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C’est officiel, la mesure phare de la réforme des retraites est le recul de l’âge de départ de 62 à 64 ans – pour commencer. Ce n’est rien d’autre qu’une déclaration de guerre sociale. Celle que la bourgeoisie fait aux classes laborieuses depuis son origine, et la poursuite d’un plan de liquidation progressive des droits sociaux arrachés par nos anciens tout au long du siècle dernier. Mais c’est aussi l’occasion pour nous de répliquer, de faire mordre la poussière à cette classe et à son leader, le président Macron qui poursuit cet objectif politique par égo et volonté d’aller jusqu’au bout de ce qu’il a promis à son entourage – et la frange la plus égoïste de son électorat.

1 – La seule nécessité à mener cette réforme est politique et idéologique, pas financière

Tout au long du règne de Macron, les justifications de réforme des retraites ont changé. Au début, il s’agissait de rendre le système “plus juste”, en “unifiant” les régimes, sans chercher à faire d’économies. Ensuite, il fallait économiser sur le système de retraites pour financer de grands chantiers dans la santé et l’éducation. Désormais, le gouvernement revient à la bonne vieille justification financière : il s’agit de sauver le régime de retraites contre son propre déséquilibre financier en repoussant l’âge de départ à la retraite, pour économiser et ainsi favoriser l’équilibre du régime à long terme.

La vérité, c’est que même ces explications financières a priori convaincantes – « on vit plus longtemps donc on travaille plus longtemps » ; « il y a trop de retraités et pas assez d’actifs » – ne tiennent pas la route. On le sait désormais, on l’a décrypté, nos confrères et nous-mêmes, des dizaines de fois : c’est une raison fausse, un pur prétexte, et même le Comité d’Orientation des Retraites, organisme créé dans les années 2000 et utilisé pour donner une caution scientifique aux réformes successives, le dit. “Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite” : c’est écrit noir sur blanc dans son dernier rapport, page 9.

2 – L’objectif est d’économiser sur la protection sociale pour donner plus aux entreprises et aux actionnaires

Ça ne vous a sans doute pas échappé : notre système de santé se dégrade, nos écoles sont mal chauffées, notre assurance-chômage n’est accessible que sous de multiples conditions et pour une durée plus faible à partir de février prochain… et pourtant nous cotisons toujours autant, nous payons toujours autant d’impôts, la TVA n’a pas baissé, etc. Comment est-ce possible ?

Parmi les 10% les plus pauvres, un tiers des hommes meurt avant 67 ans. Pour les hommes des déciles 2 et 3 (les 30% les plus pauvres), c’est un sur quatre qui meurt sans avoir atteint cet âge. À l’inverse, 92 % des hommes parmi les 10 % les plus riches vivent plus que 65 ans (INSEE, compilé dans le baromètre économique 2022 de la CGT).

Et bien tout simplement parce que les entreprises, elles, payent de moins en moins, et reçoivent de plus en plus. Des milliards sous forme de suppression des « impôts de production » l’automne dernier, le maintien des exonérations de cotisations patronales, chaque année, des milliers d’euros reçus à chaque apprenti embauché… bref, au total, c’est 157 milliards par an que l’État verse directement aux entreprises ou leur fait économiser sous forme d’exonérations d’impôts et de cotisations. Et derrière elles, les propriétaires de ces moyens de production encaissent, puisque ce n’est certainement pas nous, salariés, qui profitons de ces aides sous forme d’augmentation de salaire ou encore nous, consommateurs, sous forme de prix qui baissent. Bien au contraire ! Pour tenir ce rythme continu de milliards versés ou économisés par les entreprises privées, il faut bien économiser quelque part. Le régime des retraites est une manne encore importante dans laquelle puiser.

C’est donc bien une redistribution des richesses que le gouvernement mène, d’en bas vers en haut.

3 – Ce sont les pauvres qui subiront cette réforme

Qui sont les 20% de gens qui continuent de soutenir Macron, qui l’ont élu, qui l’aiment ? Il suffit de regarder la distribution des aides aux ménages pour le comprendre : celles et ceux qui bénéficient le plus des mesures de 2020 et 2021 sont les 30% les plus riches. Ces gens-là, qui gagnent chaque mois plus de 2 500€ (pour une personne seule) concentrent les soutiens du président… Pas bêtes : ils bénéficient de sa politique. 

Pour les pauvres des aides ponctuelles et exceptionnelles, pour les plus aisés des mesures pérennes, en particulier en 2021 (INSEE)

Et sur les retraites, ce sont eux qui en pâtiront le moins. Car par leurs revenus, ce sont ceux qui vont pouvoir le plus compenser avec des régimes complémentaires de retraite par capitalisation pour compléter leur retraite de base, quand ce n’est pas déjà le cas. 

Parmi les 10% les plus pauvres, un tiers des hommes meurt avant 67 ans. Pour les hommes des déciles 2 et 3 (les 30% les plus pauvres), c’est un sur quatre qui meurt sans avoir atteint cet âge. À l’inverse, 92 % des hommes parmi les 10 % les plus riches vivent plus que 65 ans (INSEE, compilé dans le baromètre économique 2022 de la CGT).

Les plus aisés sont aussi ceux qui ont des métiers peu manuels, peu pénibles et dont l’espérance de vie en bonne santé est la plus longue. Contrairement aux ouvriers, leur retraite ne se fait pas le dos broyé, avec un cancer ou épuisé. Elle est une nouvelle étape de la vie, et il est donc moins grave pour eux de perdre 3 ans, d’autant que leur revenus élevés leur permettront de prendre une retraite anticipée s’ils le souhaitent. Pour certaines entreprises et leurs actionnaires, la réduction de notre système de retraite constitue l’ouverture potentielle d’un nouveau marché : celui de la retraite par capitalisation. Black Rock se tient prêt depuis 2019.

Que faire face à cette agression sociale que la bourgeoisie nous fait subir, avec le soutien des classes aisées ?

A cause de l’arme légale du 49.3, qui permet au gouvernement de forcer l’adoption d’un texte, le Parlement ne peut retarder longtemps l’adoption d’un projet de loi de réforme des retraites. On ne peut pas donc compter sur les partis d’opposition pour autre chose que nous aider à y voir plus clair sur ce qu’il contiendra. On le sait depuis des décennies : la seule façon de faire reculer un gouvernement aussi déterminé est de construire un mouvement social tout aussi déterminé. Les exemples récents nous aident à élaborer une stratégie, que l’on pourrait résumer ainsi : prendre le meilleur des Gilets jaunes et le meilleur du mouvement contre la première tentative de réforme des retraites en 2019.

  • Concrètement, les Gilets jaunes ont mené un mouvement social qui a terrifié la classe dirigeante car il s’en est pris physiquement aux lieux de pouvoir. Mais pas seulement : il s’agissait d’un mouvement organisé par la base, dans des lieux et avec des profils sociaux habituellement peu syndiqués ou encartés. La France des ronds-points peut se réveiller, car c’est elle qui souffrira le plus de la retraite à 65 ans. Mais le mouvement des Gilets jaunes a souffert d’une chose : une fois le pouvoir barricadé physiquement, la répression sanglante déclenchée, il lui était plus difficile de faire trembler la classe dirigeante. Et pour cause : les usines continuent de tourner, les camions de livrer, les trains de circuler… Les tentatives de grève des Gilets jaunes ont échoué car ce mouvement n’était pas structuré sur les lieux de travail.

Ce manque d’organisation des Gilets jaunes a empêché le mouvement de réfléchir à ses suites, et il s’est peu à peu étiolé en reproduisant chaque samedi la même manifestation devenue progressivement baroud d’honneur.

  • Le mouvement de l’hiver 2019, mené par une base syndicale organisée dans les entreprises publiques (EDF, SNCF, RATP…) et certaines grosses entreprises privées, a su lancer cette grève. Elle inquiète le patronat, les puissants, les politiques, tandis que les manifestations massives montraient l’opposition de masse à cette réforme. Il est possible de reprendre ce mouvement là où le Covid l’a arrêté. Mais la diversité sociale des Gilets jaunes doit s’y ajouter : pour qu’elle soit générale, la grève doit s’étendre aux petites entreprises, aux entrepôts, aux hypermarchés, dans ces lieux où le monde syndical est moins présent, mais où la population gilet jaune l’est. Et cela tombe bien : avec l’inflation, ces mouvements de grève ont déjà commencé. Les salariés des hypermarchés Leclerc vont ainsi lancer leur premier appel national à la grève.

Pour structurer ces deux facettes d’un mouvement social victorieux, et qui ne s’arrêterait pas à la fin d’une réforme des retraites mais qui irait plus loin (la démission de Macron et l’instauration d’un régime politique démocratique et égalitaire qui stopperait pour de bon la bourgeoisie, par exemple), il faut réfléchir à un mode d’organisation. Les Gilets jaunes ont été très rétifs à l’organisation nationale, échaudés par le mauvais exemple donné par les partis et les syndicats, dont les bureaucraties et les querelles d’égo dégoûtent tout le monde de l’engagement militant. Mais ce manque d’organisation a empêché le mouvement de réfléchir à ses suites, et il s’est peu à peu étiolé en reproduisant chaque samedi la même manifestation devenue progressivement baroud d’honneur.

D’un autre côté, il est tout à fait compréhensible que la population n’ait pas envie de confier l’organisation de sa colère à des députés et des leaders syndicaux. Cela veut dire qu’il ne faut sans doute pas compter sur les organisations officielles pour mener ce mouvement social : les partis de gauche vont appeler au mouvement social mais en espérant une dissolution de l’Assemblée nationale pour augmenter le nombre d’élus, et force est de constater que pour le moment, dans la population, cette perspective électorale n’inspire ni confiance ni espérance (il suffit de voir le taux d’abstention aux dernières législatives). Quant à la tête des organisations syndicales, on connaît la chanson : une grande partie d’entre elles est prête à entrer en négociation à la moindre concession offerte par le gouvernement, tandis que les autres seront stigmatisées et mises en minorité par des médias trop contents d’exploiter le marronnier de la « division du front syndical ».

Cette organisation, on pourrait la rejoindre sur le rond-point de son village, dans une salle de quartier, sur le parking de son entreprise. Elle répondrait à une forme simple – des groupes locaux informels – et serait représentée au niveau national au sein d’une assemblée populaire.

Nous avons besoin d’une organisation souple, facile à rejoindre, menant à la fois des actions sur les lieux de travail, des manifestations et des actions directes contre les symboles et les lieux de pouvoir de la bourgeoisie. Pour construire un rapport de force, ne choisissons pas une seule méthode, allons sur tous les fronts : le rapport de force économique par la grève, le rapport de force politique par la manifestation et le rapport de force symbolique en instillant la peur parmi les membres de la classe dominante. Cette organisation, on pourrait la rejoindre sur le rond-point de son village, dans une salle de quartier, sur le parking de son entreprise. Elle répondrait à une forme simple – des groupes locaux informels – et serait représentée au niveau national au sein d’une assemblée populaire comptant des représentant.e.s de chaque département, très fortement contrôlés par leur base. Structurée autour de l’opposition à la réforme des retraites, elle aurait en tête que cette déclaration de guerre sociale n’est qu’une énième bataille que la bourgeoisie nous mène, car il y a aussi la réforme du lycée professionnel, la destruction de l’assurance-chômage, l’inflation menée par la grande distribution et la politique de bas salaire conduite par l’ensemble des possédants et que, par conséquent, il est temps de relever la tête, de reprendre le dessus et de prendre collectivement le pouvoir.


Nicolas Framont