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L’automne arrive, le temps des piques niques et des canicules touche à sa fin (ou pas), mais les fans de football s’en fichent parce que, pour eux, seul compte le retour à la compétition. Après un mois de championnat, c’est le début des coupes d’Europe ! Enfin, on va savoir si notre club préféré a bien bossé lors du mercato d’été, cette période sans match durant laquelle chaque équipe fait le bilan de sa saison, analyse ses qualités et ses défauts mais surtout, tente de se renforcer pour celle à venir. En politique, on aurait pu faire pareil, nous retourner sur l’année écoulée pour préparer celle qui vient de commencer, mais il faut croire que ce travail important – demandez aux supporters du PSG – n’a pas été effectué. Dans ces conditions, difficile d’envisager une saison sans déception – demandez encore aux supporters du PSG. Alors on s’y est collé. Et si on s’en donne les moyens, qui sait, cette année pourrait bien être la nôtre – demandez aux supporters du PS… okay, j’arrête. 

N’y allons pas par quatre chemins : les bourgeois et leur champion, Emmanuel Macron, ont le vent en poupe. Leurs profits se portent bien, mieux que jamais même. Pour cause, notre président n’est pas le premier à défendre farouchement les intérêts de sa classe. Sarkozy et Hollande l’avaient également fait de bon cœur, comme à peu près tous ceux qui les ont précédés. Logique, donc, qu’ils aient un peu d’avance, et que le monde capitaliste pète le feu (du point de vue bourgeois du moins, et sans aucun mauvais jeu de mot avec le réchauffement climatique). 

Pourtant, la volonté de brosser les actionnaires dans le sens du poil tout en rackettant de plus en plus les travailleurs et les précaires confine, chez Macron plus encore que chez nos anciens présidents, à l’obsession pathologique. Les chômeurs ont vu leurs allocations baisser drastiquement (la réforme de 2021 a fait perdre à près d’un chômeur sur deux 13% de ses revenus en moyenne !), les bénéficiaires du RSA seront bientôt obligés de travailler 15h par semaine pour toucher leurs aides tandis qu’un nouveau régime de sanctions à leur encontre a été adopté au Sénat le 11 juillet, tandis qu’une nouvelle réforme du travail est prévue pour la rentrée – au risque de vous décevoir, il y a peu de chance qu’elle aille dans le sens d’une réappropriation des moyens de production par les travailleurs. 

Les chômeurs ont vu leurs allocations baisser drastiquement (la réforme de 2021 a fait perdre à près d’un chômeur sur deux 13% de ses revenus en moyenne !), les bénéficiaires du RSA seront bientôt obligés de travailler 15h par semaine pour toucher leurs aides tandis qu’un nouveau régime de sanctions à leur encontre a été adopté au Sénat le 11 juillet, tandis qu’une nouvelle réforme du travail est prévue pour la rentrée

Dans un autre registre, peut-être plus spectaculaire médiatiquement, le gouvernement Macron (notamment son ministre de l’intérieur, le sémillant Gérald Darmanin) semble s’être découvert un nouveau hobby : écraser par la force les opposants politiques. Les manifestants ou habitants de quartiers populaire mutilés, enfermés voir tués par la police, en savent quelque chose – des gilets jaunes à Nahel en passant par les écolos présents à Sainte-Soline. A cela, il faut ajouter les multiples tentatives de dissolutions de groupes divers et variés, parce qu’ils luttent contre l’extrême droite (la GALE – Groupe Antifasciste Lyon et Environs) ou veulent sauver la planète (les Soulèvement de la Terre) par exemple. Signe que le gouvernement est en roue libre: une députée macroniste a même été jusqu’à évoquer la dissolution de la France Insoumise. Si les risques de voir un tel évènement se produire sont faibles (pour l’instant du moins, car qui sait de quoi sera fait l’avenir, surtout à ce train là), l’anecdote en dit long sur la radicalisation des bourgeois au gouvernement qui pensent que la république, pour ce qu’elle vaut, n’est plus qu’eux.

En bref, partout, la macronie tape fort sur ce qui ne colle pas à son dogme start-uppiste. Si la bourgeoisie ne peut convertir les pauvres à ses propres intérêts, alors elle les puni. Dans ces conditions, lui résister est vital. Ça tombe bien: au milieu de ce marasme, il y a aussi plusieurs notes d’espoir. 

La rue, c’est la champions league 

C’est que nous sortons d’une demi-année civile plus agitée qu’une tribune de supporters anglais biberonnés à la Guinness. Elle a commencé avec un mouvement social massif ET inventif: en plus de l’incontestable succès numérique de la mobilisation contre la réforme des retraites, de nouvelles pratiques ont émergés (pensée émue aux saboteurs de la CGT énergie) tandis que d’autres ont enfin été acceptées (notamment les stratégies de manifestations plus offensives, comme le soulignait Ouest France après le 1er mai). Ce retour à l’action directe par les manifestants, après des années de pseudo dialogue social, s’est aussi retrouvé lors de la mobilisation contre les méga bassines à Sainte-Soline. Et si on a surtout retenu de cette journée le déchaînement de la violence policière, c’est bien parce que le gouvernement et le capital craignent ce type d’actions, qui entravent concrètement sa bonne marche. 

Mais la mise à mal de l’économie ne réside pas que dans la pince coupante ou le pavé volant. Rester chez soi, ça marche aussi. Le mouvement contre la réforme des retraites a ainsi été marqué par des grèves courageuses qui, si elles avaient été plus massives, auraient pu faire plier le gouvernement. Certes, à la finale, Macron n’a pas cédé face à la contestation. Mais sa vitalité pourrait inspirer les mobilisations à venir. 

Après de tels mois, bien que vainqueur, le président souhaitait l’apaisement. Il nous avait demandé cent jours. Pari perdu pour Manu, la faute à un énième flic un peu trop crispé sur la gâchette de son arme – un phénomène étonnement fréquent lorsqu’un gardien de la paix rencontre un jeune racisé. Résultat: des nuits d’émeutes dans plusieurs villes de France, des unités anti-terroristes envoyées pour mater la colère, de nouvelles victimes… Mais aussi le soutien d’une partie de la gauche institutionnelle, si ce n’est aux émeutes, du moins à la demande de justice et de vérité de la famille (Voir la réponse sans ambiguïté de David Guiraud de la France Insoumise). Le pouvoir, à cet instant, a eu peur: pour la première fois, Macron et Darmanin ont condamné le geste d’un policier. Pas par conviction, évidemment, mais parce qu’ils craignaient la riposte populaire. Ici aussi, il y a de quoi s’inspirer pour les mois à venir. 

Contre son camp 

Quand un gouvernement est aussi contesté, pour ne pas dire détesté, il a vite fait de ne plus tenir que par sa police. Celui d’Emmanuel Macron n’a pas fait exception. On a déjà parlé des gilets jaunes, qui, sans flics, se seraient pour la plupart fait un malin plaisir d’aller toquer à la porte de l’Elysée. Les manifestations contre la réforme des retraites ont elles aussi été gérées à la matraque, puisqu’il ne restait que ça pour dompter les opposants. Problème: depuis la mort de Nahel, l’alliance de l’Etat et des flics bat de l’aile. La mort filmée du jeune, les abus policiers (des mutilés à la pelle, un mort) lors des manifestations qui ont suivi ont forcé la justice à réagir et à faire quelques exemples. Le tueur de Nahel a été incarcéré, tout comme le policier qui, à Marseille, a brisé le crâne d’Hedi en visant, à moins de cinq mètres de lui, la tête du jeune homme avec son LBD. En conséquence, des dizaines de flics ont fait de fausses déclarations d’arrêt maladie, certains disent (bien qu’on puisse en douter) ne plus vouloir s’équiper de lanceurs de balles en caoutchouc, et un communiqué clairement séditieux et raciste a été publié par les syndicats majoritaires de la profession.

Ce qui servait d’armure à Macron semble se fissurer quelque peu. 

Bien sûr, l’opposition des forces de l’ordre au gouvernement reste relative et repose sur des revendications encore plus droitières que les droits que leur accorde déjà Darmanin. Leurs syndicats sont régulièrement reçus au ministère de l’intérieur et on peut déjà remarquer, dans les revendications annoncées, la demande de ce qui ressemble de plus en plus à un permis de tuer (la fameuse présomption de légitime défense). Il faudra suivre cette rencontre et être attentif à ce qui en résultera, mais tout de même: ce qui servait d’armure à Macron semble se fissurer quelque peu. 

Plus intéressant est le discrédit auquel est associé le gouvernement. Bien sûr, plus personne ne le soutient, si ce n’est la bourgeoisie la plus radicalisée. Mais désormais, quelques institutions semblent même aller à son encontre, fut-ce épisodiquement. C’est notamment le cas au sujet de la dissolution des Soulèvements de la Terre. Le mouvement écologiste avait été ciblé par Darmanin et qualifié d’éco-terroriste, avant d’être visé par une demande de dissolution. Demande qui a finalement été suspendue le vendredi 11 août par le conseil d’Etat. Si cette décision n’est encore que temporaire et devra être confirmée à l’automne, on peut tout de même savourer le coup dur que représente cette décision pour Darmanin. Ce qui devait être une démonstration d’autorité de l’Etat s’est finalement transformé en camouflet. Le pouvoir n’est donc pas si solide. 

Le petit poucet

Un gouvernement friable, des flics en crise, des mouvements sociaux forts et la colère qui gronde… Ces éléments donnent espoir: il est toujours possible de faire dérailler la marche du train néo-libérale. Bien sûr, il reste un ennemi redoutable, plus fort sur le papier. Mais tout est possible. 

En football, une seule compétition, la coupe de France, voit s’affronter clubs amateurs et les mastodontes professionnels. Lors de soirées magiques, par sa vaillance, l’équipe de boulangers du coin arrive parfois à faire tomber les stars. Les journalistes sportifs se plaisent alors à parler de “l’exploit du petit poucet de la compétition”. On loue la solidarité de ces gens qui pourraient être nos voisins et qui, enfin, tapent ceux qui sont si loin de nous. Comme quoi, même sans un rond, on peut faire tomber des millionnaires – quitte à leur péter les tibias au passage. Et, n’en déplaise à Macron, il y a bien des ponts à faire entre le foot et la politique.


Guillaume Bolzinger 


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