L’industrie agroalimentaire n’est pas dirigée par des enfants de coeur, on le sait désormais tous. Ultra-polluante, modifiant nos habitudes alimentaires pour y incorporer toujours plus de sucre de façon sournoise, ce secteur régit nos vies plus qu’on le croit, et pas seulement par le Coca, le Mac Do et les pots de crème glacée. Pour sortir des généralités, nous avons choisi d’illustrer cette réalité pas si bien connue par le biais de quatre produits qui ont eu une place centrale dans l’alimentation d’un jeune ayant grandi dans les années 1990 et la première décennie des années 2000 : l’auteur lui-même. Après avoir évoqué, dans des épisodes précédents, les céréales, les jus de fruits et les plats de cantines scolaires, il est temps de briser un tabou en parlant des yaourts.
4 # Les yaourts : faut-il cracher dans son Yop ?
En 1996, le groupe Yoplait remporte un succès d’estime avec sa publicité devenue depuis iconique « T’as craché dans ton Yop ». Le célèbre yaourt à boire ne vient pas d’être inventé, mais la stratégie publicitaire qui l’accompagne dans les années 90 le propulse comme produit phare pour la jeunesse. On s’est mis à manger tellement de yaourts dans les années 90-2000 qu’on se demanderait presque si ce ne fut pas une façon de compenser la fin du Parti communiste et le début de la vaste période blasante que fut « l’alternance », de Mitterrand à Macron. A la maison, il n’y avait pas un repas qui se terminait sans son yaourt.
Là encore, Yoplait marquait des points avec ses fameux « paniers de Yoplait ». Pomme, abricot, cerise, pêche, ananas (beurk) : des fruits avec morceaux, sans morceau (« moi j’aime pas quand il y a des morceaux », gémissait une gamine insupportable dans la publicité des « Velouté Fruix », le contrepied gluant des paniers de Yoplait), il y en a toujours pour tous les goûts, et les rayons yaourts demeurent, dans nos hypermarchés, aussi longs que le rayon vin. Racheté depuis par le géant agroalimentaire américain General Mills, Yoplait a conquis le monde : wikipedia précise que chaque minute, 17 600 pots de ses yaourts sont ingurgités dans le monde (on ne sait pas si cela concerne aussi les yaourts à l’ananas).
Au début des années 2000, Yoplait se fait voler la vedette par Danone, un autre champion national, qui mise sur la préoccupation sanitaire pour vendre son Actimel, version détox du bon vieux Yop. La publicité Actimel est aussi convaincante que celle de l’OscilloCoccinum. Actimel prétend « renforcer les défenses naturelles » et donner totalement la pêche. Sans surprise, ce produit a été chaudement recommandé à l’ado maigrichon et somnolent que j’étais, et l’Actimel est alors venu remplacer mes Frosties, heureusement complété par d’épaisses tartines de Nutella.
Est-ce par manque de motivation que l’Actimel n’a pas su me rendre plus vif lors des cours de SVT du vendredi matin ? Pas vraiment. En 2008, une action en justice a été menée par des consommateurs américains pour publicité mensongère de la part de Danone sur ses produits Actimel et Activia. Activia était nommé un temps « Bio de Danone », marque bien connue pour sa fameuse publicité « ça fait du bien à l’intérieur et ça se voit à l’extérieur » (promesse ultra ambitieuse, quand on y pense). En octobre 2010, l’autorité en charge de la régulation publicitaire du Royaume-Uni a envoyé péter les publicités sur ces produits, pour allégations sanitaires non prouvées. La même année, Danone a discrètement retiré ses demandes d’homologations sanitaires sur ces deux produits auprès des autorités européennes après avoir anticipé un refus.
Pas un problème pour l’entreprise et ses actionnaires, estime un spécialiste interrogé par le magazine LSA : “Dans le subconscient des consommateurs, l’image d’Actimel et d’Activia a tellement été associée à la santé que cela va rester dans les esprits pendant longtemps. Si ces produits perdent leurs allégations, ce n’est pas la fin du monde. C’est un risque calculé.” Autrement dit, un beau coup de bluff… très lucratif : en 2009, Activia et Actimel représentaient un quart du chiffre d’affaires du groupe Danone.
Si ces produits laitiers ne font pas beaucoup de bien, font-ils du mal ? Bienvenue dans l’empire de la controverse scientifique ! Les études sur le sujet sont rares, et quand elles sortent, elles sont controversées. Celle qui établit un lien possible entre consommations de yaourts et obésité a été publiée dans la revue Nature en 2019 par un certain… Didier Raoult. Nous n’irons pas plus loin sous peine de diviser nos lecteurs entre « pro » et « anti ». Ce qui est plus avéré et consensuel, c’est qu’une proportion significative de la population (entre 5 et 15%) souffre d’intolérance au lactose et jusqu’à la moitié digère mal le lait ! C’était donc ça, ces crampes d’estomac en cours d’EPS ?