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Perfect days est l’exemple parfait du bourgeois gaze tel qu’analysé par Rob Grams. Ce film m’avait été conseillé en ces mots : « c’est fantastique ! Le personnage vient d’une bonne famille, et il a décidé de devenir nettoyeur de toilettes publiques en s’appliquant et en jouissant du moment présent ». En effet.

Perfect Days est un drame sorti en 2023. Il a été réalisé par Wim Wenders, réalisateur allemand – et fils de chirurgien, mais ce doit être un hasard. Tout au long de ses 123 minutes, le film nous plonge exclusivement dans le quotidien de Hirayama – incarné par Kōji Yakusho – qui est un employé chargé du nettoyage des toilettes publiques à Tokyo. Celui-ci semble particulièrement appliqué à sa tâche, Stakhanov n’aurait pas mieux fait. On l’y voit constamment ravi, sourire jusqu’aux oreilles, très souvent le regard tourné vers le ciel.

Il faut apprendre à vivre le moment présent, pour mieux fermer sa gueule et bosser.

Ce que j’ai aimé dans le film tout d’abord, c’est son dispositif : il s’agit de montrer le quotidien d’une personne, très ressemblant d’un jour à l’autre. Certains peuvent trouver cela très ennuyeux ; je trouve au contraire intéressant de filmer le banal, le répétitif, puisque c’est comme cela que nos vies se déroulent en grande partie.

Néanmoins le film autant que sa réception m’ont mis en colère.

D’abord, la thèse centrale du film est celle-ci : on peut trouver le bonheur partout, y compris et surtout dans les choses simples, les jobs les plus pénibles, les situations les plus désagréables. Ainsi, il correspond tout à fait à la tendance actuelle du capitalisme contemporain à nous inviter à la pleine conscience, à vivre le moment présent. On ne compte plus les workshops et teambuildings qui y sont consacrés : il s’agit d’apprendre à vivre le moment présent, pour mieux fermer sa gueule et bosser.

Ensuite, tout est édulcoré dans le film : c’est vraiment le film de la bonne conscience bourgeoise. « Vous voyez, ce n’est pas si horrible de nettoyer les toilettes, il suffit du bon mindset ». A aucun moment dans le film, on n’aperçoit un problème de corps, une douleur à la hanche ou au dos, que rencontrent toutes les femmes de ménage – puisque ce sont essentiellement des femmes – à force de gestes quotidiens et répétitifs.

L’acteur principal lui-même est une incarnation de cette édulcoration. Sa dentition ressemble à celle des acteurs américains, son visage ne porte aucune marque.

Eux veulent avoir la tête dans les étoiles. Célébrer la beauté de la vie.

Or, très concrètement : être une personne des classes populaires, ça se voit sur le corps. Bien sûr, cet acteur correspond au choix scénaristique du film : SPOILER ALERT le personnage semble issu d’une famille bourgeoise – on aperçoit sa sœur venir chercher sa nièce dans une voiture de luxe avec un assistant ouvrant la portière de la voiture. Ce choix constitue en soi une mystification : combien de bourgeois quittent leur confort pour devenir nettoyeur de toilettes publiques ? C’est le mythe, le rêve, de la bourgeoisie selon lequel dans la société d’aujourd’hui les classes sociales n’existent plus vraiment, on peut passer d’une à l’autre sans problème, les choses sont plus complexes.

Surtout, je ne peux m’empêcher de penser que ce choix arrange le réalisateur – et ses spectateurs bourgeois. Il permet de ne pas devoir regarder une gueule et un corps de pauvre pendant deux heures. Ça serait trop terre-à-terre, faute de goût, vulgaire. Eux veulent avoir la tête dans les étoiles. Célébrer la beauté de la vie.


Jules de Bruxelles


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