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Nous le disons et répétons depuis son élection, en 2017 : Emmanuel Macron a eu besoin, pour la réalisation de son programme pro-bourgeoisie, d’une mise au pas de la population française via la réduction des libertés individuelles et la répression des mouvements de contestation. Pour y parvenir, il a pu disposer de médias largement acquis à sa cause mais aussi et surtout d’une police déjà bien plus puissante que dans la plupart des autres pays européens. Cette police l’a sauvé successivement du mouvement des gilets jaunes, de celui contre la réforme des retraite et lui a permis de mater la révolte des banlieues à coup de près de 700 incarcérations. Car c’est bien ça qu’il s’est passé après le meurtre de Nahel : une justice expéditive a accepté les consignes de son ministre et a puni toutes celles et ceux qui sont sortis hors de leurs banlieues cette semaine-là. Mais à mesure que la dépendance du gouvernement à sa police grandit, celle-ci devient de plus en plus forte et elle est en mesure d’obtenir ce qu’elle veut. Ce week-end, la situation est montée d’un cran : la police est en train d’obtenir la fin de l’Etat de droit, pour pouvoir blesser et tuer en toute impunité, de préférence des noirs et des arabes. Que s’est-il passé ?

Le 27 juin à Nanterre, un jeune homme prénommé Nahel a été tué par un policier lors d’un contrôle routier. Une mort par balle à faible distance, qui ressemble à une exécution. Depuis, il est prouvé que les policiers ont menti, qu’ils n’étaient pas en danger et que rien ne justifiait l’emploi d’une arme à feu. Puisque ce meurtre était la continuité de la violence qui touchait principalement les populations racisé.e.s et la jeunesse des quartiers populaires, puisque dix jours avant, un jeune homme avait été tué à Angoulème dans les mêmes circonstances, la population, en particulier les jeunes, se sont rassemblés spontanément dans la plupart des villes de France pour protester contre cette répression permanente et l’impunité policière qui l’accompagne. Ce mouvement social – car il s’agissait bien d’un mouvement social, même s’il ne correspondait pas aux formes convenues et attendues, particulièrement inefficaces par ailleurs – a été violemment réprimé. Plusieurs personnes ont été tuées par la police, d’autres grièvement blessées, et des milliers ont été interpellées. Le gouvernement a demandé à l’institution judiciaire une réponse ferme et expéditive, et celle-ci a obéi : 700 personnes ont été incarcérées, parfois pour des actes dérisoires, dans une logique de punition collective et d’intimidation. 

Durant le mouvement social émeutier, un homme de 27 ans a été tué par la police, décédé d’une crise cardiaque après avoir été touché au thorax par « un projectile de type flash-ball ». Il était livreur UberEats, rien ne laissait penser qu’il participait aux émeutes et il filmait un passage à tabac quand il a été touché….

A Marseille, la situation a été particulièrement tendue. Et franchement, comment s’en étonner ? La deuxième ville de France est terriblement ségréguée, elle subit un embourgeoisement violent de son centre-ville, les plus pauvres sont relégués au loin, avec des services publics de transports défaillants… Durant le mouvement social émeutier, un homme de 27 ans a été tué par la police, décédé d’une crise cardiaque après avoir été touché au thorax par « un projectile de type flash-ball ». Il était livreur UberEats, rien ne laissait penser qu’il participait aux émeutes et il filmait un passage à tabac quand il a été touché…. La même nuit, Hedi, 22 ans, traversait la ville avec des amis quand il a croisé des policiers de la BAC. Sans raison, ces derniers s’en sont pris à lui, lui ont tiré dans la tête avec un LBD, l’ont trainé sur le sol, roué de coups, et l’ont laissé pour mort. Admis à l’hôpital, Hedi est tombé dans le coma, suite au traumatisme crânien lié au tir de LBD. Une fois soigné et sorti de l’hôpital, il a témoigné du calvaire qu’il a subi. Les 4 agents soupçonnés de l’avoir passé à tabac ont été mis en examen et l’un d’eux a été placé en détention provisoire (c’est-à-dire en l’attente de son procès) jeudi. 

Pour une fois, on peut avoir le sentiment que la justice a fait son travail et que des violences policières n’ont pas été impunies, contrairement à ce qu’il se produit la plupart du temps. Sauf que les policiers ne l’entendent pas de cette oreille : après leur garde à vue, les policiers soupçonnés d’avoir commis ce passage à tabac ont été accueillis par leurs collègues qui les ont applaudis. Cette scène hallucinante annonçait la couleur : pour les policiers marseillais, leurs collègues étaient dans leur bon droit quand ils ont trainé sur le sol et roué de coup un jeune homme qu’ils avaient déjà grièvement blessé par un tir à bout portant de LBD.

La même nuit, Hedi, 22 ans, traversait la ville avec des amis quand il a croisé des policiers de la BAC. Sans raison, ces derniers s’en sont pris à lui, lui ont tiré dans la tête avec un LBD, l’ont trainé sur le sol, roué de coups, et l’ont laissé pour mort.

Un mouvement de protestation des policiers marseillais a suivi cette scène délirante. Si prompts à dénoncer la fraude à l’assurance-maladie, les médias nationaux ont relayé complaisamment les arrêts maladies utilisés par les policiers pour manifester leur mécontentement. Ainsi que la mise au ralenti de tous les commissariats marseillais, qui se contentent désormais d’accueillir uniquement les plaintes urgentes. Quiconque a déjà mis les pieds dans un commissariat sait que les policiers ne bougent leur petit doigt que quand ils jugent par eux-mêmes de l’intêret de votre plainte (ce qui explique leur dédain continuel à l’égard des plaintes pour viol ou aggression sexuelle, qu’ils ont l’habitude de requalifier en main courante). Mais cela reste des actes de protestation et des transgressions ouvertes de la légalité. On ne se place pas tout seul en arrêt maladie, on ne décide pas soi-même de réduire le travail quand on est fonctionnaire.

Les choses auraient pu en rester là : des flics qui soutiennent, localement, des collègues accusés de violence, car ils veulent continuer à être violents. Mais leur hiérarchie s’en est mélé, et c’est là qu’un cap a été franchi : dimanche 23 juillet, dans une interview donnée au Parisien, le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, n°1 de l’administration policière, a déclaré : “un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail” avant de préciser : “Le policier doit rendre compte de son action, y compris devant la justice, mais on doit aussi tenir compte des garanties dont il bénéficie et qui le distinguent des malfaiteurs ou des voyous”. 

La corporation policière n’a cessé, ces dernières années, d’obtenir des choses de la part de gouvernements qui ont besoin d’elle.

Le placement en détention provisoire est une mesure dont la décision revient uniquement à un magistrat. Elle consiste à incarcérer une personne encore présumée innocente. L’article 144 du code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire ne peut être ordonnée que si elle constitue l’unique moyen, ”de conserver les preuves et indices matériels ; d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en cause ; de protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice ; de mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ; de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction” Aucun de ces critères n’exclut a priori un policier accusé d’avoir passé à tabac puis laissé pour mort un innocent. Le juge a pu estimer qu’il pouvait se concerter avec ses collègues pour trouver une version plus favorable – ce que les policiers font continuellement, comme à Rouen en 2020, dans l’affaire de Viry-Châtillon en 2021 ou suite au meurtre de Nahel. “Prévenir le renouvellement de l’infraction” pourrait aussi être un motif valable concernant un policier, puisque ces gens sont armés et peuvent exercer la violence sur autrui… Bref, on ne voit pas bien en quoi un policier accusé devrait connaître un sort différent du reste des justiciables, hormis pour des raisons politiques.

Et c’est précisément de cela qu’il s’agit : la corporation policière n’a cessé, ces dernières années, d’obtenir des choses de gouvernements qui ont besoin d’elle. On sait par exemple que le limogeage de Christophe Castaner, ministre de l’intérieur et clubber, qui avait osé dire que la pratique de la clef d’étranglement qui avait entraîné la mort de Cédric Chouviat devait être remise en question, a été obtenue par les syndicats de policiers, désireux de pouvoir être aussi violents qu’ils le souhaitent. 

En appuyant les revendications de ses fonctionnaires, le directeur général de la police nationale a franchi une limite qui fonde ce que l’on appelle “l’Etat de droit” (qui n’est pas une garantie de démocratie, mais dont l’absence la réduit pour de bon en miette) : la séparation des pouvoirs. En théorie, la justice doit être indépendante de la police pour éviter l’instauration d’un régime d’arbitraire. Pour le site d’information officielle Vie-Publique.fr (rattaché aux services de la Première Ministre), le principe de séparation des pouvoirs implique “l’interdiction faite au législateur d’intervenir (sauf impérieux motif d’intérêt général) dans une affaire judiciaire en cours en édictant une loi rétroactive ou une loi qui créerait des immunités pour une catégorie précise de personnes ou qui réduirait les délais de prescription.” Ce que les policiers demandent, c’est bien “une loi qui créerait des immunités pour une catégorie précise de personnes”…

Cette menace à peine masquée s’inscrit pleinement dans un climat que l’on pourrait qualifier de factieux : la police, ses syndicats, sa hiérarchie, son personnel font pression sur la société pour obtenir ce qu’elle souhaite. Et que souhaite-t-elle ? Pouvoir être violente de façon disproportionnée et mener “une guerre” contre les “nuisibles”

L’affaire aurait pu s’arrêter là si le directeur de la police n’avait pas reçu le soutien immédiat du préfet de police de Paris qui précise dans son tweet, qu’il est “aujourd’hui à la tête des 30 000 policiers de Paris et de l’agglomération parisienne” au cas où on aurait pas compris à quel point son pouvoir est grand. Cette menace à peine masquée s’inscrit pleinement dans un climat que l’on pourrait qualifier de factieux : la police, ses syndicats, sa hiérarchie, son personnel font pression sur la société pour obtenir ce qu’elle souhaite. Et que souhaite-t-elle ? Pouvoir être violente de façon disproportionnée et mener “une guerre” contre les “nuisibles”, comme l’ont réclamé les syndicats Unsa police et Alliance dans un communiqué commun le 30 juin. Ces deux syndicats pèsent quasi la moitié d’une profession très syndiquée, leurs propos en disent long sur l’état d’esprit des policiers français dont le vote ultra majorité à l’extrême-droite ne laissait plus planer le doute sur leurs rêves politiques. 

Cette atteinte sans précédent à la séparation des pouvoirs a été, dans la journée du 24 juillet, validée par le président de la République lui-même, qui n’a pas souhaité commenter les propos de la hiérarchie policière. 

Que va-t-il se passer désormais ? Hier 24 juillet, des boucles de discussion rassemblant des fonctionnaires de police appellaient à se rendre en masse au domicile du magistrat qui a décidé du placement en détention provisoire. Qui va pouvoir s’interposer et protéger le juge des pressions et menaces qu’il va subir ? Personne. C’est bien pour cela qu’un Etat de droit a besoin d’une police strictement neutre sur le plan politique. Car si elle se met en tête d’imposer son propre programme, elle sera impossible à stopper. Est-ce le souhait du président de la République ? Est-il prêt à donner tout le pouvoir aux policiers pour pouvoir continuer à mener sa politique de destruction de nos droits et de captation des richesses en faveur des possédants ? Même si cela engendre un déchaînement raciste de la part de ce qui est en train de devenir une milice autonome et surarmée ? Ce n’est désormais plus exclu. 


Nicolas Framont


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