des enfants. Bien sûr, ce grand déballage dégueulasse ne s’est pas appliqué au policier incriminé, aucun journaliste ne jugeant intéressant de savoir quelle est son orientation politique, si celui-ci avait déjà fait l’objet d’une enquête de l’IGPN ou de blâmes etc. 

Le racisme qui imprègne la société française rend rare les personnalités célèbres, ou de pouvoir, issues des quartiers. On le sait, le football est un des rares domaines où les jeunes arabes et noirs sont autorisés à réussir : c’est entre autres, ce qui explique un surinvestissement dans ce sport d’une partie d’entre eux, et aussi pourquoi, quand ils réussissent à intégrer des équipes prestigieuses, ce sont spécifiquement ces riches-là sur laquelle la droite ou la gauche bourgeoise s’acharnent. 

Ce grand déballage dégueulasse ne s’est pas appliqué au policier incriminé, aucun journaliste ne jugeant intéressant de savoir quelle est son orientation politique, si celui-ci avait déjà fait l’objet d’une enquête de l’IGPN ou de blâmes etc. 

Plusieurs jeunes footballeur se sont donc exprimés sur le meurtre de Nahel. C’est notamment le cas de Jules Kounde, membre du FC Barcelona et de l’Equipe de France, qui a analysé avec pertinence la propagande médiatique : “Comme si cette nouvelle bavure policière ne suffisait pas les chaînes d’information en continu en font leurs choux gras. Des plateaux déconnectés de la réalité, des “journalistes” qui posent des “questions” dans le seul but de déformer la vérité, de criminaliser la victime et de trouver des circonstances atténuantes là où il n’y en a aucune. Une méthode vieille comme le monde pour masquer le vrai problème. Et si on éteignait un peu la tv pour s’informer ?”.
Tchouanemi Aurélien du Real Madrid a également publié une lettre ouverte

Partout dans les médias dominants, c’est la version policière qui domine et qui est diffusée. 

Cela va même très loin puisque la télévision d’Etat, France TV, est même allée jusqu’à diffuser des fake news pour défendre l’institution policière. L’ONG Index (une ONG d’investigation indépendante) a essayé de rendre le son de la vidéo du meurtre de Nahel plus audible et n’est pas parvenue à une conclusion certaine sur les paroles qu’on y entend. Sauf que France TV a sous-titré la vidéo en y ajoutant le version de l’IGPN, la dite “police des police”. Or cette dernière continue de faire des blagues car c’est ce que font les clowns. On attend toujours le moment où ils dévoileront, lors d’un show dédié, qu’ils n’étaient en fait qu’un gigantesque canular, mais il tarde à venir. Car bien que des millions de français aient tous entendu la même chose dans la vidéo, les oreilles des membres de l’IGPN fonctionnent de manière différente. Vous avez entendu “Shoote le ! Je vais te mettre une balle dans la tête”, ils ont entendu “Coupe ! Les mains derrière la tête. La fake news a été repérée et France 2 a été contrainte de faire un rectificatif discret. 


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A Frustration nous insistons sur le fait qu’il y a toujours deux versions à une histoire et à un conflit. Le point de vue des “émeutiers” est extrêmement absent médiatiquement, cela participe grandement à l’incompréhension voire à la détestation d’une partie de l’opinion pour le mouvement. Et quand il y a de rares exceptions, vous pensez qu’on entendrait les jeunes qui se révoltent ? Qu’ils seraient invités sur les plateaux pour qu’on comprenne ce qui les motivent ? qu’on aurait des vrais reportages ? Non, ils préfèrent inviter Mathieu Kassovitz au mieux… 

Il faut donc aller chercher dans les médias étrangers, donc pas aux ordres, des informations de qualité et des analyses de la réalité de ce qu’il se passe. The Guardian, célèbre journal britannique, écrivant par exemple : “le plus déprimant dans la mort du jeune Nahel M. est sa familiarité : un homme ou un jeune garçon d’origine immigrée décédé après un contact avec la police ; des officiers qui font porter la faute sur la victime”. Ce qui frappe dans cet extrait c’est le rappel qu’il s’agit d’un “garçon d’origine immigrée”. En effet la dimension raciale du crime est parfaitement absente de l’analyse proposée par les médias de masse français. David Thomson, correspondant aux Etats-Unis à RFI, souligne bien cette différence de traitement qui influe sur la perception de l’opinion sur l’acte lui-même : “Quand nous, journalistes français, couvrions la mort de George Floyd, chacun de nos papiers mentionnait que cet afro-américain avait été tué par un policier blanc. A Nanterre, un arabe français a été tué par un policier blanc. Une réalité absente des médias français mais omniprésente dans les médias américains”. 

Il y a aussi, bien sûr, les médias alternatifs et indépendants comme le nôtre, mais ces derniers sont fragiles et menacés. Ils connaissent actuellement de fortes restrictions, c’est le cas par exemple de Contre Attaque

Un jeune arabe de 17 ans tué : la droite applaudit, jubile, jouit. 

Du côté de la droite, les réactions ne se sont pas fait attendre : si Nahel est mort c’est parce qu’il n’a pas respecté la loi. C’est ainsi que le député européen LR, François-Xavier Bellamy, soi-disant catholique, a montré toute l’empathie dont il est capable lorsqu’un lycéen est exécuté : “s’il est mort c’est d’abord parce qu’il a cherché à se soustraire” à la police. On notera pourtant que malgré les tas d’affaires judiciaires, de corruption, de détournements de fonds, de fraudes fiscales, dans lesquelles ont été pris les pontes de son parti pourrissant, aucun d’entre eux n’a jamais été exécuté sommairement. 

Eric Ciotti, président des Républicains, lui ne parle que d’immigration, son obsession dans la vie, et veut faire de la déchéance de nationalité à tour de bras. On se demande si la mesure s’appliquerait aux délits de détournements de fonds publics

Le Rassemblement National de Le Pen, comme les macronistes, veut s’en prendre aux familles. On coupe les allocations familiales quand il y a récidives auprès de mineurs” nous dit Philippe Ballard. Pas bête comme ça, ça empêchera les mineurs de recommencer ! Ah bah non. C’est complètement con en fait. 

François-Xavier Bellamy, soi-disant catholique, a montré toute l’empathie dont il est capable lorsqu’un lycéen est exécuté : “s’il est mort c’est d’abord parce qu’il a cherché à se soustraire” à la police. On notera pourtant que malgré les tas d’affaires judiciaires, de corruption, de détournements de fonds, de fraudes fiscales, dans lesquelles ont été pris les pontes de son parti pourrissant, aucun d’entre eux n’a jamais été exécuté sommairement. 

De son côté, Jean-Pierre Raffarin (oui oui il existe encore), très oubliable et oublié premier ministre de 2002 à 2005 sous Chirac, pense que la violence des émeutes est le fait non pas l’exécution sommaire d’un jeune de 17 ans par la police mais de…Jean Paul Sartre. “Quand Jean Paul Sartre lançait l’idée selon laquelle “l’homme est innocent de lui-même” il a servi la légitimation de la violence” nous dit-il (il faut savoir qu’historiquement la violence a été inventée avec Jean-Paul Sartre et n’existait pas avant lui). Guillaume Etievant, responsable de la rubrique économique de Frustration, rappelait donc que “Sartre légitime une certaine violence révolutionnaire non pas car les hommes seraient innocents, mais au contraire car ils sont pleinement responsables de leurs actes. Mais pour le savoir il faudrait le lire et non pas sortir une citation hors de son contexte et sans la sourcer.” 

Est-ce qu’on tue sommairement tous les responsables de LR qui ont des soucis avec la justice ? Non, alors bon.

Mais la pire obscénité est venue de l’extrême droite avec sa cagnotte d’un million d’euros pour la famille du flic criminel lancée par le zemmourien Jean Messiha. Le message est clair, il s’agit de féliciter ceux qui tuent des jeunes arabes. Evidemment, la cagnotte se porte bien et n’a pas été interdite, là où, quand,  le boxeur Dettinger avait été arrêté pour trois coups de poings à des CRS casqués dans un moment ultra repressif des Gilets Jaunes, la cagnotte qui avait été mise en place pour lui avait été bloquée, l’argent ne lui avait pas été remis et de nombreux donateurs et donatrices avaient été convoqués par la police. 

A ce sujet notre première ministre s’est contentée d’un lacunaire et euphémisant : “le fait que ce soit une personne proche de l’extrême droite qui a lancé cette cagnotte ne contribue pas sans doute à apporter de l’apaisement”. Il est certain que si elle avait été lancée par des macronistes cela aurait été très apaisant, formidable et républicain. 

Seule exception notable dans ce camp là, Alain Bauer, consultant sécurité pour Nicolas Sarkozy à l’époque, rappelant à propos du crime que “d’abord rien ne colle dans l’application des gestes techniques” et que “d’autre part il y a le mensonge sur les circonstances”. 

La Nupes : la police est raciste et brutale ? une seule solution…plus de police !

20 ans. C’est le temps que la gauche a eu pour réfléchir sur la situation des banlieues, la question du racisme et des violences policières, depuis les émeutes de 2005. Ces émeutes avaient fait suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, deux jeunes de 15 et 17 ans, morts à la suite d’une course poursuite avec la police à Clichy-sous-Bois.  

Vous pensez que ça a avancé ? Nop. 

La Nupes est l’alliance, un peu consternante, entre la France Insoumise et trois groupuscules pourrissants : le Parti Socialiste, Europe-Ecologie Les Verts et le Parti Communiste Français. Dans la séquence, ces trois partis semblent s’être faits concurrence pour savoir qui gagnerait le concours de la réaction la plus lamentable. 

Pour commencer par le PS, on rappelera à toutes fins utiles, que l’autorisation de tirer pour un refus d’obtempérer a été incroyablement facilitée par Hollande et son premier ministre de l’époque, Bernard Cazeneuve (avec lequel Fabien Roussel, PCF, souhaiterait s’allier). Comme le souligne Médiapart, le Défenseur des droits (Jacques Toubon à ce moment-là) avait condamné le texte et le président de la Ligue des droits de l’Homme (association d’ailleurs menacée aujourd’hui par Darmanin) avait dénoncé un “permis de tuer”. Olivier Faure, leader du PS aujourd’hui, lui n’avait pas vu de problème et s’était empressé de voter la loi. Cela n’a pas empêché l’ancien président, François Hollande, d’aller parader de médias en médias pour vomir sa novlangue de gros bureaucrate (“c’est notre modèle social et républicain qu’il faut approfondir” et autres banalités vides), façon de faire oublier sa lourde responsabilité dans la situation (ne comptez pas sur un journaliste pour la lui rappeler). Lui aussi, comme Dupont-Moretti, pense que le problème c’est “l’éducation”. Les jeunes noirs et arabes sont encore un peu trop insoumis et turbulents, ils n’ont pas été bien dressés, “il faut réhausser les moyens alloués à l’école”. Alors pourquoi pas, si c’est pour y renvoyer les flics et qu’ils y apprennent quelques bases, comme ne pas exécuter sommairement les gens pour des délits routiers. 

Fabien Roussel, le “communiste” préféré de la bourgeoisie, postule comme ministre de l’intérieur. Une reconversion pas si étonnante pour ce gérant de Buffalo Grill.

A Europe Ecologie Les Verts pas beaucoup mieux. Le Maire Nupes-EELV de Lyon réclamant “des renforts supplémentaires. Il aurait pu en réclamer pour toutes les attaques d’extrême droite dans sa ville, mais on ne demande pas aux pyromanes d’éteindre le feu. 

Le pire étant, comme toujours, du côté du Parti Communiste Français et de son leader réactionnaire Fabien Roussel, lui proposant carrément de “couper” les réseaux sociaux “quand c’est chaud dans le pays”. Qu’est-ce que les communistes ne feraient pas pour protéger l’ordre capitaliste hein ?

Côté France Insoumise, la situation est plus complexe et on sent qu’il y a là une ligne de fracture. 

Une partie (la “tendance Ruffin”) voit l’affaire comme un bourbier et préfère avoir le rapport le plus neutre possible, attendre que ça passe, espérant ne pas froisser un électorat qu’il s’imagine incapable de comprendre la colère des quartiers face aux violences policières. C’est vite oublier que grâce au mouvement des Gilets jaunes et à celui contre les réformes des retraites, de nombreux travailleurs blancs et travailleuses blanches (la cible électorale du ruffinisme) ont expérimenté dans leur chair, la brutalité de l’arbitraire et du mensonge policier, et que cette expérience commune est désormais à prendre en compte, est un point d’appui, pour que ces deux mondes qui se fréquentent peu se comprennent mutuellement. 

Une autre appelle à respecter les institutions et l’ordre contre lesquels les jeunes essayent de se révolter. C’en est ainsi de François Piquemal, député de Toulouse, déclarant “on peut comprendre la colère et l’émotion mais le violence ne résout rien, la Justice oui”, n’étant visiblement pas très au fait des moyens d’obtenir justice dans le cas d’un crime policier raciste. Comment on fait les afroaméricains pour obtenir justice pour le meurtre policier de Georges Floyd ? Ont-ils fait des sit-ins ? Ont-ils attendu patiemment que justice se passe et que le flic en sorte blanchi ? Non. Ils ont forcé le grotesque Trump à aller se planquer comme un lâche dans son bunker et ont obtenu la condamnation à 21 ans de prison de Derek Chauvin, le flic assassin. Même son de cloche du côté d’Alma Dufour, députée de Seine-Maritime, se rendant auprès des commerçants pour leur exprimer toute sa solidarité et réclament plus de “forces de polices pour sécuriser la ville”. Plus de police pour faire face à la contestation de mineurs contre les violences policières et afin de protéger le commerce, voilà la ligne d’une partie de la France Insoumise. 

L’incapacité chronique de la gauche à s’intéresser et à comprendre la “situation des banlieues”, autrement que sur un ton paternaliste et moral, est un grave problème car elle participe à priver ces révoltes de débouchés politiques concrets et positifs

On a tout de même, et heureusement, entendu d’autres voix comme David Guiraud, refusant l’injonction d’appeler au calme : “je n’appelle pas au calme, j’appelle à la justice”. Cela a d’ailleurs suffit à générer les réactions outragées des macronistes, à l’image de la députée Nadia Hai (“ras-le-bol de ces élus qui utilisent les habitants des quartiers comme bouclier à leur projet politique. Les déclarations de ce député de la France Insoumise sont irresponsables”), démontrant une fois de plus la misère absolue de la “pensée électorale” qui s’imagine que nos élus nous représentent réellement, ont vraiment une influence sur nous, comme si des jeunes harcelés par les flics, dont un des potes s’est fait flinguer sommairement, se “calmeraient” soudainement, “rentreraient à la maison” parce qu’un député de gauche leur demanderait à la télévision…

On peut tomber dans les pièges rhétoriques pourris de la bourgeoisie médiatique ou, comme David Guiraud, les retourner avec brio

Jean-Luc Mélenchon, probablement la personnalité politique de premier plan la plus avancée sur la critique de l’institution policière, a rappelé que le policier en question était un assassin et a demandé l’abrogation de la loi “permis de tuer”.

L’incapacité chronique de la gauche à s’intéresser et à comprendre la “situation des banlieues”, autrement que sur un ton paternaliste et moral, est un grave problème car elle participe à priver ces révoltes de débouchés politiques concrets et positifs. Elle ôte à ces personnes leurs possibilités d’auto-organisation. L’islam radical qui y a malheureusement progressé pour partie n’a d’ailleurs pas rien à voir avec cet abandon et cette répression, car il est une des rares formes de politisation et de grilles de lectures offertes à ces quartiers et ces habitants méprisés et souvent privés d’avenir. 

Il serait donc vraiment temps de proposer autre chose qu’une fichue “police de proximité”. Comme si, toujours, ce qu’on avait à proposer aux jeunes des quartiers populaires, c’était toujours plus de flics (“oui mais c’est super ils jouent au basket avec les jeunes haan”). 

Obtenir justice, se révolter

Les opposants arrêtés, les organisations contestataires dissoutes et la police qui exécute les jeunes des quartiers, c’est le même mal. Cela doit nous conduire aux convergences les plus larges possibles, et à un soutien efficace de la mobilisation en cours contre l’arbitraire policier et judiciaire, contre la dictature. 

Des premiers éléments de convergence ont pu être aperçus : lors des rassemblements de soutien aux Soulèvements de la terre, dont le gouvernement a lancé la dissolution, les premières interventions ont été consacrées à Nahel et contre les violences policières. 

Les jeunes des quartiers ont laissé éclater leur colère, montrant à l’Etat qu’ils ne laisseraient pas leurs frères se faire assassiner sans réagir. Des émeutes ont donc éclaté un peu partout en France, à commencer par Nanterre, là où le crime a été commis. Dans la nuit du jeudi 29 au vendredi 30 juin, c’est 500 bâtiments publics et 1900 véhicules qui avaient été incendiés. A la Courneuve, mais dans bien d’autres endroits, ils ont utilisé des feux d’artifice. A Aubervilliers, ils s’en sont pris aux infrastructures, notamment à la RATP. A Marseille, une armurerie a été pillée

Ils s’en sont aussi largement pris à l’économie et au commerce, ayant visiblement compris que derrière l’Etat il y a le capital : le patron du Medef venant chouiner sur les “un milliard d’euros de dégats”, les 200 commerces pillés, les 300 agences bancaires et les 250 bureaux de tabac détruits. Comme dans les révoltes et révolutions récentes, et c’est une nouveauté par rapport à 2005, la coordination des actions est permise par les réseaux sociaux. On a également vu se former des cortèges dans les centres-villes, comme à Paris

L’émeute, aussi chaotique et désordonnée qu’elle puisse paraître, est une forme connue de contestation. Pendant la Révolution française, la prise de la Bastille elle-même a débuté par des pillages et des émeutes… Aux Etats-Unis le mouvement pour les droits civiques, contre les lois racistes, dans les années 1960, a été marqués par des émeutes et des pillages spectaculaires.

Il ne s’agit pas de formes de contestations classiques, encadrées, et elle émane de personnes, souvent mineures, plongées dans des climats extrêmement violents. Cela donne parfois des formes chaotiques qui peuvent légitimement effrayer (attaque contre l’habitation d’un élu, tirs de mortiers contre des travailleuses du sexe, tabassage de journalistes, passage à tabac d’un prêtre de 80 ans…), on peut les condamner moralement pour se rassurer tous ensemble de notre commune empathie et humanité, mais ça ne change rien aux conclusions politiques à en tirer : si l’on veut que les violences cessent, alors il faut que leurs causes cessent. 

A Frustration, nous comprenons et sommes sensibles à la peur, légitime, que suscite les émeutes, en premier lieu chez les habitants des quartiers eux-mêmes. Car, en effet, le niveau de violence étant très élevé, le drame n’est jamais loin (un incendie qui pourrait dégénérer, d’autres jeunes qui pourraient mourir etc). 

Toutefois l’émeute, aussi chaotique et désordonnée qu’elle puisse paraître, est une forme connue de contestation. Pendant la Révolution française, la prise de la Bastille elle-même a débuté par des pillages et des émeutes… Aux Etats-unis le mouvement pour les droits civiques, contre les lois racistes, dans les années 1960, a été marqué par des émeutes et des pillages spectaculaires.

Parmi les choses qui ont choqué la bonne conscience de gauche il y a les incendies de médiathèques (les mêmes qui étaient très inquiets des fermetures de librairies pendant le covid) et d’écoles, plus généralement l’idée que ces jeunes brûleraient “leurs propres quartiers”. On passera sur le fait que c’est le propre des insurrections (les communards brûlaient Paris, leur propre ville). Mais au-delà de ça il faut comprendre que des institutions que l’on considère parfois comme des biens communs, en particulier l’école, remplissent, dans certains endroits en particulier, un rôle de contrôle des populations. On prive une partie de la population des chances d’accéder à une réelle “intégration sociale” (c’est-à-dire à un travail qui offre de bonnes conditions, près de chez soi, avec un salaire décent et un cadre de vie agréable) mais on doit légitimer cette situation – qui est une situation de classe et raciste héritée du colonialisme. Pour se faire il s’agit de dire à cette jeunesse qu’elle est “nulle à l’école” et qu’elle mérite donc son exclusion. Pour beaucoup de ces jeunes, l’école devient ainsi un lieu d’humiliation, de contrôle social, de violences, dans lequel ils comprennent vite qu’on les prive d’avenir. Il n’y a rien d’étonnant dans ces conditions que des écoles (les bâtiments) soient aussi prises pour cibles. 

Pour beaucoup de ces jeunes, l’école devient ainsi un lieu d’humiliation, de contrôle social, de violences, dans lequel ils comprennent vite qu’on les prive d’avenir. Il n’y a rien d’étonnant dans ces conditions que des écoles (les bâtiments) soient aussi prises pour cibles. 

D’une manière générale, il est normal, dans un moment de contestation dure, de ne pas être à l’aise avec toutes les formes que prennent cette contestation. Mais il est bien d’essayer de comprendre comment des jeunes deviennent des boules de rage, de colère et de tristesse, car ce n’est qu’ainsi que l’on peut réaliser qu’à situations égales, nous agirions sans doute de la même manière. Se contenter de pures considérations morales (“ça c’est légitime”, “ça c’est mal”, “ça c’est bof”…) ne fait pas avancer grand chose. 

Il faut aussi légèrement nuancer : malgré une intensité inédite, aucun policier n’a été tué, aucun élu etc. (alors qu’on parle bien de tués chez ces jeunes) – les cibles restent très essentiellement matérielles, des biens inanimés (des façades d’institutions publiques, des voitures, des commerces…). Il faut donc remettre les choses à l’endroit dans une société ultra fétichiste et marchande et rappeler que des objets détruits sont toujours absolument dérisoires face à des vies ôtées ou bousillées. Les vitrines cassées seront remplacées, les façades de mairie seront reconstruites, les assurances et l’Etat indemniseront, mais que ferons-nous de nos morts ? 

Il faut également rappeler que dans le cas présent les formes pacifiques et classiques de protestation, comme le rassemblement à la Concorde, ont également été interdites et réprimées. Il est donc paradoxal de déclarer, comme le fait le pouvoir, que “la violence ne résout rien” tout en interdisant les rassemblements pacifistes… 

Mais au-delà des formes que prennent la révolte, la question qui importe est que veulent exactement “les émeutiers” ? 

Quelles revendications ?

Les émeutes auxquelles nous assistons sont un mouvement social. Celui-ci n’a pas des formes classiques car il n’est pas encadré, il est le fait de personnes très jeunes qui ne disposent pas de médias, qui n’ont pas d’organisations représentatives, dont les élus ne les représentent pas. Il ne faut pas donc s’attendre à trouver des pancartes, des slogans, des manifestes et autres identifiants classiques des mouvements sociaux de travailleurs  (bien que dans ces cas là aussi les revendications puissent également être diffuses ou peu “structurées”).

Cela ne veut pourtant en aucun cas dire que nous avons affaire à un mouvement nihiliste de violence pour la violence ou de pillards, comme aime à faire croire une classe politique et médiatique qui ne comprend rien et aime animaliser les noirs et les arabes, en héritage de la période coloniale. La révolte en cours a au moins deux objets évidents que sont la violence arbitraire de la police et le racisme. Comme le dit Rokhaya DialloLa France a ignoré la violence raciste de la police pendant des décennies. Ce soulèvement est le prix de ce déni”. 

On peut distinguer trois types de revendications possibles, celles de court terme, d’urgences, des mesures de moyen terme pour améliorer le cadre et les conditions de vie des habitantes et habitants des quartiers populaires, et des mesures de fond qui s’attaquent aux racines du problème soulevé par cette révolte. 

Cela ne veut pourtant en aucun dire que nous avons affaire à un mouvement nihiliste de violence pour la violence ou de pillards, comme aime à faire croire une classe politique et médiatique qui ne comprend rien et aime animaliser les noirs et les arabes, en héritage de la période coloniale

Pour les mesures d’urgences, qui constituent des revendications minimales, celles d’Attac peuvent donner une direction : démission du ministre de l’Intérieur, interdiction d’utilisation d’armes de guerre et des techniques au risque létal, abrogation de l’usage des armes en cas de refus d’obtempérer. A ces dernières on pourrait ajouter l’abrogation de la loi “permis de tuer” du Parti socialiste, la légalisation du cannabis pour arrêter l’obsession du flagrant délit et le harcèlement policier (très étrangement ce harcèlement est moins présent pour trouver la cocaïne ou la MDMA de la jeunesse bourgeoise), la condamnation du meurtrier de Nahel à une peine de prison à la hauteur du crime commis (l’assassinat à bout portant d’un lycéen désarmé). 

Mais tout cela ne résoudra pas les problèmes de fonds que ce cri de rage laisse percevoir. C’est tout un modèle d’urbanisme qu’il faut repenser, sortir le plus vite possible du modèle de la métropole capitaliste avec ses banlieues pour travailleurs pauvres immigrés et ubérisés, souvent exclus du marché du travail formel, entassés dans des logements grisâtres et insalubres, avec un accès limité à des services publics minimaux. Il faut également une réelle politique d’emplois. 

Mais la réalité est que ces revendications intermédiaires resteront peu accessibles tant que ne seront pas adressées les causes encore plus profondes, structurelles, de la situation : le rapport néocolonial de l’Etat français aux populations non-blanches. C’est au racisme d’Etat, à la division raciste du travail (les emplois les plus pénibles étant occupés par les travailleuses et travailleurs non-blancs, d’origine immigrée ou non) qu’il faut s’attaquer frontalement, ainsi que questionner sacrément le rôle de la police en démocratie. 


Rob Grams


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