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À la suite des attaques du Hamas le 7 octobre 2023 et de la mise en place d’un état de siège sur Gaza par l’Etat colon d’Israël et son gouvernement d’extrême droite, beaucoup des réactions en France sont lamentables. Le conflit est importé à des fins de politique intérieure. Les macronistes et la droite y voient une opportunité d’aller toujours plus loin dans la répression de l’opposition politique et les partis bourgeois de la Nupes une occasion de régler leurs comptes avec la France Insoumise. À l’international on trouve le même genre de soutien aveugle à la politique sanguinaire d’Israël chez les gouvernements des pays historiquement impérialistes, mais aussi quelques voix dissonantes en leur sein et ailleurs. 

La dictature en France : une opportunité de réprimer toujours plus les opposants

La France est depuis bien longtemps une parodie de démocratie. 
Les évènements en Palestine – Israël sont l’occasion pour la macronie de poursuivre son délire autoritaire en judiciarisant toute opinion contraire à la sienne et à son soutien au colonialisme. 

Les manifestations en soutien à la Palestine se voient interdites : en France, seules les manifestations qui sont du même avis que le pouvoir semblent être désormais autorisées. 
Gérald Darmanin, lui-même accusé d’antisémitisme en raison de certains de ses écrits, associe tout soutien à la Palestine à des “actes antisémites” : le “déploiement de banderoles de soutien aux palestiniens” (avec écrit “La Palestine aux Palestiniens”) est par exemple considéré comme tel… Ce qui vaut interpellation par la police.
Il a annoncé que les manifestations en faveur de la Palestine seraient systématiquement interdites et les organisateurs arrêtés

Les médias dominants s’en donnent aussi à cœur joie. Sur la chaîne d’extrême droite CNews, un invité appelle à exterminer physiquement les partisans de Jean-Luc Mélenchon et les militants d’extrême gauche en raison de leur position sur le conflit (qu’il déforme absolument par ailleurs). Sur BFM, l’émission de Laurent Ruquier, on cherche tous les noirs et les arabes connus pour voir s’ils ont assez défendu Israël sur les réseaux sociaux. On se demande quel est le sous entendu…

Même les simples événements culturels, comme une pauvre exposition sur la Palestine à l’Institut du Monde Arabe, se voient être annulés. L’objectif est clair : pour justifier les massacres à venir, il faut déshumaniser les Palestiniens. Ils n’existent plus en tant que tels, ils sont tout entier “le Hamas”.
Dans la continuité, la présidente macroniste de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet a interdit la venue de Mariam Abou Daqqa, militante féministe et docteure en philosophie, qui incarne donc une branche politique (de gauche) extrêmement éloignée du Hamas. Les Palestiniens ont juste le droit de mourir en silence, et la liberté d’expression est une farce en France.
Toujours du côté de l’Assemblée, la secrétaire générale du groupe Renaissance (le parti macroniste) demande à Ouest France et aux journaux d’arrêter d’informer sur les morts à Gaza tandis que le député macroniste Mathieu Lefèvre souhaite exclure le député proche de la France Insoumise Aymeric Caron du groupe d’amitié France – Israël pour sa dénonciation du gouvernement d’extrême droite de Netanyahou. 

Est-ce que des partis seront entendus par la PJ pour leur soutien aux bombardements de civils à Gaza ?

Mais la macronie est allée encore plus loin que jamais en parlant même d’interdire et de dissoudre certains partis politiques d’opposition. On sait d’ores et déjà que ne seront pas visés le RN (issu du FN, fondé par des collabos et des SS) ni Reconquête d’Eric Zemmour qui réhabilite Pétain. Le NPA est nommément ciblé, on se doute que Révolution Permanente, et le Parti des Indigènes de la République sont aussi dans le viseur. Rappelons à toutes fins utiles que des partis politiques d’opposition ont pour rôle de s’opposer : que l’on soit d’accord ou non avec toutes leurs positions, ou la manière qu’ils ont de les formuler, n’entre pas en ligne de compte quand il s’agit de s’opposer à leur dissolution, car un coup c’est un parti avec lequel on n’est pas d’accord qui est dissout, et le suivant ce sera le parti pour lequel on vote ou dont on fait partie.

Le NPA a été obligé de réagir via Olivier Besancenot : “Pas plus qu’hier nous ne faisons l’apologie des tueries de civils ou des kidnappings du Hamas que nous avons toujours condamnés. La seule apologie dont nous sommes coupables est celle de notre soutien indéfectible pour la lutte du peuple palestinien contre la colonisation d’Israël”.

La police judiciaire est ainsi saisie au sujet du Nouveau Parti Anticapitaliste pour “apologie” et “provocation aux actes terroristes”. Rendons nous compte : un parti politique d’opposition voit la police enquêter sur lui au prétexte d’une prise de position sur un sujet international. Le communiqué visé et qui disait apporter “son soutien aux Palestinien/nes et aux moyens de lutte qu’ils et elles ont choisi pour résister” avait par ailleurs été publié avant que les informations sur les meurtres ayant visés spécifiquement les civils israéliens, en particulier au festival de musique et dans un kibboutz, ne soient connus… Les communiqués qui ont suivi ont précisé tout cela.
Est-ce que des partis seront entendus par la PJ pour leur soutien aux bombardements de civils à Gaza ?

La menace de dissolution de partis politiques est quelque chose de gravissime. Aucun parti de gauche majeur n’a été dissous en France depuis 1939 (dans un contexte ultra-fascisant). Pourtant de nombreux partis de gauche ont tenu au cours de l’histoire française des positions beaucoup plus affirmées et dures sur l’anticolonialisme.

Le débat pourri sur le mot “terrorisme” pour cibler la France Insoumise

Il n’y a pas que le NPA qui est accusé d’être ambigü ou de carrément “célébrer le terrorisme”. La classe médiatique et politique s’est particulièrement acharnée contre la France Insoumise, Eric Ciotti des Républicains demandant par exemple carrément à ce que “les amis de Mélenchon” soient poursuivis pour “apologie du terrorisme”.
L’organisation s’est aussi retrouvée attaquée très violemment pour avoir refusé d’employer le mot “terrorisme” pour les attaques du Hamas, lui préférant celui de “crimes de guerre”. Cela a donné lieu à des séances de justification parfois assez maladroites et confuses de la part des responsables de FI. Pourtant il faut expliquer inlassablement y compris lorsque l’on parle de sujets extrêmement complexes et sensibles.
Cela a par exemple été le cas du député William Martinet lors d’une émission face au macroniste Mathieu Lefevre. Même chose pour le député Manuel Bompard sur France Info (dans une séquence visionnée plus d’un million de fois…) et pour Mathilde Panot, présidente du groupe FI lors d’une séquence de questions à la presse (vidéo à 5 millions de vues). Bref, plus aucun cadre de FI ne peut aller dans un média sans qu’on lui enjoigne d’utiliser le mot et les dommages sont réels. 

Tentative de clarification donc :
Tuer des enfants, des jeunes festivaliers etc. ce sont évidemment des crimes de guerre, des exactions, du terrorisme… Mais le problème du mot terrorisme est qu’il peut être utilisé pour désigner des actions de natures très différentes, qui visent des populations civiles, ou qui visent des infrastructures, des cibles militaires etc. Il est donc flou.
C’est pourquoi Nelson Mandela était considéré comme “terroriste”, que la résistance française était qualifiée de “terroriste”, qu’encore aujourd’hui on entend ce mot pour désigner les écologistes qui font de la désobéissance civile.

Bref on voit bien que le mot seul peut vouloir dire tout et n’importe quoi. Tandis que “crimes de guerre” renvoie à des notions plus précises, notamment les exactions envers des civils.
En l’état, la Palestine n’étant pas une nation souveraine, tout type d’organisation militaire est par essence considéré comme terroriste. Peu importe son idéologie, peu importe qu’elle se rende coupable ou non de crimes de guerre. Autrement dit toute résistance ou formation armée palestinienne est considérée comme terroriste. Le mot “crime de guerre” distingue et précise le propos. 

En l’état, la Palestine n’étant pas une nation souveraine, tout type d’organisation militaire est par essence considéré comme terroriste.

On pourrait sinon admettre une définition plus commune de terrorisme : une action qui prend pour cible indistinctement des civils et qui cherche à terroriser. De ce point de vue, des terroristes se revendiquent d’ailleurs comme tels.
Si on accepte cette définition : quid de bombardements délibérés sur des civils ? Quid de priver d’eau une population entière ? Pourtant on sait que jamais ces actions de l’Etat d’Israël ne sont qualifiées de la sorte par les médias et la classe politique. Aucun journaliste ne va aller traquer ceux qui promettent un “soutien inconditionnel” au gouvernement de Netanyahu (qui parle “d’animaux humains”), pour leur demander pourquoi ils ne qualifient pas les bombardements contre les populations civiles “d’actes terroristes”. D’ailleurs c’est même l’inverse. La France Insoumise a été aussi attaquée pour avoir refusé d’applaudir “le soutien inconditionnel” à Israël : “inconditionnel” veut dire ce que ça veut dire – sans conditions. Il faudrait soutenir Israël dans n’importe quelle condition, peu importe que l’armée massacre des civils, assoiffe Gaza etc. Il faudrait trouver soudainement légitime, si c’est l’Etat d’Israël qui le fait, ce que l’on trouvait illégitime la seconde d’avant : tuer des civils innocents.

Ce que fait actuellement l’Etat d’Israël avec les bombardements et le siège de Gaza constituent de manière évidente des crimes de guerre à l’encontre de populations civiles sur le plan du droit international. Le terme “crime de guerre” a donc l’avantage d’éviter le deux poids deux mesures : “victimes civiles du terrorisme” quand il s’agit de civils israéliens, “morts palestiniens” quand il s’agit de civils palestiniens. Or une vie humaine vaut une vie humaine.

Aucun journaliste ne va aller traquer ceux qui promettent un “soutien inconditionnel” au gouvernement de Netanyahu (qui parle “d’animaux humains“), pour leur demander pourquoi ils ne qualifient pas les bombardements contre les populations civiles “d’actes terroristes“.


S’il n’est pas légitime de tuer des civils innocents dans un cas, il ne l’est pas plus dans l’autre. Soit on appelle tout terrorisme, soit on appelle tout “crimes de guerre”. Mais il n’y a aucune raison que ce débat sémantique ne concerne qu’un cas… Préciser son propos ne constitue donc ni une apologie ni une euphémisation d’exactions envers des civils. C’est l’inverse. 

Il n’existe pas de définition juridique du terrorisme reconnue au niveau international et il est souvent préférable de décrire les actes (tirs de roquettes, enlèvements, prise d’otages etc) et les accusations (crimes de guerre) que de se lancer dans des débats idéologiques

Sébastien tüller, responsable lgbti+ pour Amnesty international france

Sébastien Tüller, responsable LGBTI+ pour la branche française d’Amnesty International va dans le même sens : “Il n’existe pas de définition juridique du terrorisme reconnue au niveau international et il est souvent préférable de décrire les actes (tirs de roquettes, enlèvements, prise d’otages etc) et les accusations (crimes de guerre) que de se lancer dans des débats idéologiques (…) L’expression reste sujet à de nombreux abus de langage partout dans le monde et est largement chargée de connotations politiques.  Une personne peut être considérée comme un terroriste par les uns et un combattant de la liberté par les autres. Jusqu’à aujourd’hui aucune définition ne fait consensus au niveau mondial.”

Comme le rappelle l’historien André Gunthert, professeur à l’EHESS, ce que dissimule en réalité ce débat sémantique c’est “une opération d’invisibilisation à double détente (diabolisation des indigènes/soutien du colonisateur par les anciennes nations coloniales + condamnation de la gauche antiraciste/légitimation de la droite colonialiste).”

Le spectacle lamentable de la Nupes et de la gauche

Nous parlions récemment de la nullité de la Nupes et de l’erreur stratégique qu’elle a été pour la France Insoumise. Les évènements en Palestine – Israël ont été une énième occasion opportuniste, pour EELV-PS-PCF de “se faire LFI” en condamnant ses communiqués en faveur de la paix et de la décolonisation. La maire de Paris Anne Hidalgo insiste sur la nécessité pour le PS de cesser les relations avec la France Insoumise, et inaugure toute sorte d’initiatives symboliques pour rendre hommage aux victimes israéliennes mais sans un mot de compassion pour les victimes palestiniennes.
Le Parti Socialiste a pris également ce prétexte pour se retirer du projet commun de proposition d’un “contre-budget” à l’Assemblée – ce qui accélère la décomposition de la Nupes. 

L’ancien député de l’Essonne, Julien Dray, ayant quitté le Parti Socialiste en 2022 en raison du rapprochement de ce dernier avec la France Insoumise, tente quant à lui de capitaliser sur les évènements pour régler ses comptes avec Jean-Luc Mélenchon : “Qui se souvient que le slogan de Mélenchon … c’était l’humain d’abord les 700 morts israéliens eux ont compris la duplicite et la trahison de cet ex humaniste…”. Comme si les morts israéliens en avaient quelque chose à faire de Mélenchon…

L’extrême droite profite de cette division et s’en donne à cœur joie pour donner l’impression qu’elle incarnerait “la défense des juifs”. L’extrême droite a certes maintenant pour cible principale les musulmans, car elle défend l’idée qu’il y aurait un “grand remplacement” (le remplacement des populations blanches par des arabes et des noirs). Mais je vous laisse deviner qui sont, pour eux, “les élites cosmopolites” qui “organisent l’immigration” pour “détruire la nation”… Il ne faut avoir aucune illusion sur l’antisémitisme à l’extrême droite : bien souvent, l’islamophobie est un antisémitisme.
Comme le dit avec justesse l’humoriste Haroun : “L’extrême droite est tellement islamophobe qu’on pourrait croire qu’elle n’est pas antisémite.

Les réactions internationales

On a vu comment cela se passe en France.  Qu’en est-il ailleurs ? La situation est-elle similaire ? 

Les pays historiquement coloniaux et soutiens du colonialisme israélien ont fait bloc derrière Netanyahu, donnant une sorte de blanc-seing aux massacres annoncés des Palestiniens. 

Les attaques russes contre les infrastructures civiles, notamment l’électricité, constituent des crimes de guerre. Couper l’eau, l’électricité et le chauffage aux hommes, aux femmes et aux enfants à l’approche de l’hiver, ce sont des actes de pure terreur. Et nous devons l’appeler ainsi.

ursula von der leyen, présidente de la commission européenne

L’Union Européenne, sans consulter grand monde, a par exemple décidé de suspendre l’aide aux Palestiniens. 
L’Espagne et d’autres pays s’y sont rapidement opposés, contraignant la Commission au rétropédalage.
Pourtant, il y a un an, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission Européenne, avait déclaré, à propos des attaques Russes : “Les attaques russes contre les infrastructures civiles, notamment l’électricité, constituent des crimes de guerre. Couper l’eau, l’électricité et le chauffage aux hommes, aux femmes et aux enfants à l’approche de l’hiver, ce sont des actes de pure terreur. Et nous devons l’appeler ainsi.” Il suffirait de remplacer “russes” par “israéliennes” et nous aurions la description du siège de Gaza… 

Aux Etats-Unis, la députée du Congrès Cori Bush, figure de la gauche du Parti Démocrate, déclarait par exemple : “notre priorité immédiate doit être de sauver des vies, mais notre objectif final doit être une paix juste et longue qui assure la sécurité de tout le monde dans la région. Des violations de droits humains ne peuvent pas justifier davantage de violations de droits humains, et une réponse militaire ne fera qu’exacerber la souffrance des palestiniens comme celle des israéliens. Afin d’atteindre une paix juste et longue, nous devons faire notre part pour arrêter cette violence et ces traumas en stoppant le soutien du gouvernement américain à l’occupation militaire israélienne et à l’apartheid”.
Certains médias de gauche américains, comme Jacobin, vont dans le même sens : “Les scènes tragiques qui se déroulent en Palestine et en Israël sont un rappel effrayant des horreurs créées par l’occupation – et de l’urgence de démanteler les blocus israéliens.

Des violations de droits humains ne peuvent pas justifier davantage de violations de droits humains, et une réponse militaire ne fera qu’exacerber la souffrance des palestiniens comme celle des israéliens.

cori bush, députée démocrate du congrès américain

Yanis Varoufakis, économiste grec et ancien ministre du gouvernement Syriza, expliquait que “le choc et la furie en Israël rappellent les émotions aux Etats-Unis après le 11 septembre. Cela avait provoqué une démonstration de la puissance et de l’unité américaine. Cela avait aussi mené à une guerre autodestructrice et mal conçue contre la terreur. Israël pourrait être en train de suivre la même dangereuse trajectoire”. 

De facto, sous l’impulsion volontaire des médias et d’une classe politique qui y voient un effet d’aubaine, le conflit s’importe en France. L’extrême droite surfe sur les évènements macabres pour tenter de faire avancer son agenda de guerre civile raciale et de guerre de civilisations. L’Etat et le gouvernement se disent que c’est l’occasion rêvée de s’essayer à de nouvelles mesures dictatoriales pour accroître leur contrôle et la répression : verrouiller massivement la liberté d’expression et interdire les partis politiques d’opposition au prétexte qu’ils s’opposeraient sur les questions internationales. La gauche bourgeoise (PS, EELV, PCF), qui n’a pas tourné la page de sa longue histoire de soutien et de participation aux exactions coloniales, se dit que les atrocités qui se sont déroulées ces derniers jours donnent matière à instrumentalisation pour marginaliser la France Insoumise et leur reprendre quelques strapontins lors de futures élections.
Il existe, ailleurs, dans des pays où la liberté d’expression existe encore, des points de vue différents, qui savent et disent que la fin des horreurs passe par la décolonisation, par le fait de permettre aux palestiniens de vivre dignement et souverainement. 
Il faut tenir bon. 


Rob Grams

Photo de couverture de Serge d’Ignazio, prise le 12 octobre 2023


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