Grâce à une alliance de fait entre les macronistes, Les Républicains et le Rassemblement National, une loi anti-immigrés d’une brutalité inédite et directement inspirée des propositions de Jean-Marie Le Pen a été adoptée par le Parlement. Cela semble créer, dans les franges bourgeoises de la gauche, une soudaine prise de conscience. Libération y voit une “trahison“, “qui ne correspondrait pas à l’ADN macroniste” (ah bon ?), Olivier Faure (Parti Socialiste) admet qu’il ne voit plus la différence entre un député macroniste et un député d’extrême droite, les Ecologistes disent que le gouvernement “veut appliquer le programme de l’extrême droite“, Roussel (Parti Communiste) dit que le positionnement est plus dur que l’Italie de Meloni, Sophie Binet (CGT) que le “barrage républicain a été rompu“, Médiapart que l’extrême droite est désormais au pouvoir et que le macronisme est un lépenisme, un collaborateur socialiste s’excuse d’avoir fait la leçon à ses collègues en disant que les logiciels macronistes et lepénistes n’avaient rien à voir… Tant mieux. Mieux vaux très très très tard que jamais. À Frustration, car nous suivons ce qu’il se passe dans les quartiers populaires, dans les mouvements sociaux, parce que nous voyons la répression de très près, il ne nous a pas fallu six ans de macronisme (et avant du duo Hollande-Valls) pour comprendre que le macronisme est une des formes de l’extrême droite et alerter à ce sujet.
Le 28 avril 2022, la semaine de la réélection de Macron, je publiais un article intitulé “L’impasse du “barrage” : l’extrême-droite est déjà là, partout“. Ce dernier revenait sur les arguments barragistes qui reposaient pour l’essentiel sur un déni de l’extrême droitisation macroniste et donc sur un déni du réel de la pratique du pouvoir du précédent quinquennat Macron. Ce déni se manifestait par des formules du type, “wow avec ce qu’il se passe aujourd’hui, imagine un peu si c’était Le Pen !”. Dans un second article intitulé “Arrêter de craindre le danger fasciste, craindre le danger Macron“, nous allions un peu plus loin expliquant qu’en raison de majorités introuvables, RN, LR et macronistes, alignés idéologiquement, seraient amenés à s’allier de plus en plus pour voter ensemble – ce qui s’est produit hier, avant de probablement gouverner ensemble un jour.
Dans le premier nous répondions à cette injonction à “imaginer” pour montrer que tout ce que nous aurions pu imaginer avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir s’est déjà réalisé sous Macron, et qu’il faut donc en tirer des conclusions.
L’artiste JC a décidé de mettre en musique le passage de ce texte, qui était aussi présent dans notre précédent numéro annuel papier, nous vous invitons à l’écouter :
Nous reproduisons la partie du texte dont la musique est adaptée avec les sources associées :
La plupart des arguments contre le “danger fasciste” se sont faits non pas sur le programme, réellement raciste, réellement autoritaire de Le Pen, mais sur des projections laissant “imaginer” ce qu’il pourrait se passer.
Imaginons un pouvoir réprimant les mouvements sociaux avec une violence quasiment jamais vue dans un régime démocratique moderne, la police tirant des flashballs sur les manifestants, leur arrachant les yeux, leur jetant des grenades de désencerclement mutilantes. Imaginons d’ailleurs que régulièrement, ces manifestations soient tout simplement interdites.
Imaginons que des personnes racisées, et d’autres, se fassent tuer par la police, sans qu’aucun policier ne soit jamais condamné.
Imaginons des journalistes, comme ceux de Taranis News ou Taha Bouhafs à l’origine du scandale Benalla, se faire régulièrement arrêter, confisquer et casser leur matériel, démettre l’épaule.
Imaginons les partis d’opposition, comme la France Insoumise, se faire perquisitionner en masse, leurs leaders condamnés pour “rébellion”.
Imaginons les médias indépendants, comme Mediapart, se faire perquisitionner également pour avoir dénoncé des scandales d’Etat ; comme Disclose, se faire convoquer par la DGSI ; comme Nantes Révoltée, être menacé de dissolution par le ministère de l’Intérieur.
Imaginons les violations des droits démocratiques en France être condamnées par Amnesty International, le Conseil de l’Europe, le Parlement européen, la Ligue des droits de l’Homme, et même l’ONU et son Haut-Commissariat aux droits de l’homme.
Imaginons des barbouzes déguisés en flic, amis du président de la République, avec des flingues planqués dans des coffres-forts, tabassant des opposants, couverts par la police.
Imaginons que l’on laisse des groupuscules néonazis comme Génération identitaire aller s’en prendre aux migrants à la frontière.
Imaginons que la police éventre les tentes des migrants, les tabasse, et que le gouvernement refuse d’accueillir un bateau avec 58 pauvres hommes et femmes.
Imaginons que les ministres commencent à vouloir enquêter sur les “islamo-gauchistes” à l’université et qu’on débatte en toute normalité de l’opportunité d’interdire l’UNEF.
Imaginons la présidence donner des interviews à Valeurs Actuelles, livrer des armes à Poutine malgré l’embargo, et le ministre de l’Intérieur déclarer que le problème n’est pas l’islamisme mais l’islam.
Imaginons que l’Etat mente, tout le temps : qu’à des fins de propagande on accuse des opposants qui fuient les violences arbitraires de la police d’avoir attaqué un centre de réanimation, qu’en pleine crise sanitaire rien n’ait été prévu et que le choix soit fait de préférer dire que les masques ne servent à rien. Imaginons que la révélation de ces mensonges soit absolument sans effet.
Imaginons que des ministres accusés de viol et d’abus de faiblesse restent en poste, au sein d’un ministère chargé de la réception (calamiteuse) des plaintes pour viols et abus de faiblesse.
Imaginons que le président veuille interdire de parler d’orientation sexuelle à l’école. Et que le législateur interdise aux mères voilées d’accompagner les enfants en sortie scolaire.
Imaginons qu’en prétextant faire face aux pandémies ou au terrorisme, on entre dans un état d’urgence permanent, où les restrictions de libertés soient massives, et les citoyens fliqués avec leurs téléphones.
Imaginons que l’Etat commence à dissoudre les groupes antifascistes.
Imaginons que la seule réaction face à un attentat contre une mosquée par un ancien candidat d’extrême droite soit non pas de condamner l’attentat lui-même, mais, pendant des années, d’assimiler les participants à une manifestation de condamnation de cet attentat à l’“anti-France” et à des “suppôts de l’islamisme”.
Imaginons la présidence vouloir rendre un hommage national au Maréchal Pétain et réhabiliter Charles Maurras, fondateur de l’Action Française.
Imaginons que les principaux médias français soient détenus par une dizaine de milliardaires proches du pouvoir et aux vues extrêmement réactionnaires, déversant sans cesse une propagande d’extrême droite et censurant les reportages incriminant leurs proches ou eux-mêmes.
Imaginons, sans que l’on sache vraiment pourquoi, les médias indépendants d’opposition, du moins ceux qui n’auraient pas été dissous, perdent subitement toute visibilité sur les réseaux sociaux.
Imaginons que même les moments de joie les plus insignifiants, comme danser pendant la Fête de la musique, soient ternis par des attaques de policiers d’extrême droite, que des jeunes meurent noyés après des charges et que personne n’y trouve rien à redire, que personne ne soit condamné. Pire : qu’aux yeux de tous, et sans crainte, cela fasse rire la police.
Cela vous semble familier ?
S’il est si difficile d’imaginer ce qui se passerait dans le cas d’une prise de pouvoir par “l’extrême droite”, c’est parce que tout ce que nous pouvions craindre de l’extrême droite s’est déjà produit, ou va se produire. Et sûrement en pire. Car l’extrême droite n’est pas le nom d’un parti mais celui d’une pratique du pouvoir, d’une pratique du pouvoir déjà existante. C’est le fait que l’extrême droite soit déjà au pouvoir qui rend par le même effet absolument terrorisant l’idée d’un “pire” chez certains (car pire que ça, qu’est-ce que ça va être…), et la neutralise totalement chez d’autres (“pourquoi avoir si peur de quelque chose qui est déjà là, auquel nous nous sommes collectivement habitués”).
Rob Grams
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