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“Vos Frustrations” est une rubrique créée pour que nos lectrices et lecteurs nous racontent leur cri du cœur du moment, le sentiment d’injustice qui les habite ou ce qu’ils ont vécu au travail ou dans leur quotidien. Aujourd’hui, nous publions la frustration de Claire, qui s’inquiète de l’autoritarisme grandissant de notre pays.

Qui porte atteinte à la République ? Ministres et élus, et leurs cabinets, à tous les niveaux électoraux, détruisent avec obstination les institutions de la République. Désormais, État de droit et séparation des pouvoirs ne sont plus protégés par ceux dont c’est le rôle : alors que ces deux enjeux vitaux de la République sont régulièrement violés, aucun haut dirigeant ne le dénonce jamais, ni n’y met fin.


L’État de droit est particulièrement attaqué ces derniers temps, et la justice a bien du mal à servir les citoyens de façon équitable. Le parquet accompagne souvent la politique de l’exécutif et protège les proches du pouvoir mis en examen. Les classements sans suite de violences policières commencent à se compter par dizaines sinon par centaines, alors que les faits sont avérés (blessures graves et morts). Ne parlons pas de l’IGPN, dont l’existence même viole l’État de droit (la police se jugeant elle-même) et est en contradiction avec les recommandations du Conseil de l’Europe.

Acte 64 – Gilets Jaunes Samedi 1 février 2020 – Manifestation Interdite par la Préfecture Palais Royale, par Serge d’Ignazio


Quant à la séparation des pouvoirs, elle n’a plus grande existence. Les parlementaires du parti présidentiel (et ce n’est pas nouveau) servent principalement d’enregistreurs de la volonté de l’exécutif (notre députée de circonscription en est un exemple assez atterrant). Et la justice est mise en coupe réglée par son ministère, certains magistrats s’en alarmant d’ailleurs. Un exemple : les directives écrites de la garde des Sceaux aux juges lors des procès expéditifs de Gilets jaunes en début d’année 2019 sont illégales et donc inquiétantes elles aussi.


La corruption existe un peu partout, incitée mécaniquement par le développement généralisé du pantouflage public-privé. Dernier exemple en date : Delevoye, dont la démission a été accueillie “avec regrets” par Macron, alors qu’il aurait dû le renvoyer pour viol de la Constitution dès la révélation de son conflit d’intérêts avec des compagnies d’assurances. Les lobbies sont à la manœuvre dans les cabinets, et ont dicté de nombreux textes de lois (Monsanto-Bayer sur le glyphosate, pour n’en citer qu’un, mais BlackRock a bien travaillé aussi sur les retraites).
L’indépendance de la presse vis-à-vis des puissances financières n’est plus du tout assurée, contrairement aux préconisations du CNR visant à permettre un débat public sain. La presse n’est donc plus du tout le « quatrième pouvoir » qu’elle se targuait d’être.

Les libertés individuelles, depuis 2001 et plus particulièrement depuis 2015, s’effacent peu à peu, dans un durcissement continu des lois scélérates de la fin du XIXe siècle. Le droit de manifester est hebdomadairement bafoué, par exemple. Le nouveau délit de « groupement en vue de commettre des violences » permet toutes les dérives. La police se croit chargée de rendre la justice. Les arrestations arbitraires sont quasi quotidiennes, et les récits totalement surréalistes de gardes à vue abondent sur les réseaux sociaux.
La liberté d’expression est également en péril avec la loi Avia sur la « haine » en ligne. Et les dispositifs de surveillance électronique de plus en plus élaborés font froid dans le dos. Je suis par exemple photographiée et filmée systématiquement sur les manifestations. Sans oublier les caméras disséminées dans l’espace public. La reconnaissance faciale fonctionne en lien avec le fichier des passeports et cartes d’identité : facile… et terriblement inquiétant.


Les instances de contrôle ne sont plus écoutées par le pouvoir (défenseur des droits) ou sont tout simplement supprimées (observatoire de la pauvreté). Les déclarations des instances internationales de défense des droits de l’homme (à l’ONU, au Conseil de l’Europe) sont balayées d’un revers de main. Sans parler des ONG, dont les interventions et les rapports alarmants sont totalement ignorés par le régime (Amnesty international, FIDH, ACAT, etc.). La déclaration du préfet de Paris il y a quelques semaines estimant qu’une manifestante et lui-même ne seraient pas « dans le même camp » m’inquiète d’autant plus qu’il n’a été désavoué ni par le ministère de l’Intérieur, ni par Macron. Cette sortie est assez caractéristique, finalement, de l’absence de pensée démocratique des élites, qui se comportent comme si elles étaient au-dessus des lois : les élus décident, en accord avec les décideurs économiques, et le peuple n’a qu’à obéir. Infléchir la volonté de cette poignée de dirigeants, même quand l’opposition est très largement majoritaire (les sondages donnent plus de 70 % de soutien à la mobilisation contre le projet de loi sur les retraites), est devenu impossible sous Macron. Je suis terriblement surprise, depuis plus d’un an, par le silence quasi unanime des intellectuels et de la classe bourgeoise éduquée sur la montée de ce péril autoritaire, sur les violations répétées de la Constitution, de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs – qui sont pourtant les principes fondamentaux de la République.

Acte 64 – Gilets Jaunes Samedi 1 février 2020 – Manifestation Interdite par la Préfecture Palais Royale, par Serge d’Ignazio


Au lieu de cela, ces Français aisés se succèdent dans les médias pour proférer les uns après les autres leur mépris des citoyens qui descendent dans les rues contre cette radicalisation du pouvoir – citoyens dont ils paraissent avoir peur. Ceux-là mêmes qui militent pour les droits de l’homme dans les pays lointains ou qui discourent sur le racisme, le féminisme ou l’homophobie semblent aveuglés par une connivence sociologique avec le pouvoir en place qui les empêche de lire la situation politique française avec objectivité. Même Robert Badinter, que j’admirais sincèrement, se laisse aller à dénoncer une prétendue violence des manifestants sans un seul instant en analyser les causes dans les violences réelles et quotidiennes vécues par la majorité d’entre nous. Quid de la violence du chômage, de la violence des accidents du travail, de la violence de l’abandon des quartiers populaires, de la violence de la mise à mort de l’hôpital public, de la violence du vol de nos retraites, de la violence de la précarisation de l’éducation, de la violence de la destruction de l’écosystème ?


Quid de la violence de la répression judiciaire et policière, des blessés graves, des morts et de l’impunité systématique des forces de l’ordre ?
Et quid de la violence de l’invisibilisation et de la délégitimisation médiatiques sciemment mises en œuvre par le bloc bourgeois dans une espèce de course à l’écrasement de toute velléité du peuple à relever la tête ?


L’impuissance populaire, induite par le système représentatif et inscrite dans le marbre par le régime actuel, mène à une frustration qui, on le voit, crée de la colère. C’est donc bien l’absence de démocratie, la sensation de n’être plus maîtres de nos vies, la surdité profonde des dirigeants et leurs abus de pouvoir répétés, qui produisent parfois de la violence symbolique dans les manifestations de l’opposition. Aujourd’hui, les institutions de la République française sont ignorées et bafouées par les élites au pouvoir. Sauf… pour répéter que nous devrions obéir à leur loi et nous taire ! Se faire cracher à la figure en permanence ne permet pas de rester calme.