Alors que les premières images de « Furiosa », le spin-off* dédié à l’héroïne de « Mad Max : Fury Road », viennent titiller notre impatience, il nous a semblé opportun de se replonger dans le phénomène cinématographique intrinsèquement révolutionnaire de George Miller, qui mettait en avant une lutte des classes diverse et convergente et castrait deux-trois mecs hétéros blancs sur sa (furieuse) route.
Sorti en Mai 2015 en France, le métrage d’action post-apocalyptique de George Miller, ne se contentait pas seulement de la prouesse technique qu’il proposait, il était une expérience cinématographique immersive qui transcendait les limites du genre.
En plus d’un Miller excellant indéniablement dans la réalisation technique, de la photographie immersive de John Seal mais aussi du rythme électrisant et frénétique (mais néanmoins digeste) du montage de Margaret Sixel, le film pouvait également se pâmer de produire une critique sociale puissante et d’infuser chez son spectateur des idées révolutionnaires pas si dystopiques que ça. À travers son univers (post-apo) impitoyable, ses personnages résolument engagés, et ses thèmes audacieux, « Mad Max: Fury Road” s’était rapidement érigé en un manifeste en faveur de la lutte des classes. Bien plus donc, qu’une simple épopée motorisée, le film était une source d’inspiration pour ceux qui, comme nous, prônent la justice sociale, l’égalité des genres, et la lutte contre l’oppression des classes dominées.
Attachez-vous, car le désert aride de Fury Road est bien plus fertile qu’il n’y paraît.
*Un spin-off est une œuvre dérivée centrée sur un élément spécifique d’une œuvre originale, explorant de nouvelles histoires ou perspectives.
‘’Fury Road’’ c’est l’histoire d’un aller, mais surtout d’un retour.
Le film s’ouvre par le départ sur les chapeaux de roue d’une petite troupe de femmes, les « épouses » (esclaves sexuelles) d’Immortan Joe, un dictateur féroce et machiste ayant réussi à asservir la population d’une petite cité entourée d’un vaste désert, grâce à son contrôle des ressources d’eau environnantes. À l’aide de l’imperatore de Joe, Furiosa, les favorites entament une course effrénée à travers le désert pour rejoindre l’oasis paisible où est née cette dernière.
Après avoir finalement réussi à atteindre leur destination et au prix de la vie d’une d’entre elles, les jeunes femmes se rendent compte que cet idéal n’existe plus. Repensant à toute la population asservie et aux esclaves qu’elles ont laissé derrière elles, elles décident de faire demi-tour et de renverser la dictature d’Immortan Joe. On assiste donc à la réalisation du “rêve” d’une petite élite de femmes, ayant réussi à s’extirper de la barbarie instaurée par Joe, et à la désillusion que ces dernières trouvent au bout de leur chemin : une infinité toute aussi aride et triste que leur point de départ. Quoique, peut-être pas si aride que ça finalement, puis ce qu’elles réalisent que ce n’est pas l’environnement où elles évoluent qui détermine leur épanouissement mais bel et bien le tyran qui le régit.
Une douce musique commence alors à retentir :
Est-ce que finalement la solution à leur désespoir ne serait pas de renverser l’odieux ordre établi plutôt que de filer en extirpant seulement un entre-soi restreint de ce sordide enfer ?
La perspective marxiste émerge clairement via l’illustration des privilèges dont jouissent les élites représentées par les épouses d’Immortan Joe. Ces privilèges comprennent notamment l’accès à des ressources rares et essentielles, comme l’eau, qui est un bien précieux dans ce monde désertique. En tant que compagnes d’Immortan Joe, elles bénéficient également d’une certaine protection et de privilèges sécuritaires, étant associées au leader puissant de la citadelle. Cependant, il est crucial de noter que ces privilèges sont relatifs et accompagnés de contraintes, car les épouses sont également assujetties à la volonté et au contrôle de Joe, illustrant ainsi le caractère complexe et oppressif de leur position dans cette société post-apocalyptique.
Cette position privilégiée, basée sur la ‘’confiance’’ de leur cruel despote, peut sembler initialement sécurisante, mais elle les conduit ultimement vers des espaces arides et inhospitaliers, reflétant la fragilité des avantages individuels dans un système oppressif.
Les épouses, en dépit de leurs piètres privilèges apparents, se retrouvent confrontées à une liberté restreinte dans les étendues arides d’un désert sans fin. Leur évasion, bien que réalisée par des moyens astucieux, ne les propulse pas durablement vers une existence meilleure. Une critique marxiste fondamentale est alors soulignée: les avantages individuels, même s’ils semblent procurer une certaine liberté ‘’temporaire’’, restent intrinsèquement limités dans un système économique qui perpétue les inégalités et maintient des structures de pouvoir oppressives.
L’illusion de la liberté individuelle se manifeste dans le choix de sauver sa propre peau sans s’attaquer aux racines systémiques de nos maux. La quête des épouses pour échapper à leur condition à travers des stratagèmes individuels est dénoncée comme une illusion, car cela ne remet pas en cause le système économique et social qui les maintient dans cette position subalterne. La critique marxiste insiste sur la nécessité de s’attaquer à la racine des inégalités plutôt que de se contenter de solutions superficielles, soulignant que la véritable liberté ne peut être atteinte que par une transformation systémique et collective.
Outre ce demi-tour empreint d’une désillusion féconde, « Mad Max: Fury Road » se démarque aussi par son rendu viscéral d’une société post-apocalyptique, où la violence et le chaos règnent en maîtres. Cette représentation dystopique met en évidence les conséquences extrêmes de l’exploitation illimitée des ressources, une thématique centrale de la pensée marxiste.
Dans ce contexte, le film expose les inégalités sociales générées par un système économique capitaliste. Les puissants, incarnés par les seigneurs de guerre et les chefs de clans, exercent une oppression systémique sur les plus faibles, symbolisant ainsi la relation de classe inhérente au capitalisme. Cette dynamique appuie le conflit marxiste entre la bourgeoisie, détenant les moyens de production, et le prolétariat, fournissant la main-d’œuvre exploitable qu’il s’agisse de force de travail au sens où on l’entend dans l’actuel salariat ou de l’exploitation des femmes comme ventres féconds sur pattes ou encore comme vaches laitières.
L’allégorie des inégalités économiques et des abus de pouvoir est manifeste à travers la quête incessante des puissants pour contrôler les précieuses ressources du désert ainsi que ces populations. Ainsi, le paysage post-apocalyptique devient une toile de fond symbolique, reflétant la dégradation résultant des mécanismes capitalistes et des rapports de pouvoir asymétriques. L’exploration politique de Fury Road s’aventure bien au-delà de l’esthétique visuelle pour inciter à une réflexion sur la nécessité de repenser les structures socio-économiques existantes pour atteindre une société équitable, soulignant que les excès du capitalisme entraînent des résultats dévastateurs, comme illustrés dans ce monde désertique et brutal.
L’une des pierres angulaires du film réside dans le personnage de Furiosa, interprété par Charlize Theron. Elle transcende les conventions de l’actionner (film d’action bourrin) en incarnant une héroïne forte, intelligente et déterminée. Sa tête rasée et son bras amputé ne sont pas simplement des ruptures physiques avec les normes esthétiques imposées aux femmes, mais des déclarations puissantes. En rejetant ces normes de beauté féminine, Furiosa incarne une résistance intellectuelle contre l’assignation préconçue de valeurs et d’identités. Le personnage offre une rare représentation cinématographique des femmes en situation de handicap, défiant les normes établies. Mettant en avant le caractère exceptionnel du personnage au-delà de son apparence, le film devient ainsi un catalyseur pour des discussions plus profondes sur la représentation des femmes, en particulier celles en situation de handicap, dans un contexte artistique et sociétal plus large.
Le crâne rasé de Furiosa est également une rébellion contre les attentes de féminité telles que perçues par le regard masculin hétérosexuel. En s’affranchissant des stéréotypes liés aux cheveux longs, souvent associés à une certaine conception de la féminité dans la culture dominante, le film défie délibérément les normes de beauté imposées aux femmes. La tête rasée de Furiosa devient ainsi une déclaration, qui démystifie les liens traditionnels entre l’apparence physique féminine et son attractivité perçue par le regard masculin, affirmant la puissance de la diversité et de l’autodéfinition féminine.
En refusant de se conformer aux attentes traditionnelles du spectateur et à celles de Joe, Furiosa devient une figure emblématique du féminisme cinématographique, symbolisant la lutte pour l’égalité et la résistance contre l’oppression patriarcale. L’une des remarquables subtilités de « Mad Max: Fury Road » réside dans le choix audacieux de reléguer le personnage éponyme, Max, au second plan, voire même à l’arrière-plan puis ce que incarné par un Tom Hardy effacé, quasi insipide, et présent seulement en tant qu’outil de narration. C’est peut-être ça, finalement d’être un bon allié ? Tout ceci au profit d’une protagoniste tout aussi charismatique, si ce n’est plus. Max, bien que figurant en tant que personnage principal, se manifeste presque comme une béquille, laissant sciemment la vedette à Furiosa. Cette décision narrative offre une perspective nouvelle sur l’héroïsme, tout en érigeant Furiosa en figure emblématique d’une révolution où les femmes prennent réellement la tête de l’action.
Le film utilise habilement des éléments symboliques et picturaux pour représenter la redistribution des ressources et les luttes qui y sont liées. Les véhicules motorisés, symboles de puissance et de statut, deviennent des instruments de rébellion. La recherche acharnée de l’eau et d’autres ressources essentielles devient le point central des théories marxistes évoquées par le film, illustrant des disparités économiques exacerbées dans le monde dépeint par George Miller. Ces symboles soulignent la nécessité de repenser la distribution des ressources pour instaurer une société équitable et non-violente.
À sa sortie, « Mad Max: Fury Road » a généré des réactions intenses au sein des communautés de gauche. Différentes sphères militantes ont salué le film pour ses représentations de problématiques sociales et politiques contemporaines. La manière dont le film a dépeint les luttes contre l’oppression et la résistance a généré un enthousiasme significatif parmi ceux (si il y en avait) qui cherchaient une réflexion politique dans le cinéma d’action.
Le film nous rappelle donc les conséquences des systèmes socio-économiques inéquitables, soulignant la nécessité d’une réflexion critique sur la lutte des classes et les inégalités. De notre côté de l’écran, le film résonne avec les conflits de classes actuels et on trouve des parallèles saisissants entre la dystopie post-apocalyptique de Miller et notre monde contemporain. En insufflant une véritable pensée révolutionnaire (même chez un spectateur non politisé) « Fury Road » fait réflechir sur les systèmes de pouvoir, tout en offrant une expérience cinématographique qui transcende les frontières du divertissement conventionnel. Le film, en plus d’être visuellement époustouflant, laisse derrière lui des leçons durables sur l’importance de la résistance, de la diversité et de la quête de justice sociale. Alors que les échos de cette furieuse bataille pour la liberté résonnent encore dans nos esprits, l’annonce d’un spin-off centré sur le personnage emblématique de Furiosa suscite un enthousiasme plus que palpable. Le spin-off offre l’opportunité de plonger davantage dans l’univers complexe de Mad Max, et plus particulièrement dans la jeunesse de Furiosa, où les critiques sociales et politiques se mêleront, au rythme d’un film d’action fiévreux, du moins on l’espère. On ne peut qu’attendre avec impatience de voir comment cette nouvelle aventure nous transportera à nouveau dans un monde où l’action révolutionnaire forge la voie vers la liberté.
Farton Bink
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