Après un épisode somme toute décevant consacré à Hanouna, l’émission Complément d’Enquête a sorti, dans la foulée, une heure d’enquête très embarrassante sur Depardieu, dont un extrait de sa visite en Corée du Nord, filmée par l’inénarrable Yann Moix. Suite aux propos, gestes et insultes tenus par l’acteur, nous avons pu voir la fine fleur de l’éditocratie s’indigner… contre les producteurs qui ont donné les images du film pour France 2 !
Visiblement, l’acteur semble un peu mal en point depuis les récentes accusations d’agressions sexuelles et de viols — couvertes durant de nombreuses années dans la “grande famille du cinéma français” —, dont il fait l’objet. Plusieurs artistes ont courageusement pris la parole publiquement pour dénoncer les abus auxquels il se livrait, profitant alors d’une position d’intouchable dans le monde du cinéma.
Plus spécifiquement, en 2018, Yann Moix, féministe de profession qui n’aime que les femmes jeunes, a filmé un voyage de Gérard Depardieu en Corée du Nord. Il n’a jamais sorti son chef-d’œuvre, estimant qu’il était « politiquement incorrect », avant de dire, un brin moqueur : « Je l’ai montré à une stagiaire de 20 ans qui a craqué au bout de dix minutes. Elle disait que c’était de l’humour trop genré et inadmissible ». On ne paraphrasera point un certain animateur de CNews, dont la phrase favorite est de dire que l’on ne peut plus rien dire tout en disant ce qu’on n’est plus censé pouvoir dire à longueur d’émission. Phrase qui pourrait s’appliquer sans problème au réalisateur d’un des plus gros bides du cinéma français.
Dans l’extrait diffusé, donc, on peut voir un Depardieu, goguenard, proférer des insultes à tour de bras, se donner à des gestes particulièrement dégradants et affirmer des choses telles que « les femmes adorent faire du cheval car elles ont le clito qui frotte sur la selle […] elles jouissent énormément […] c’est des grosses salopes ». Avant de nous offrir à peu près les mêmes dires, mais cette fois-ci, sur une enfant de 10 ans.
Pour les éditocrates, le fait que le film soit sorti sans l’autorisation de Moix est plus grave que les propos tenus dans celui-ci (et on ne peut plus rien dire)
Malgré une indignation, très légitime, d’une partie du corps médiatique, nous avons pu assister à des minimisations des paroles de Depardieu dans le film, voire des condamnations, non pas de ces paroles – quelle idée ! –, mais de la méthode employée pour faire sortir le film.
Ainsi, autour du plateau de TPMP, on entend le chroniqueur (dont le culot le pousse à toujours s’auto-classifier à gauche) Éric Naulleau geindre, s’offusquant que le film soit sorti sans l’autorisation de Yann Moix. Quid du fond du sujet ? Que dalle, pas un mot dessus. Le film est sorti sans l’autorisation de Moix, donc il n’y a plus de débat ; la méthode prend le pas sur le fond du problème, qui n’est pas vraiment anodin. On comprend alors qu’il est plus important pour lui de protéger un dangereux acteur en roue libre, après avoir fait état pendant un an de son obsession pathologique envers Sandrine Rousseau.
Quant à Yann Moix ? Il a purement et simplement annoncé son intention de déposer plainte contre le producteur qui a donné les images des rushs. Les saloperies sorties par Depardieu (en toute connaissance de cause) qui hypersexualise une fille de 10 ans ? Peu importe, c’est Gégé, il blague ! Pas vrai ?
Finalement, la seule parole sensée dans cette poubelle émission viendra de la chroniqueuse Polska, qui renvoie Naulleau dans ses foyers : « On a le droit d’être un prédateur en Off ?.
Sur le réseau social X (anciennement Twitter), on pouvait lister d’autres arguments irréfutables avancés par l’éditocratie pour prendre la défense de Depardieu : “on ne peut plus rire des grivoiseries”, selon l’habitué des plateaux d’extrême droite Ivan Rioufol, ou encore : “on veut absolument le canceller”, selon le très modéré Charles Consigny, pour qui l’acteur faisait simplement “des vannes en série”, ce qui l’amène, en analyste subtil, à conclure que “l’humour est mort“. Le César du meilleur mépris pour les victimes étant remis à Véronique Genest, qui nous accuse de vouloir “détruire Depardieu”. Dans le même temps, pas un mot pour les victimes.
Les indignations de cette caste bourgeoise sont toujours très sélectives…
Ce phénomène est loin d’être récent ; les éditocrates, dès qu’un sujet important s’invite dans le débat public, préfèrent systématiquement critiquer les personnes victimes que le fond du problème. La priorité n’est jamais le problème en soi, mais les éventuels épiphénomènes – inquantifiables – pouvant se constituer autour de ce problème.
Un mouvement de libération de la parole féminine, portant la voix des femmes victimes de viols ou d’agressions sexuelles, se constitue ? C’est bien, mais attention aux dérives. Des agresseurs sont dénoncés via les réseaux sociaux ? Attention à la délation. Les femmes se sentent un peu plus légitimes à aller porter plainte (ce qui est déjà une épreuve en soi) ? Attention aux plaintes abusives, ça ferait du tort aux hommes innocents.
Ces éléments de langage médiatique, totalement inscrits dans le climat réactionnaire promu par ces mêmes instances médiatiques, et qui ont fait suite au mouvement #metoo, ont été formidablement bien documentés par Pauline Perrenot (Acrimed) ici et là.
Dans ces articles, et via certaines recherches sur Twitter, on pouvait constater que les éditocrates étaient focalisés sur la dénonciation… de la dénonciation (qu’ils appelaient, par une savoureuse méconnaissance du terme, délation). Au programme de cette immondice, on retrouvait donc naturellement Naulleau, Finkielkraut (auteur d’infâmes propos sur l’affaire Duhamel – et accessoirement viré suite à ça) et Goldnadel, ou encore Zemmour, qui, sans sourciller, comparait la dénonciation d’agresseurs à la dénonciation des personnes juives en 1940. Rassemblement des grands esprits, quand tu nous tiens !
… et ce n’est pas étonnant.
Pas étonnant d’entendre ce genre de propos dans ce genre d’émission, dont l’animateur chef, parfait admirateur des dominants, qui méprise plus le peuple qu’il ne le défend (et qu’il prétend défendre), est la courroie de transmission de la pensée réactionnaire droitière, prospérant exponentiellement à l’échelle médiatique (surtout mainstream). Et dont le patron suprême de la chaîne donne des consignes pour encenser les œuvres de la franche-tireuse Caroline Fourest, ou encore protéger les proches du gouvernement et d’autres agresseurs sexuels reconnus.
On a aussi entendu et lu pas mal de commentaires faisant référence au “mythe”, ou encore au “monstre sacré” (monstre tout court eût été suffisant) qu’est Depardieu, comme si la préférence subjective propre à chacun faisait office de valeur morale, permettant de dédouaner une célébrité de ses actes. On avait pu observer ce même type de raisonnement, par la même caste bourgeoise, lors de l’éclatement d’une énième affaire Polanski (condamné pour rapports sexuels avec une femme mineure, et accusé d’innombrables viols depuis) en 2020. Au concours des réactions les plus abjectes, nous pouvions donc admirer Lambert Wilson, Frédéric Beigbeder ou encore… Yann Moix !
Quant aux victimes ? Toujours les mêmes éléments de langage. Au mieux, rien à cirer ; au pire, elles ont sciemment menti pour avoir un élan dans leur carrière, car elles sont sans talent (comme l’a dit la productrice complice Josée Dayan dans le reportage de France 2).
Ces gens-là ont tous les droits, tout leur est permis, tout leur est pardonné. Leurs dégueulasseries, sous couvert d’avoir un discours « à contre-courant de la bien-pensance », alors qu’ils sont totalement en congruence avec la pensée dominante ultra-réac, représentent des tickets d’entrée pour jouer les polémistes à deux balles sur les plateaux télé. Mais on peut les comprendre ; ce serait couillon de briser la fin de carrière de Depardieu, qui peut déjà d’estimer très heureux que tout ça n’éclate que maintenant.
Dans le même temps, pour donner un souffle d’air, certains médias réellement indépendants (dont l’excellent organe de critique des médias Acrimed) résistent vaillamment contre cette offensive réactionnaire des dominants. Longue vie à eux.
Adrien Pourageaud
Photo : Georges Biard, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons
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