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Sarà Perché Ti Amo” est une chanson emblématique de l’Italie ensoleillée et de San Siro (le stade milanais). Mais saviez-vous qu’elle a été transformée en hymne antifasciste par le punk basque ? On vous fait découvrir “Maite Zaitudalakodu groupe Aurrez Aurre où l’amour du football se mêle à l’antifascisme. 

De la variété italienne jusqu’au punk basque 

“Sarà Perché Ti Amo” (“ça doit être parce que je t’aime), c’est le titre de la musique entraînante du groupe italien Ricchi e Poveri sortie en 1981. Tout le monde l’a déjà entendue et peut-être fredonnée. En France, elle fût vendue à plus d’un million d’exemplaires, et fût immortalisée au cinéma avec notamment “L’Effrontée” de Claude Miller (dont le titre italien est d’ailleurs “L’Effrontée – Sarà Perche Ti Amo”) puis par le film d’horreur d’Alexandre Aja Haute Tension où elle est chantée en voiture par Cécile de France et Maiwenn, comme un symbole des vacances ensoleillées. 

En Italie elle est un véritable hymne. On l’entend dans tous les karaokés, dans les bars, dans les boîtes de nuit (souvent en version remixée) mais aussi…dans les stades !
Elle est en effet reprise par les supporters milanais, où “Sarà perché ti amo” devient “Sarà perché tiffiamo” (“ce sera parce que nous applaudissons”) et se moque des supporters du Juventus de Turin. 

Mais c’est grâce à mon ami Ramunxo, passionné de rock et de culture basque, que j’ai découvert que d’autres ultras avaient repris la mélodie. C’est le cas de Aurrez Aurre, groupe de punk-oi basque, dans leur chanson “Maite Zaitudalako”. 

Maite Zaitudalako” : l’amour pour le foot, la haine contre les fachos

Les premières phrases donnent le ton :

Jada ostirala eta gerturatzen da (C’est déjà vendredi et ça se rapproche)

Aste honetan etxean elkartzen gara (Cette semaine on se retrouve à la maison)

Faxistak datoz prestatu balaklaba (Les fascistes arrivent, prépare la cagoule)

Antolakuntza, elkartasuna indarra (Organisation, force de solidarité)

Denok batera gurea defendatzen (Tous ensemble défendons les nôtres)

Jarrai dezagun burkideak babesten (Continuons à protéger nos camarades)

On le voit, “Maite Zaitudalako” transforme “Sara perché ti amo” en hymne antifasciste. 

Erreala defendatzen, kalean zein harmailetan (Défendre la Real, dans la rue et dans les tribunes)

La suite de la chanson est plus typique du milieu ultra. La Real c’est la Real Sociedad, club basé à San Sebastian dans le pays basque espagnol et fondé en 1909. Le club est un symbole et fait partie intégrante de l’identité culturelle et politique basque. 


L’équipe de la Real Sociedad en 1988, un club important pour l’identité basque.
(Aranzadi Science Society, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)

Futbol moderno honen, ez gara izango parte  (Nous ne ferons pas partie de ce football moderne)

La chanson n’entre pas dans le détail mais on peut facilement y voir une critique des financiers qui transforment le foot et sa commercialisation excessive qui le détourne de ses racines traditionnelles et populaires. 

Elle précise d’ailleurs :

Nazkatuta gaude, Tebasen negozioaz  (Nous en avons marre des affaires de Tebas)

Javier Tebas est le président de la Liga espagnole de football. Extrêmement influent dans le football espagnol, il appartenait dans les années 1970 au parti d’extrême droite franquiste Fuerza Nueva. Il est désormais un militant anti-avortement et un soutien du parti d’extrême droite Vox. 


Javier Tebas, président de la ligue nationale de football professionnel en Espagne et soutien de l’extrême droite.
(Web Summit, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons)

“Maite Zaitudalako” a donc le rythme et l’énergie des chansons de stade, et montre que l’on peut à la fois être attaché à son identité et en avoir une vision ouverte au monde, antifasciste, que l’on peut aimer le football mais rejeter son accaparement capitaliste et réactionnaire. 

Aurrez Aurre : des sons contestataires 

Aurrez Aurre, qui peut être traduit par “en avant”, est donc un groupe de “punk-oi” qui désigne un sous-genre du punk ayant émergé au Royaume-Uni dans les années 1970. Il se caractérise par ses paroles directes et engagées centrées sur les problèmes sociaux et politiques, avec une musique brute et énergique. “Oi” se réfère à un cri utilisé dans le langage familier en Grande-Bretagne pour attirer l’attention ou exprimer son enthousiasme. 

C’est donc dans cette tradition que s’inscrit Aurrez Aurre qui se bat – dans ses chansons mais aussi dans la vie – contre toutes les formes d’oppression, le colonialisme et le capitalisme.


En octobre dernier ils donnaient par exemple un concert à Paris en soutien à Defentsa Komunitatea, une association basque de centres sociaux autogérés. 

Aux origines du punk basque

Pour comprendre la politisation du punk basque il faut repasser par ses origines, faite d’anti-franquisme et de revendication de la culture basque. 

La dictature de Francisco Franco (1939-1975) a été marquée par des politiques très répressives vis-à -vis des Basques. La langue basque, l’euskara, fût sévèrement réprimée avec l’interdiction de son utilisation dans les institutions et les écoles, le gouvernement autonome basque fût aboli et les autorités basques remplacées par des gouverneurs militaires franquistes. Les partis politiques basques furent interdits et certains de leurs membres furent persécutés, emprisonnés ou exécutés.  

La dictature de Francisco Franco (1939-1975) a été marquée par des politiques très répressives vis-à -vis des Basques


Parmi les victimes de la répression on peut par exemple citer bien José Antonio Aguirre, président du gouvernement autonome basque pendant la Guerre d’Espagne (1936-1939) contraint à l’exil. 

C’est dans ce contexte qu’à partir du début des années 1960, une partie du nationalisme basque se tourne vers la lutte armée pour lutter contre la dictature et la répression culturelle. C’est ainsi que l’ETA, organisation armée, est créée et revendique l’indépendance et le socialisme. Mais celle-ci se rendra responsable de nombreux attentats à la bombe, tuant et blessant, notamment, des centaines de civils innocents. 

Cette histoire de la persécution des basques, conjointe à une crise économique dans les années 1980, a mené à une radicalisation d’une partie de la jeunesse ouvrières des villes industrielles du pays basque espagnol, parmi lesquelles on peut citer Bilbao, plus grande ville du pays basque espagnol (métallurgie, sidérurgie, portuaire), Vitoria-Gasteiz capitale du pays basque (automobile), Barakaldo (métallurgie), Eibar (fabrication d’armes), Elgoibar (fabrication de machines-outils) mais aussi San Sebastian (quant à elle plus orientée vers le tourisme). 

Dans les années 1990, cette radicalisation débouche sur le phénomène du “Kale Borroka”, que l’on peut traduire littéralement par “lutte de rue”, une forme de guérilla urbaine en manifestations : actions directes, émeutes, attaques contre des biens publics ou des symboles du capitalisme, affrontements avec les forces de l’ordre. 


Actions de Kale Borroka à Bilbao en 2014 contre le Global Forum Spain, des méthodes comparables à celles du Black Bloc. (Ekinklik, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons) 

C’est ce climat contestataire, de désindustrialisation et de résistance basque, qu’est venu accompagner, à partir du milieu des années 1980, ce qu’on a appelé le “rock radical basque” caractérisé par son engagement politique et l’utilisation de l’euskara (la langue basque). On peut notamment citer BAP!!, Kortatu ou encore La Polla Records. 


Concert de la Polla (aterpeirun, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons) 

Depuis, de nouveaux groupes reprennent le flambeau. C’est le cas d’Aurrez Aurre dont “Maite Zaitudalako”, avec ses paroles en euskara, son attachement au football populaire basque, son antifascisme radical est une belle incarnation. 

“Sara Perché Ti Amoa donc voyagé de l’Italie jusqu’aux rues contestataires du Pays Basque. Avec Aurrez Aurre, elle devient un manifeste, un hymne qui conjugue l’amour du football à la résistance contre le fascisme. L’occasion de découvrir le punk basque, porte-étendard d’une jeunesse ouvrière et populaire qui aspirait à la liberté et au socialisme.


Rob Grams

Avec les conseils de Ramunxo



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