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La sortie de François Bayrou sur la “classe moyenne” à 4000€ par mois a suscité un petit débat médiatique où, comme d’ordinaire, les représentants de la bourgeoisie ont le dernier mot. Le Haut-Commissaire au Plan (l’emploi fictif que Bayrou occupe) s’est expliqué dans une vidéo, racontant qu’il parlait en fait d’un couple et qu’il fallait cesser d’associer la richesse à un “privilège”. Hier soir sur BFM TV, c’est l’inénarrable Alain Duhamel, éditocrate assermenté du régime, qui est venu donner le fin mot de l’histoire : le problème, c’est que la France n’aime pas les riches. Contrairement aux américains, aux anglais et aux allemands (qui “vénèrent les patrons”, selon Duhamel), nous aurions une méfiance envers les riches, insensibles que nous serions à leur “réussite”. 

Les bourgeois nous posent problème. Et nous leur posons problème.

Comme d’habitude, les représentants de la bourgeoisie ne décrivent jamais la position de la population sous un angle rationnel : nous autres beaufs de la classe laborieuse, ce sont nos sentiments qui nous gouvernent. Quand nous manifestons, c’est de la “grogne sociale”. Quand nous pensons que le système politique est mauvais, c’est de la “défiance”. Et quand nous croyons que le gouvernement bosse pour une petite oligarchie, c’est du “complotisme”. Ainsi, la question que BFM pose à Duhamel est “la France déteste les riches ?”, et non “la France a-t-elle un problème avec ses riches ?” C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit : les riches – que nous préférons appeler les bourgeois – nous posent problème. Et nous leur posons problème. C’est ainsi depuis les débuts du capitalisme, et lorsqu’une crise économique s’abat sur le pays, ce problème devient encore plus vif.

Nous avons un problème avec les riches – les bourgeois –  parce que nous savons d’où provient leur argent, et l’effet qu’il a sur nos vies. Ce n’est pas une “haine” ou une “jalousie” comme on l’entend trop souvent : la plupart des gens ne désirent pas devenir millionnaires – contrairement à ce que Macron aimerait pour nos jeunes – mais ils souhaitent vivre dignement. Et cette dignité leur est retirée par les bourgeois au travail, dans les médias, mais aussi en politique : les gouvernements à la solde de la bourgeoisie brisent le modèle social de solidarité et de coopération que nos anciens avaient bâti. Cette dignité leur est retirée par la chasse aux pauvres avec la bénédiction des médias bourgeois qui préfèrent ouvrir leurs journaux sur les quelques centaines d’euros de trop perçus par certains prolétaires que sur les milliards planqués par les familles bourgeoises dans les paradis fiscaux.

Des « réussites » sur le dos et la vie des autres

Nous ne sommes pas envieux de leur “réussite”. Quelle réussite ? La réussite des membres de la famille Mulliez d’être nés dans le bon utérus ? Alexandre Mulliez, moins de trente ans, est devenu vice-président d’Auchan, parce qu’il appartient à la bonne famille. Une réussite ? Et sur le dos de qui ? La famille Mulliez domine le capitalisme français depuis le milieu du XIXe siècle. Sa “réussite” s’est construite sur le travail des ouvrières et ouvriers de l’industrie textile en France puis au Bangladesh : en 2013 s’effondre sur ses ouvriers l’immeuble insalubre où étaient confectionnés des vêtements de plusieurs marques européennes, dont Auchan. Vincent Bolloré, l’homme qui rachète tous nos médias (Europe 1 va être bientôt rajouté à sa collection de jouets) pour favoriser ses candidats, doit sa fortune à ses activités en Afrique, où son groupe a racheté des infrastructures de transport avec la bénédiction de régimes autoritaires, frayant avec le dictateur libérien Charles Taylor et contribuant aux guerres et trafics d’armes. 

Ces évènements correspondent aux formes les plus extrêmes de l’exploitation humaine en régime capitaliste, dont la cohorte de souffrance va du burn out de l’assistance surchargée de travail aux cadences impossibles du livreur à vélo, en passant par les 2  accidents du travail mortel par jour, rien qu’en France. Même quand les conditions de travail sont correctes, il y a toujours exploitation car notre salaire ne correspond pas à la richesse que nous produisons et cette injustice s’aggrave avec le temps : nous travaillons en moyenne plus de 45 jours par an pour rémunérer les actionnaires, contre 10 jours en 1981.

Les Mulliez, comme toute famille de riches français, pratiquent “l’optimisation fiscale”: une grande partie d’entre eux vivent de l’autre côté de la frontière belge. Ils ne sont pas les seuls riches français à jouer à ce jeu-là : la dernière enquête sur l’évasion fiscale au Luxembourg montre que ce sont des Français qui en profitent le plus. Ces milliards qui s’envolent chaque année, et au nom duquel nos gouvernements successifs tuent à petit feu notre système de redistribution fiscale pour “faire revenir les riches” (la fin de l’ISF en 2017 répondait à cet impératif), c’est autant d’argent que nos hôpitaux n’auront plus. Que l’éducation nationale va devoir économiser. Que nos étudiants ne percevront pas.

On ne peut pas être riche innocemment dans un pays capitaliste : derrière du capital qui prospère se trament toujours des souffrances et des aliénations humaines. Un peu de haine ne pourra pas être de trop. Beaucoup de révolte sera assurément nécessaire.