En juin dernier, nous avions publié un article sur le “bourgeois gaze”. Nous reprenions alors à notre compte le terme de “male gaze” popularisé par Laura Mulvey et les féministes américaines, qui désigne le “regard masculin” dans les œuvres culturelles (car produit par un milieu artistique essentiellement dominé par les hommes), pour montrer que ce regard n’est pas seulement masculin mais aussi bourgeois (car produit par un milieu artistique essentiellement dominé par les bourgeois). Nous nous étions concentrés sur le cinéma pour montrer qu’une large partie de la production est victime de cette vision bourgeoise du monde que nous essayions de qualifier : prolétaires extrêmement stéréotypés, misérabilisme, caricature de la “province”, problèmes de riches, imposition des goûts bourgeois, discours pro-flic et pro-ordre, réécriture de l’histoire qui place toujours la bourgeoisie comme acteur central… et d’en dessiner quelques causes possibles : extrême homogénéité sociale des cinéastes, subventionnement en vase clos, entre-soi et copinage qui permet qu’un film n’ait même pas besoin de rencontrer un public plus large que celui étroit de la bourgeoisie pour exister.
Depuis la parution de l’article, nous avons pu nous coltiner encore 6 mois de vision bourgeoise du monde alors que les salles venaient de rouvrir.
En décembre et janvier, toutes les revues publient leurs tops. Alors pourquoi pas nous ? C’est parti pour notre top 2021 des films “bourgeois gaze” de l’année !
5. Malcom & Marie : les riches aussi ont leurs problèmes !
Si vous avez la chance de ne pas l’avoir vu : un couple de bourges (un réalisateur et une actrice) rentre dans une maison (au design parfait) après une soirée d’avant-première. Ils s’engueulent sévèrement sur le fait que le réalisateur a oublié de remercier sa copine lors de son discours, événement censé révéler de profonds problèmes dans leur histoire…
C’est le principe de la double peine. Nous sommes début 2021. On est toujours confinés (ou un autre nom mais genre tout fermé avec des couvre-feux en fin d’aprem), des milliers de gens crèvent du covid en raison de la gestion calamiteuse de la pandémie, on est privés de toute sortie et de toute vitalité, et nous on se demande quelle merde on va pouvoir regarder sur Netflix pour passer le temps ce soir.
C’est là que la plateforme nous propose Malcom & Marie, “tourné en 10 jours en plein confinement !” (parmi d’autres arguments marketing à deux balles).
Bon, c’est peu dire que le programme était pourtant annoncé d’avance : le grain de la pellicule, les petits pas de danse élégants en costume (et en travelling latéral svp), le noir et blanc de FDP, le huis clos dans une immense baraque, les petites notes de jazz (peut-on vraiment faire du sous-Woody Allen de qualité sans les “quelques notes de jazz” ?), l’ironie “mordante” des intellos de gauche qui disent des trucs rigolos sur « les blancs » tout en faisant aussi preuve d’autocritique (ouf, on est entre nous !), Zendaya et John David Washington qui sont vraiment “trop canons” (et qui le savent huhu)… Tous (mais alors vraiment tous) les éléments du film de bourge étaient dûment rassemblés.
Et je l’ai quand même maté.
D’une part parce qu’on sait depuis Scènes de la vie conjugale de Bergman (qui fut un grand succès populaire en Suède) que certains cinéastes, même en situant socialement les personnages dans la classe qu’ils connaissent le mieux – la leur – sont capables de parvenir à une certaine universalité quand ils abordent le couple et la manière dont le patriarcat ruine l’amour. Et d’autre part, parce qu’au pire, j’aurais de la matière pour un faire ce top des films de bourges.
Mais rien, vraiment rien ne m’a été épargné : ni le cinéaste méta s’écoutant discourir à travers ses personnages, les acteurs se regardant jouer (ou plutôt minauder – le terme sobre pour « en faire littéralement des caisses »), et déblatérant des textes incroyablement écrits sans jamais une once de réel. Sans être vraiment politique, le réalisateur Sam Levinson, connu pour Euphoria et Assassination Nation, ne semble pas pouvoir s’empêcher de distiller des lieux communs progressistes et des citations énervantes (que vient faire Angela Davis dans cette galère ?) : il y a des fringues à la mode, des acteurs à la mode, des esthétiques à la mode, il y a aussi des idées à la mode.
Malcom & Marie est un bon exemple d’un film ruiné par l’énorme melon, le melon gigantesque, des bourgeois culturels, incapables d’envisager le couple autrement que par leur prisme (vous aussi vous vous êtes déjà engueulé avec votre mec parce qu’il a oublié de vous remercier à la remise de prix de son film d’auteur ?), et des personnages qui n’aient pas perpétuellement « la classe » car c’est tout ce qui compte pour eux.
4. Les Choses humaines : pas tous les jours facile… d’être un violeur.
Si vous avez la chance de ne pas l’avoir vu : un jeune homme est accusé par une jeune femme de l’avoir violée. Il est immédiatement arrêté, jeté en prison etc. Mais est-il vraiment coupable ? Ou la victime est-elle une grosse mytho ? Le film se veut une subtile réflexion sur le consentement.
Qui a dit que la France était incapable de faire des vrais films de science-fiction ? Les Choses humaines est un très bon film de SF se déroulant dans un univers parallèle.
Un univers parallèle où lorsqu’une femme est violée, elle est en mesure de porter plainte immédiatement, où personne ne la dissuade de le faire et ne remet en cause sa parole (ni ses amis, ni sa famille), où sa plainte est très bien reçue au commissariat, où celle-ci n’est pas immédiatement classée sans suite, où dès le lendemain son agresseur est arrêté, et même placé en détention en attendant le procès, où la question des coûts astronomiques d’un bon avocat pour la victime ne se pose pas, et où le coupable est même condamné in fine (!).
Bref, une version du multivers cher à Dr. Strange, où les agressions sexuelles seraient tellement prises au sérieux, que le sujet ne serait plus comment les prévenir, ni comment faire pour punir les millions de violeurs qui s’en sortent toujours sans rien, mais de surveiller les éventuels abus de dénonciation ou la fameuse « zone grise » (ce terme qui désigne quand un type viole une personne puis dit qu’il n’a pas fait exprès).
Petit problème : Les Choses humaines n’est en fait pas un film de science-fiction, et crache ainsi à la gueule à la fois des millions de victimes mais aussi à celle du réel et de l’ensemble de la connaissance que nous avons de la prise en charge des violences sexuelles. Il faut dire que le film a été réalisé par un grand féministe, Yvan Attal, qui déclarait sans pression à la presse qu’il tuerait sa femme, Charlotte Gainsbourg, à la carabine si elle décidait un jour de rompre avec lui.
Dans Quotidien, l’émission paillasson de la bourgeoisie de gauche, ce dernier a d’ailleurs livré, sans jamais aucune contradiction des journalistes rigolards lui faisant face (séquence affichée en image d’En tête de cet article), le fond de sa “pensée” (si elle mérite qu’on lui donne ce titre) alignant des banalités du type : “j’avais envie de dire que ces histoires ne peuvent se régler qu’au tribunal”. Un postulat naïf serait de dire que le bourgeois est incapable de comprendre des effets de structure : c’est-à-dire que non, une justice de classe, patriarcale, appliquant des lois votées par des politiciens bourgeois et hommes, ne rend pas des jugements parfaitement neutres, objectifs et justes. Mais la vérité est que cette bourgeoisie a tout intérêt à nier ces effets de structures puisque le mythe d’une justice neutre et efficace permet de légitimer leur constante impunité. Ne reste à ces bourgeois, que la moindre résistance rend absolument furieux, qu’à pester contre les “réseaux sociaux”, le contre-pouvoir (très faible) qu’il nous reste et qui nous permet, à défaut d’agir sur le réel, de dire ce que nous en pensons.
Autre élément symptomatique du bourgeois patriarcal : dans cette interview, Yvan Attal démontre constamment l’étendue de son ignorance du sujet sur lequel il a pourtant réalisé un film. Or c’est bien un attribut de classe (et de genre), que celui de se sentir toujours légitime à éructer des heures durant sur des sujets sur lesquels on ne connait rien – comme les éditorialistes des chaînes d’infos en continue nous en apportent la preuve quotidiennement. Exemple : dans cette histoire “il y a une instruction qui dure 30 mois. Si les magistrats, si les avocats, toute cette machine… a besoin de 30 mois pour comprendre et juger cette affaire, comment pouvons-nous, derrière notre ordinateur, juger des gens en 4 secondes ?”. Mais Yvan, si tu t’étais toi-même renseigné plus de 4 secondes, si tu avais pris le temps d’aller parler à une ou deux victimes, tu te rendrais compte que tu dis autant de conneries que si Cauet s’improvisait professeur de physique quantique. Ce n’est pas parce que la machine judiciaire travaille non-stop pendant 30 mois, avec application sur une affaire, que la justice est lente ! C’est parce qu’elle est en sous-effectif, en restriction budgétaire constante et que toute cette “machine” est absolument et toujours débordée ! Il suffit d’aller lire, d’aller écouter tous ces témoignages de victimes sans cesse obligées de relancer elles-mêmes la police pour faire avancer “l’enquête”, quand elles ne sont pas obligées d’enquêter par elles-mêmes (par exemple pour fournir le numéro de téléphone ou l’adresse de l’accusé). Et si les victimes pauvres auront toujours plus de mal à avoir justice, ajoutant à la domination sexiste la domination de la bourgeoisie, c’est bien parce que, ne pouvant pas se payer les frais astronomiques d’avocats ayant du temps à consacrer à leurs dossiers (jusqu’à 10 000 euros…), elles devront faire avec des avocats commis d’office gérant en simultané des centaines de dossiers et qui n’auront que quelques heures sur tous ces mois pour leur affaire.
Par ailleurs si cette pauvre Suzanne Lindon a pu symboliser à elle toute seule tout le népotisme bourgeois du cinéma français en réalisant à 21 ans son premier long-métrage que personne n’a vu, le casting des Choses humaines n’a rien à envier à la famille Lindon : l’acteur principal, Ben Attal, est le fils du réalisateur, et sa mère est joué par…sa mère Charlotte Gainsbourg (elle-même fille de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin, et réalisant un film sur sa mère etc. il en va ainsi dans la boucle infinie de la bourgeoisie faisant des films sur elle-même).
3. The French Dispatch : beau comme un concept-store de Copenhague.
Si vous avez la chance de ne pas l’avoir vu : 3 histoires chiantes se succèdent dans un Paris tout droit sorti d’une pub. La première raconte celle d’un taré en prison (Benicio Del Toro) qui peint Léa Seydoux à poil pendant dix plombes. La seconde prend place pendant un mouvement étudiant inspiré de mai 68 avec Timothée Chalamet en leader du mouvement. La troisième est celle d’une intrigue policière avec un policier/cuistot.
Un ami me disait récemment que Wes Anderson faisait (désormais) des films pour les adeptes de « design d’intérieur ». Je crois qu’il a bien raison.
François Bégaudeau, que nous avons interviewé, expliquait que la position sociale des bourgeois influe intrinsèquement sur leurs goûts esthétiques. Il en tire pour conséquence que les goûts en cinéma de la bourgeoisie sont “adossés à leurs goûts dans l’immobilier”, qu’autrement dit les bourges apprécient les films « dans lesquels ils aimeraient habiter ». C’est bien la sensation que nous donnent désormais Wes Anderson et les admirateurs de ses derniers films, comme si le cinéaste tentait de répondre tout le temps à la question des Inrocks « Où est le cool ? » : fétichisation maximum, vintage de concept store, caméos de célébrités…
On ne comprend même pas qu’il n’y ait pas déjà des pop-up store Wes Anderson pour vendre des bonnets, des marinières et des vinyles, vous attendez quoi les startuppeurs ?
Si encore le film s’assumait comme une mauvaise pub, inoffensive, mais il devient bien plus agaçant lorsqu’il prétend évoquer Mai 68 avec… Timothée Chalamet.
Putain, Timothée, retourne coloniser Arrakis, choper des cannibales en Italie, ou boire des pintes avec tes potes sorbonnards place de la Contrescarpe, mais fous-nous la paix sur les mouvements ouvriers hein.
2. BAC Nord : enfin une représentation réaliste de la flicaille !
Si vous avez la chance de ne pas l’avoir vu : 3 flics super-teubés de la BAC travaillent dans les quartiers Nord de Marseille. Afin de démanteler un réseau de trafic de drogue, ils décident de violer toutes les lois possibles et imaginables. Avant de venir chouiner lorsque cela leur retombe dessus, malgré leur condamnation très mince. Inspiré d’une pseudo-histoire vraie mais totalement remaniée pour correspondre aux discours des syndicats de policiers d’extrême droite.
Une deuxième place disputée mais bien méritée, adorée des grands critiques cinéma tels qu’Eric Zemmour, Marine Le Pen ou par les profs vallsistes. Nous l’avions d’ailleurs anticipé en le plaçant dans notre premier article, avant même sa sortie : les films bourgeois gaze c’est un peu comme les romcoms ou Fast and Furious 15 – même avant de lancer le film on sait quand même à peu près ce qu’on va voir et qu’on en aura pour notre argent.
Vous vous demandiez peut-être même pourquoi nous n’avions pas aboyé avec la meute des indignés lors de la sortie du film ? Eh bien, parce que, attention révélation choc : nous n’avons pas détesté Bac Nord !
Déjà grâce à l’interprétation de Gilles Lellouche, que nous saluons et que nous avons trouvé très convaincant dans son rôle de flic : il prend des prots’, traite tout le monde de baltringues en mettant des baffes viriles à ses potes, tape contre les murs et s’énerve sans arrêt… Bref une représentation somme toute très réaliste du profil type du baqueux, a contrario, par exemple, de ceux, un peu fantaisistes, que nous dépeignait Les Misérables de Ladj Ly : un noir ancien mannequin et une espèce de sociologue de gauche (comme le soulignait François Bégaudeau dans La gêne occasionnée). Si vous avez un jour affaire à la BAC, je vous assure que vous avez plus de chance de croiser un Gilles Lellouche.
De ce point de vue, le film paraît assez documenté. De la même manière sur le travail réel de la BAC, comme avec cette scène où les protagonistes frappent des vendeurs de tortues sur un marché : c’est effectivement à peu près le rôle que l’on peut attendre de cette section de la police.
Ensuite, nous avons apprécié les influences cinématographiques pointues, rappelant les meilleurs moments et le montage testostéroné d’EMBARQUÉS AVEC LA BAC et autres émissions à succès de la TNT.
Pour l’essentiel, Bac Nord ressemble à un film d’action (de droite) classique : pas trop mal fichu, avec des policiers, tels Bruce Willis, dépassant absolument toutes leurs attributions (raids, enquêtes, infiltration, etc) – là où, on le rappelle, le rôle de la BAC est de faire du flagrant délit (traduire : contrôler des jeunes arabes pour trouver des bouts de teuch), davantage que de faire de l’assaut dans des HLM en jogging, à visage découvert, en tirant partout. Puis le film devient, particulièrement dans ses 20 dernières minutes, l’adaptation d’un tract mal écrit d’Alliance, le syndicat de policiers d’extrême droite.
Mais, malgré son évident rôle propagandiste « pro-flic » (non, critiquer la hiérarchie policière parce qu’elle ne permettrait pas aux flics de « nettoyer les cités » ce n’est pas éviter l’écueil d’être pro-flic, c’est juste être GIGA pro-flic, encore plus pro-flic que Valls et Darmanin), Bac Nord parvient à dépasser les clivages par un humour omniprésent comme cette scène très rigolote où Gilles Lellouche, tout énervé, avec son air de rugbyman d’école de commerce, crie sur un mec de l’IGPN des supers répliques inspirées, du type « Mais vous, avec votre chemise, vous connaissez pas le terrain !! ».
Bref bravo à Bac Nord qui réussit un triple exploit : faire un film absolument dans l’air du temps, soutenu par toute la bourgeoisie d’extrême droite, tout en se faisant passer pour subversif et populaire.
1. Nomadland : les pauvres en chient dites donc (littéralement).
Si vous avez la chance de ne pas l’avoir vu : après avoir perdu son job dans une cité ouvrière du Névada, Fern opte pour un mode de vie nomade dans un van et enchaîne les boulots difficiles et mal payés.
Ne soyons pas chauvin : il n’y a pas que les Français qui excellent dans le bourgeois gaze, le ciné indé américain « de gôche », est aussi très bon là-dedans.
Cette année c’est Chloé Zhao – qui, comme tous les anticapitalistes un peu conséquents, fait maintenant des films Marvel pour Disney – qui nous en a apporté la preuve.
Le film donne le ton dès son ouverture : un long plan fixe montre Frances McDormand se défroquer et pisser sur un bord de route. C’est beau. En effet, Nomadland est un film engagé, naturaliste, qui ne va pas hésiter à nous montrer, et à plusieurs reprises, la dure réalité : les pauvres, contrairement au reste de la population, sont obligés de pisser et chier, et même plusieurs fois par jour ! Terrible, émouvant.
Emouvant sera d’ailleurs le maître mot du long-métrage : certes ce n’est pas très cool d’être pauvre, mais ces derniers sont quand même « dignes » et « courageux », surtout quand ils parlent de leurs cancers en giga gros plans avec Ludovico Einaudi qui fait du piano en fond (ou quand ils font caca dans des seaux). Le capitalisme tremble face à ces représentations ô combien transgressives.
Plus sérieusement : il faut toujours se méfier des effets de projection que l’on fait sur un film.
Ce n’est pas parce que Ladj Ly vient de Montfermeil que Les Misérables montre réellement ce qu’est la vie à Montfermeil : Les Misérables nous embarque quelques jours dans la vie de 3 flics de la BAC à Montfermeil, c’est tout. De la même manière, ce n’est pas parce que Nomadland semble montrer des difficultés sociales que le film apporte un regard critique sur le système qui produit ces difficultés : bien au contraire.
Si Amazon a accepté que la réalisatrice tourne dans un de ses entrepôts, c’est parce qu’ils avaient tout intérêt à le faire. Si les jobs occupés par la protagoniste sont montrés comme relativement pénibles, il n’est jamais question d’exploitation. Au contraire : ce qu’on loue c’est sa capacité de travail, sa capacité à tout accepter, à tout encaisser. S’agissant d’Amazon, loin de se faire tyranniser, cette dernière se lie même d’une belle amitié avec…sa manageuse. On est loin de la réalité de salariés obligés d’uriner dans des bouteilles en plastique pour tenir les cadences. L’histoire de comment la production a pu avoir l’autorisation de tournage est assez parlante: le directeur de la photographie expliquant qu’il a simplement fallu que Frances McDormand envoie une lettre en leur demandant “gentiment”, ajoutant “je pense qu’ils ont su que ce n’était pas un film sur eux. C’est un film sur les gens”. Ah ah ah, en effet.
Toujours sur le même mode, le film montre d’anciennes cités ouvrières, laissées à l’abandon, en raison d’une désindustrialisation liée à la délocalisation. Le thème de la délocalisation est le sujet idéal pour faire croire à une politisation sans en faire preuve : sans coupable, elle paraît provenir d’une tendance naturelle du « nouveau monde » ou “du monde qui change”, celui de la mondialisation, par définition inévitable, impersonnelle, avec ses « laissés-pour-compte ». Pire, elle semble faire regretter un « âge d’or » perdu : l’exploitation à l’usine qui serait toujours préférable que le chômage. On croirait entendre du Montebourg.
Nomadland a également le démérite d’éviter soigneusement tout ce qui aurait pu être intéressant dans son sujet : à commencer par sa communauté autogérée et solidaire de nomades, qui aurait pu injecter un peu de collectif dans un film ne jurant que par la figure très américaine de l’individu méritant, et dont on ne voit…strictement rien. On perçoit alors la grossièreté de l’argument faux-cul, utilisé ad nauseam dans le « cinéma social » des acteurs-qui-sont-en-fait-des-« vraies personnes »-car-c’est-un-quasi-documentaire dans un film où 99% des plans sont finalement consacrés à une actrice ou un acteur célèbre (coucou La Loi du Marché). Par honnêteté, isolons de tout ça un beau moment du film : celui où l’on découvre un peu mieux Bob Wells, chef (réel) de cette communauté, qui tient des discours pour le coup un peu à contre-courant, notamment sur cette fichue résilience.
Des pauvres qui bossent 12 heures par jour, pour des salaires de misère, en chopant des cancers, mais qui ne chouinent pas comme des grosses feignasses : voilà un cinéma qui plaît à la bourgeoisie intello de gauche (et aux managers de Mcdo et de France Télécom).
Mentions spéciales
Mentions spéciales pour Tromperie et pour Les Amours d’Anaïs, deux films qui ont le courage d’aborder frontalement un sujet tabou, jamais abordé dans le cinéma français : celui de l’infidélité dans les couples bourgeois. Les deux avec Denis Podalydès, évidemment.