Malgré une mobilisation d’une massivité inouïe, comme jamais vue en France depuis mai 1968, malgré un rejet ultra majoritaire de la population, la réforme des retraites de Macron a été adoptée. Que s’est-il passé ? Qu’avons-nous raté ? Comment faire mieux lors de la prochaine bataille sociale qui ne manquera pas d’arriver bientôt ?
Ces questions, ce sont des questions stratégiques, c’est-à-dire des questions aussi essentielles que délaissées. Nous allons les développer dans un dossier consacré, par Guillaume Etievant, dans notre prochain numéro papier qui sortira en février 2024.
Nous avions à l’époque, à notre petite échelle, tenté de contribuer à cette nécessaire réflexion pendant le mouvement avec notre appel à un “Gilet jaune salarial” début février. Cela avait nourri des discussions intéressantes avec Révolution Permanente, qui menait une réflexion de fond sur le sujet et une intense activité militante au sein du mouvement, mais aussi, par exemple, avec Romaric Godin et Fabien Escalona dans Médiapart, qui eux aussi tentaient de proposer des chemins vers la victoire. D’autres initiatives, comme la tribune du 28 janvier 2023 dans le JDD appelant à généraliser la grève (notamment co-signée par Frustration) et qui avaient abouti à la création du Réseau pour la Grève générale, avaient vu le jour. Quelques mois après la défaite sort La Victoire était possible : Réflexions stratégiques sur la bataille des retraites de 2023 de Juan Chingo, éditorialiste et membre du comité de rédaction de Révolution Permanente, un des rares ouvrages (peut-être le seul) à tenter de tirer des leçons du mouvement des retraites, ce qui est plus que bienvenu.
Qu’est-ce que celui-ci nous dit ?
Les conditions de la victoire étaient réunies : une opportunité historique manquée
Le mouvement contre la réforme des retraites a constitué le premier mouvement social réellement massif en termes de nombre de participants (manifestants et grévistes) depuis l’arrivée de Macron au pouvoir en 2017, et un des plus importants depuis mai 1968.
Ce mouvement était “enraciné à la fois dans les centres urbains et dans les villes périphériques” en faisant le premier à avoir “réuni des franges aussi éloignées des classes populaires ces 40 dernières années”. En effet cette réforme était “rejetée par les différentes couches de la classe ouvrière, notamment les secteurs les plus exploités et les plus opprimés” mais également par les cadres, qui furent beaucoup plus nombreux que prévus à s’y opposer.
Les syndicats, que tout le monde pensait morts et enterrés, ont soudainement fait montre de leur capacité à mobiliser de larges troupes, y compris la CFDT.
À ces forces, nous pouvions également compter sur les étudiantes et les étudiants, chauffés à blanc par les douloureuses périodes de confinement, les promesses non tenues conçernant les bourses, le refus des macronistes de “maintenir les repas universitaires à un euro pour tous”, l’augmentation dramatique de la précarité et de la pauvreté étudiante. D’une manière générale la situation des travailleuses et travailleurs et des étudiantes et étudiants se rapprochent toujours plus. Comme le note Robi Morder, spécialiste du mouvement étudiant, cité dans le livre : “Au cours de leurs études, 40% des étudiants travaillent. (…) Aujourd’hui, c’est plus d’un million d’étudiants qui travaillent (…) Autrement dit, un million de salariés, de travailleurs, sont aussi étudiants”
Comme pour les Gilets Jaunes et la taxe carbone, il est apparu très rapidement que le mouvement dépassait largement la seule question de la réforme des retraites et que celui servait de “caisse de résonance à toute une série d’autres souffrances sociales, liées aux conditions de vie et de travail” en particulier la question de la pénibilité. La demande de démission de Macron était également omniprésente.
Si les directions syndicales se sont avérées d’une mollesse coupable, ce n’était pas le cas de très nombreux et nombreuses travailleurs et travailleuses syndiqués, à l’image de Fred, 47 ans et militant CFDT, cité dans l’ouvrage « Là on s’amuse, on est gentils et c’est cool, mais ça ne suffit pas (…). Il faut reprendre la pression des samedis comme pendant les Gilets Jaunes ». Il n’y a jamais eu d’alignement complet entre les directions et les “travailleurs à la base, y compris chez des secteurs militants des syndicats réformistes”.
Ce mouvement naît par ailleurs dans un contexte où la France est devenue ce que Juan Chingo appelle un véritable “laboratoire de la lutte des classes”, rappelant que “depuis 1995, la France a toujours été à l’avant-garde de la résistance face à l’offensive néolibérale thatchérienne et reaganienne”, avec, depuis 2016, une multiplication et une combinaison des répertoires d’actions, de Nuit Debout jusqu’au mouvement des Gilets Jaunes. Ce dernier ayant montré que “quelque chose est possible si l’on hausse le ton”, comme le souligne Romaric Godin. Beaucoup y étaient près. Le sociologue Olivier Galland, cité dans le livre, note par exemple qu’“il y a une acceptation plus grande de la violence politique chez une partie non négligeable des jeunes, une tolérance accrue envers les affrontements avec des élus ou la police”.
Cela s’est traduit par une radicalisation du mouvement, proche de ce à quoi nous avions appelé dans notre appel à un “gilet jaune salarial”, à partir de l’utilisation du 49.3 à la mi-mars : émeutes, grèves sauvages, mannequins à l’effigie du gouvernement brûlés… montrant une importante détermination et colère de la part des travailleuses et des travailleurs.
La nullité stratégique et politique de l’intersyndicale en cause
Pour Juan Chingo, cela est clair, l’essentiel de l’échec du mouvement est la responsabilité de l’intersyndicale, dirigée par Laurent Berger de la CFDT (syndicat réformiste cherchant la conciliation et les compromis avec le patronat depuis plus d’un demi-siècle) et dont l’effet n’aura été que de “contenir l’énergie et la détermination des travailleuses et des travailleurs et de les condamner à l’impuissance”. Pourquoi ?
Tout d’abord Laurent Berger s’est évertué à vouloir absolument pacifier le mouvement, à empêcher la montée en tensions qui avait fait la force des Gilets Jaunes (un des rares mouvements à avoir obtenu des choses ces dernières décennies), multipliant les déclarations de ce type : « il faut que ça se fasse dans un cadre pacifiste (…) la CFDT ne sera pas dépassée par sa base ». Pour lui, l’unique objectif était d’exercer une pression sur le Parlement, ce qui passait, selon lui, par une succession de manifestations symboliques et peu radicales afin de montrer le mécontentement.
Son refus de radicaliser le mouvement aura été une constante même face à l’inflexibilité croissante du gouvernement, même face à l’utilisation du 49.3 qui a marqué une nouvelle phase du mouvement, où celui-ci déclarait : « Je ne ferai pas partie de ceux qui diront qu’une réforme de cette ampleur adoptée avec le 49.3 c’est antidémocratique ».
Cette stratégie de pression symbolique repose sur une erreur d’analyse absolue celui d’une “une hypothèse implicite du bon vouloir du capital” pour reprendre les termes de Frédéric Lordon cité par l’ouvrage : “bon vouloir à entrer dans un processus de transaction pour aboutir à des compromis. Mais (…) le capital a conquis (avec l’aide de la social-démocratie !) les moyens structurels de ne plus transiger, de ne plus transacter, de ne plus passer aucun compromis, et d’imposer ses normes avec la dernière unilatéralité.”
La manifestation la plus pitoyable de cette analyse et de cet état d’esprit ayant été la lettre de supplication des dirigeants syndicaux adressée à Macron (qui est restée sans réponse)…
Cette stratégie de pression sur les élus plutôt que sur le patronat s’est traduite par “tendre la main de façon appuyée à la droite, puis le Sénat, et (…) le Conseil Constitutionnel, avec le succès que l’on sait”.
Laurent Berger, la CGT et l’intersyndicale en général, se sont également attelés à ce que le mouvement ne se concentre que sur le retrait de la réforme, là où les mots d’ordre de démission du gouvernement devenaient de plus en plus présents dans la rue.
De plus, plutôt que d’organiser une grève reconductible, c’est-à-dire sans date de fin jusqu’à l’obtention des revendications, l’intersyndicale a fait le choix de journées d’actions éparpillées dans le temps, absolument épuisantes pour les travailleuses et les travailleurs tout en étant beaucoup plus inoffensives pour le capital et le patronat.
Alexis Antonioli, dirigeant syndical CGT dans la principale raffinerie de France au Havre et cité dans le livre, résume bien le problème posé : « Leur calendrier avec des dates saute-mouton, vingt-quatre heures toutes les deux semaines, c’est la stratégie de la défaite… Si on envisage de se mettre quinze jours, trois semaines en grève, c’est pas juste pour obtenir le statu quo, c’est pour aller plus loin et reconquérir la retraite à 60 piges, avec 55 ans pour les métiers pénibles ». Au-delà de ces mesures, la démission du gouvernement peut également être un pré-requis pour les raisons évoquées au-dessus : l’intransigeance patronale s’étant accrue depuis 2008, “un recul même partiel serait un précédent inquiétant pour le régime”.
La recherche de l’unité syndicale à n’importe quelle prix fût aussi une lourde erreur. “Si l’unité syndicale a pu jouer un rôle progressiste au début du mouvement, encourageant les travailleurs lassés des divisions syndicales à entrer dans la lutte, elle a fini par être un frein toujours plus fort”. Comme le disait le philosophe trotskiste Daniel Bensaïd, cité dans le livre : “L’unité n’a pas de valeur en soi, indépendamment de ses buts et de son contenu. L’unité, c’est l’unité pour quelque chose, pour l’action, pour des objectifs”. Cette unité pour l’unité a neutralisé la CGT qui n’a pas “cherché à représenter une véritable alternative” tandis que les dirigeants de Solidaires “sont restés fidèles à la direction de Berger (…) relayant ses communiqués de façon totalement acritique”.
Quant à la France Insoumise et à la Nupes, celles-ci se sont concentrées sur une bruyante et inutile opposition parlementaire, montrant les limites de leur obsession électorale et institutionnelle. Juan Chingo cite notamment Charlotte Girard, ancienne figure centrale du mélenchonisme, qui avait regretté dans son courrier de rupture que la France Insoumise soit “trop tournée vers l’exercice institutionnel du pouvoir” et les limites de “l’exploitation du seul contre-pouvoir parlementaire”. Romaric Godin abonde dans ce sens : “L’Assemblée nationale est devenue, à proprement parler, un cirque, dans la mesure où ce qui s’y déroule relève très largement du spectacle sans substance. Il faudrait engager une réflexion à gauche sur le fait que le Parlement n’a, sous ce régime, aucun pouvoir”. Cela a même un effet réellement démobilisateur quand on en vient à mentir à la population en faisant croire qu’il puisse s’y passer quelque chose. Toutefois, pour nuancer ce propos, on a pu constater que l’utilisation du 49.3 et la démonstration de la mascarade démocratique ont eu un effet mobilisateur et de radicalisation du mouvement.
Mais l’ambition générale de la France Insoumise et de la Nupes – la dissolution de l’Assemblée nationale, la tenue d’élections qui pourraient imposer une cohabitation à Macron – bref une sortie purement institutionnelle, n’était de toute façon pas à la hauteur des enjeux. Limiter la seule sortie positive d’un mouvement social à la possible victoire de Jean-Luc Mélenchon contribue à désarmer les luttes sociales, à leur ôter leurs perspectives de gains par des méthodes extra-institutionnelles.
Les leçons pour la prochaine bagarre : une stratégie alternative
La Victoire était possible est un ouvrage de réflexion stratégique. Ces questions stratégiques sont pourtant largement absentes du débat intellectuel alors qu’elles sont centrales : nos défaites successives contribuent à un sentiment d’impuissance, qui devient ensuite autoréalisateur. Comme le dit Lawrence Freedman, spécialiste des War Studies, cité dans l’ouvrage : “la stratégie est l’art politique central. Il s’agit de tourner à son avantage une situation déterminée qui semblait défavorable”.
L’enjeu est de taille : nous avons perdu la bataille des retraites mais nous ne sommes pas condamnés à perdre la prochaine et nous pouvons récupérer ce qui a été perdu, voire même obtenir plus.
Mais alors qu’aurions-nous dû faire ? Que faudra-t’il faire la prochaine fois (au hasard pendant les Jeux Olympiques 2024 ?) ?
La grève reconductible plutôt que la grève par accoups
Tout d’abord “construire une grève reconductible large” plutôt que des journées de grèves éparses.
C’est ce qu’avait réussi à imposer à leur direction, les travailleuses et travailleurs de la RATP, lors de la précédente bataille contre la réforme des retraites en 2019, celle-ci s’étant ensuite étendue à la SNCF et à d’autres secteurs.
Pour mobiliser : demander bien plus que le retrait de la réforme
Cette grève reconductible aurait dû se faire autour d’un programme qui aille au-delà du retrait de la réforme, un véritable “cahier revendicatif élargi”, qui ne se contente pas d’être défensif mais offensif, qui aurait dû chercher à “arracher des retraites dignes” (à 60 ans, et 55 ans pours les métiers les plus pénibles, retraite à minima au montant du SMIC) “l’indexation des salaires sur l’inflation et des augmentations pour toutes et tous.”
Ce n’est qu’ainsi que l’on peut être réellement motivés à s’engager dans une bataille difficile.
Juan Chingo donne l’exemple des grévistes du nettoyage d’ONET, qui se sont mis fin janvier en grève à 100% à la fois contre la réforme des retraites mais aussi sur leurs conditions de travail.
La lutte contre la réforme des retraites – une réforme massivement rejetée mais tout de même adoptée – est également le symptôme d’une crise politique et démocratique. Juan Chingo propose donc un certain nombre de revendications qui répondent à la demande populaire sur ce terrain. Il propose de s’inspirer de la Révolution française et en particulier de la Convention de 1793 : suppression du Sénat pour l’instauration d’une Assemblée Unique qui combine pouvoirs législatifs et exécutifs, avec des membres élus pour deux ans, au suffrage universel, proportionnelle intégrale, révocables à tout moment et avec ”le salaire d’un ouvrier spécialisé ou d’un enseignant”.
Grève par procuration ou grève générale ?
L’auteur et Révolution Permanente s’opposent également vivement à l’idée d’une “grève par procuration”, c’est-à-dire la situation dans laquelle les travailleuses et travailleurs les plus essentiels, des secteurs stratégiques se mettent en grève pour bloquer le pays, avec l’aide financière et logistique des salariés des autres secteurs qui continuent de travailler.
Nous avions nous, à Frustration, avancé l’idée qu’une grève de ce type, en tout cas comme une première étape pouvait avoir sa pertinence, et c’est notamment sur ce terrain que s’était dessiné un éventuel désaccord. Après la lecture de l’ouvrage qui pointe les “dangers” d’une telle stratégie (lesquels ?), je ne suis pas encore pleinement convaincu sur ce point car je n’ai pas réussi à comprendre précisément l’objection qui lui était faite.
La Victoire était possible contient également un échange entre l’auteur et Romaric Godin, celui-ci déclarant “le pire écueil serait de maintenir cette partie du salariat dans une passivité où elle resterait à regarder les autres faire grève pour elle” . Toutefois, au-delà de la question morale (le côté “passager clandestin”), cette affirmation peut paraître abstraite en ce qu’elle ne répond pas concrètement aux enjeux que cela pose : comment mobiliser les salariés en situation d’ultra précarité ? Les stagiaires ? Les intérimaires ? Les CDD ? Les salariés en période d’essai etc ?
La position défendue par l’ouvrage est donc celle d’une “grève générale” c’est-à-dire de la majorité des secteurs économiques.
Mais alors comment généraliser ou à minima étendre la grève ?
Dans cet objectif les “secteurs habituellement à l’avant-garde” ont un rôle déterminant “en allant chercher activement les forces plus dispersées”. C’est ce qu’on appelle “la grève marchante”. Juan Chingo cite Rémi Azemar dans Contretemps à propos des grèves de 1995 qui étaient parvenus à faire reculer une réforme des retraites : “Dans la plupart des récits, lorsqu’une personne évoque son début de grève, elle fait référence à un·e proche, collège ou ami·e qui prend le temps de discuter et de convaincre. Les diffusions massives de tracts ne sont pas gages de réussite par rapport au temps pris à discuter avec toutes les personnes de son réseau. À ce niveau, une des forces de 1995 fut la visite de grévistes dans des lieux non-grévistes. Des responsables syndicaux mais également des personnes qui vivaient leur première grève (encore plus efficace) se rendaient dans des lieux de travail de personnes qu’ils et elles connaissaient pour convaincre à la grève. Et quand cette visite était collective (plus de 5 personnes), les résultats pouvaient parfois être immédiats.”
Juan Chingo admet évidemment qu’on ne “décrète pas” une grève générale, l’argument avancé par une partie des directions syndicales, notamment celle de la CGT mais note que rien n’interdit de vouloir y travailler activement et de la proposer. Il cite Daniel Bensaïd et Alain Krivine, connaisseurs et acteurs de mai 1968, qui avaient vu dans l’absence d’appel à la grève générale plutôt une faiblesse du mouvement qu’une force : “en réalité, il n’y a pas contradiction entre un mot d’ordre de grève générale conçu comme une impulsion, une proposition soumise aux assemblées générales locales et le respect des décisions souveraines de la base”.
L’auteur rejette également les arguments faciles avancés par les directions syndicales pour refuser d’aller chercher les secteurs les plus précaires, les moins bien payés : “Nier par avance que les travailleurs situés en bas de l’échelle salariale puissent entrer dans une bataille difficile est une allégation qui ne repose sur aucun élément et encore moins sur l’histoire du mouvement ouvrier. (…) Les masses laborieuses qui ont donné naissance au mouvement ouvrier au XIXe siècle et l’ont conduit à son apogée politique et syndicale au XXe siècle ont pris de grands risques matériels, qu’il s’agisse des bas salaires, de la peur du chômage, de la faim”. Néanmoins, pour prendre ces risques, il faut que le jeu en vaille vraiment la chandelle.
Les secteurs clés pour paralyser l’économie
L’auteur reconnaît que certains secteurs sont plus stratégiques que d’autres pour parvenir à un blocage de l’économie. Parmi ceux là on peut citer :
– le fret routier, qui est “essentiel pour les entreprises”
– les Télécoms
– la Poste
– le secteur aéronautique et le complexe militaire français (Airbus, Dassault, Safran…)
– les raffineurs
– les cheminots
– les travailleurs de l’énergie
– les éboueurs (ces derniers ont permis dans le mouvement de faciliter les feux de poubelle dans la capitale)
– les dockers
– les égoutiers
Organiser la grève : assemblées générales et comités d’action
Plutôt que d’inventer des modèles parfaitement originaux, il faut parfois regarder ce qui a fonctionné, comme en 1995. Juan Chingo note que “la force de 1995 pour beaucoup d’observateurs des luttes sociales, réside dans son organisation originelle : la tenue d’assemblées générales.” Celles-ci ont pu voir le jour à plein de niveaux différents : service, établissement, entreprise, ville…
La constitution de comités d’action est également indispensable, notamment pour réussir à soutenir les piquets de grève 24h/24. Selon l’auteur, ils sont “le seul moyen d’arracher le contrôle du mouvement à la bureaucratie, de briser son refus de de politiser la lutte en cours”. En effet, les directions syndicales jouant objectivement un rôle réactionnaire la condition de la victoire est aussi leur dépassement.
Comme le disait déjà Trotsky dans les années 1930, cité par Juan Chingo : « la tâche du révolutionnaire honnête, surtout en France où les trahisons, restées sans châtiment sont innombrables, consiste à rappeler aux ouvriers l’expérience du passé, à tremper la jeunesse dans l’intransigeance, à répéter sans se lasser l’histoire de la trahison (…) du syndicalisme français ».
Préparer la suite
Depuis le mouvement contre la réforme des retraites, il y a eu le soulèvement des banlieues contre les violences policières et le racisme, la mobilisation en soutien aux Palestiniens et contre le soutien coupable de l’Etat français au massacre. Macron et ses ministres ne peuvent plus se rendre nulle part sans se faire insulter, huer, conspuer. Comme le dit l’historien Pierre Rosanvallon cité dans l’ouvrage : “nous sommes en train de traverser, depuis la fin du conflit algérien, la crise démocratique la plus grave que la France ait connue”.
L’année prochaine auront lieu les Jeux Olympiques 2024 à Paris, qui s’annoncent comme une véritable guerre de classes : expulsion des étudiants de leurs logements du Crous, doublement des tarifs des transports en commun déjà hors de prix malgré le service lamentable, QR code pour se déplacer comme dans les pires cauchemars d’Alain Damasio…C’est aussi une des occasions pour notre classe de prendre sa revanche. Mais le programme thatchérien de Macron étant si brutal, que si ce n’est pas la bonne opportunité, il y en aura d’autres. À ce moment-là il faudra savoir ne pas répéter les mêmes erreurs : les pistes stratégiques proposées par La Victoire était possible sont de ce point de vue très précieuses.
Juan Chingo, La Victoire était possible : réflexions stratégiques sur la bataille des retraites de 2023 (2023), éditions Communard.e.s, 200 pages, 13 euros
Rob Grams
Photo : Serge d’Ignazio – Manifestation retraite acte 14
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