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Notre enquête sur l’alimentation en France, à travers 4 produits phares du quotidien d’un jeune ordinaire, à savoir les céréales, le jus de fruits, les légumes de cantine scolaire et les yaourts, nous amène dans ce dernier épisode à nous poser la question suivante :

Comment reprendre le pouvoir sur notre alimentation ?

En France, l’alimentation est devenue un sujet clivant et quasi-identitaire. Autour de moi, il y a des végétariens militants ou discrets, des partisans de recettes miracles à base de telle baie qui vous comble de ses bienfaits ou d’un régime à base de flocons d’avoine et de pousses de colza, ou encore des gens qui s’en foutent et qui le revendiquent : « Laissez-moi bouffer mon entrecôte-frites en paix ». Ce débat autour de l’alimentation est sain, après des décennies de bouffe entièrement conçue et promue par quelques puissants groupes agroalimentaires. Mais il est lourd à porter. C’est particulièrement le cas pour les parents qui essaient d’y voir plus clair pour tenter de nourrir correctement leurs enfants, du moins quand ce n’est pas la cantine qui s’en charge.

Il est faux de dire que l’on est seuls responsables de notre vitalité, de notre santé ou de notre poids quand on sait tout ce que je viens d’exposer (lire les épisodes précédents). On le voit bien, nos goûts et nos choix sont largement définis par un cadre économique et social qui nous dépasse en grande partie. Durant la majeure partie de l’Histoire de l’humanité, ce cadre était celui du foyer, où la préparation des repas était assurée. Cela se faisait parfois au prix de carences alimentaires et surtout à celui de l’asservissement des femmes dans la plupart des cas.

Depuis une cinquantaine d’années, nos habitudes alimentaires ont été sous-traitées à des grands groupes agroalimentaires qui sont gouvernés par la loi du profit. C’est le jeu du capitalisme, et les élus et gouvernements qui ont confié la restauration scolaire à Sodexo et compagnie le savaient très bien. Les dégâts auraient pu être limités si nous avions disposé de sources d’information fiables permettant d’y voir plus clair dans l’offre alimentaire contemporaine… mais ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. 

Le Plan national nutrition santé sous la coupe des industriels 

Rien que l’instance nationale chargée de délivrer les recommandations qui font autorité en la matière, le PNNS, travaille main dans la main avec ces groupes agroalimentaire via leurs lobbies. Ce n’est pas Jean-Mi, votre tonton conspi qui vous le dit, c’est l’Inspection général des affaires sociales, qui inspecte périodiquement les services de l’Etat, qui le concluait en 2015 : « À vouloir avancer par consensus, le PNNS n’a jamais été en capacité d’adopter des mesures dont l’efficacité est pourtant reconnue. Il a alors occulté, au nom du consensus et des intérêts des parties prenantes, des aspects importants de la problématique nutritionnelle. En particulier, il a insuffisamment pris en compte les actions possibles sur l’offre, tant le pouvoir des lobbies de l’agro-alimentaire est puissant ».

Le PNNS, qui nous disait il y a encore un an que des jus de fruits gavés de sucre valaient la consommation d’un fruit, est aussi l’auteur du fameux slogan « Manger bouger », qui fait de l’activité physique la solution ultime à l’obésité. Or, de plus en plus de scientifiques s’insurgent contre cette injonction qui occulte la présence du sucre dans la majeure partie des aliments. Le documentaire d’Art « Un monde obèse » montre bien la perversité de ce message : il déplace la culpabilité des troubles alimentaires sur les individus et déresponsabilise les industriels, par ailleurs ravis de sponsoriser les initiatives qui vont dans ce sens.

Il ne faudrait donc pas, par militantisme, tomber dans les mêmes travers que ces géants capitalistes en se contentant de donner des injonctions aux individus. Ce qu’il faut, c’est bien mettre en œuvre un nouveau cadre social et économique qui redéfinisse notre rapport à l’alimentation avec un autre critère que celui de l’enrichissement des actionnaires de Danone, Nestlé ou General Mills.

Des solutions existent, on peut en évoquer quelques-unes : d’abord, pour que chacun puisse se faire un avis éclairé sur son alimentation, l’interdiction de la publicité alimentaire à la télévision et sur internet est la base de la base, à commencer par les spots destinés aux enfants. En plus d’être manipulatoire, Ce système publicitaire donne un avantage incomparable aux grands groupes qui ont de l’argent à dépenser là-dedans. Ensuite, on peut tout à fait remplacer le PNNS par un groupe de citoyen tirés au sort, assistés de scientifiques indépendants et qui donne, chaque année, des recommandations.

Enfin, plus largement, il faut revoir notre système de production et de distribution alimentaire. Le remplacement de l’agriculture intensive et productiviste par des petites fermes extensives, pourvoyeuses d’emplois et de respect des animaux et de la nature est un projet exaltant, tout comme la fin du monopole des grands groupes sur la distribution et la confection alimentaire. La mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation est une voie particulièrement prometteuse.

En attendant, informer autour de soi de la nocivité de certains aliments est un acte citoyen. A condition de le faire sans culpabiliser, juger ou duper : les industriels s’en chargent déjà.