Photo de Une tirée du film « OSS 117, le Caire nid d’espions », 2006
Fin 2019, l’explosion de l’usine Lubrizol à Rouen plonge la population dans la peur. Sur fond de gestion de crise infantilisante et opaque et alors que le pays est secoué par un mouvement social rassemblant toutes les composantes de la classe laborieuse contre un système politique vérolé, le Premier ministre du Liban se rend sur place dans les 48h. Acclamé par une foule de gilets jaunes, de soignant.e.s en lutte et de défenseurs des libertés face aux violences policières, il déclare : « Je suis là aujourd’hui pour proposer un nouveau pacte politique. S’ils ne savent pas le tenir, je prendrai mes responsabilités. »
Cette scène n’a évidement pas eu lieu. Et si jamais elle s’était produite, l’ensemble de la classe médiatique et politique aurait hurlé à l’ingérence, l’indécence, au scandale. Le seul dirigeant étranger qui s’est autorisé quelques commentaires lors de sa visite sur notre sol était… Donald Trump, qui avait tweeté, lors des commémorations du 11 novembre 2018 : « Le problème, c’est qu’Emmanuel souffre d’une très faible cote de popularité en France, 26% ». La presse s’était scandalisée de cette attitude indigne. Mais c’est comme ça, un président américain : ça se croit chez lui partout.
Exactement comme un président français sur une grande partie des rives de la Méditerranée. C’est pour cela que Macron s’est autorisé à se rendre au Liban à peine 48h après le drame du port de Beyrouth : non par « compassion » ou « empathie » – des drames comparables surviennent dans le reste du monde sans que sa majesté se sente obligé d’aller y prêcher la bonne parole à base de réformes néolibérales. Une approche comptable et paternaliste que le ministre Jean-Yves Le Drian avait déjà initié quelques semaines plus tôt dans le pays, accompagné de ces mêmes réformes et en complicité avec le FMI, pour répondre à une crise libanaise politique et sociale liée au… néolibéralisme. Belle trouvaille !
Oui, les libanais manifestent depuis près de deux ans contre leur système économique et politique corrompu et vérolé… mais c’est aussi le cas en France, qui a connu, coup sur coup, deux gros mouvements sociaux qui ont fait couler du sang. Par ailleurs, une grande partie des gaz lacrymogènes utilisés par les forces libanaises provenait d’entreprises françaises (dont SAE Alsetex) et certains étaient de type militaire, les mêmes utilisés pour réprimer le mouvement des gilets jaunes. C’est peut-être ça, finalement, « l’amitié franco-libanaise ».
L’attitude de Macron est validée par Raphaël Glucksmann, l’homme « de gauche » qui se sent plus chez lui culturellement « à New-York ou à Berlin » « que quand il se rend « en Picardie », et qui doit naturellement considérer que le Liban est son jardin. Hier, il déclarait ainsi qu' »Emmanuel Macron a eu mille fois raison d’aller à Beyrouth ».
Glucksmann est l’archétype de ces bourgeois pour qui le monde est un village, parce qu’ils ont un domestique ou un salarié dans chaque pays. Ils camouflent leur appât du gain et de leur accaparement des ressources mondiales derrière des bons sentiments. Mais ils savent bomber le torse quand leur terrain de jeu leur est soustrait. En 2003, le jeune Raphaël participait à la fondation du think tank le Cercle de l’Oratoire destiné, entre autres, à soutenir la guerre de Bush en Irak. En mars 2011, il signait une tribune sobrement intitulée « Oui, il faut intervenir en Libye et vite ! » Les cosignataires étaient Daniel Cohn-Bendit, Raphaël Enthoven, Bernard Kouchner et Bernard-Henry Lévy.
Quand l’Amérique fournit les armées pour domestiquer le monde sous la bannière capitaliste, la France propose ses intellectuels pour justifier leurs guerres et des présidents en mal de popularité pour faire de l’ingérence la norme.